« Les fractures politiques recoupent les divisions du monde catholique »
- Guillaume Houdan Diacre, chargé de mission auprès du monde politique et des élus dans le diocèse de Rouen
Guillaume Houdan est aux premières loges pour constater les fractures entre catholiques puisqu’il est diacre et chargé de mission auprès du monde politique et des élus. Il évoque un clivage bien réel, et les conditions qui permettent de le dépasser : l’écoute réciproque, le dialogue patient.
La récente élection présidentielle a mis à nu les fractures de notre société française : fracture géographique (entre les métropoles et les espaces périurbains), fracture sociale (suivant les revenus et les niveaux d’études), fracture générationnelle (plus discrète mais réelle)…
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Ces fractures ont été particulièrement visibles dans le positionnement vis-à-vis d’Emmanuel Macron : s’il l’emporte largement auprès des populations dites des « gagnants » de la mondialisation, les populations se sentant exclues ou en insécurité l’ont massivement rejeté. Ces fractures inquiètent parce qu’elles s’accompagnent de difficultés de plus en plus grandes à dialoguer, à débattre. Comme si nous ne parvenions plus à nous comprendre.
Bousculer les peurs
Des fractures existent aussi au sein de l’Église catholique. Il est troublant de constater qu’elles se manifestent également dans les intentions de vote exprimées par les « pratiquants ». Comme si la méditation régulière de l’Évangile ne parvenait pas à bousculer les peurs et les certitudes.
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Alors que nos communautés devraient être le lieu d’échanges fraternels, il a été plus que jamais difficile cette année de discuter entre nous de notre vote. Dans mon diocèse de Rouen, avec l’évêque, Mgr Lebrun, nous avons incité les paroisses à susciter des rencontres au cours desquelles nous serions capables de dialoguer, sans anathème et en toute confiance, à propos de nos choix politiques et de notre vote. Nous avons accompagné cette suggestion de trois propositions concrètes… Très peu de paroisses ont organisé des réunions cette année. Aucune, à ma connaissance, n’a osé ouvrir un dialogue direct sur le vote.
Fermer les frontières
En revanche, sur les parvis, au cours des repas, dans les mails ou à travers les réseaux sociaux, j’ai vu s’exprimer des sentiments forts d’incompréhension entre catholiques. Soutenir un candidat qui veut fermer les frontières est chrétiennement inadmissible pour les uns. Voter pour un autre qui ne suit pas nos convictions bioéthiques relève de l’anathème pour d’autres. Pourtant, les catholiques pratiquants, comme les autres, ont dû faire des choix et voter. Pourquoi avons-nous si peur d’en discuter entre nous ? Peut-être parce que cette fracture politique recoupe des fractures actuelles de notre monde catholique…
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De fait, peut-on aujourd’hui imaginer un dialogue entre les personnes qui ont organisé une messe « inclusive » à Saint-Pierre de Montrouge et celles qui ont marché 1 500 km pour demander au pape d’assouplir les restrictions sur la messe en latin ? Peut-on faire vivre ensemble des baptisés en attente de repères clairs et traditionnels et d’autres en attente d’une gouvernance collégiale et de nouveaux ministères dans nos communautés ? Le clivage est réel entre des catholiques qui incitent l’Église à l’ouverture au monde et d’autres qui l’appellent à servir le monde par des repères stables.
Tendances explicites
Il n’y a pas besoin d’être plus explicite pour imaginer la tendance politique des uns ou des autres, tant elle s’est manifestée clairement au cours de cette campagne. Pourtant, nous sommes de la même Église et nous devons admettre que, si nous avons tous des conversions à vivre, il y a chez chacun une authentique recherche spirituelle.
Toutes ces fractures, de notre société ou de notre Église, nous inquiètent. Et nous ne pouvons nous y résoudre. Comment les réduire ? Dans le monde politique, le vote, pour choisir un élu ou faire passer une loi, est censé mettre fin au débat, la minorité acceptant le choix de la majorité. Dans notre Église, il ne peut en être ainsi. Toutes les assemblées dans l’histoire, depuis celle de Jérusalem jusqu’à aujourd’hui, recherchent et tendent vers l’unanimité. Cela ne s’est jamais fait sans douleur ni ressentiments. Mais doit primer la recherche de la voie qui permet la communion.
Recherche de la communion
Cette recherche de la communion dans l’Église a quelque chose à dire à notre société. De fait, nous voyons bien que le vote ne suffit plus à faire vivre notre démocratie. Le mouvement des gilets jaunes a montré que des frustrations s’étaient accumulées sans que les élections et les lois votées par la majorité les réduisent. Les minorités acceptent de moins en moins que les vues d’une majorité s’imposent.
En juin prochain, les 14 et 15, à Lyon, au cours d’une assemblée extraordinaire des évêques, l’Église catholique de France vivra pour la première fois une assemblée synodale à l’échelle du pays. Évêques et invités se mettront à l’écoute des joies et des espoirs, des tristesses et des angoisses, collectés auprès de quelque 150 000 baptisés. Ces derniers se sont exprimés au sein de tous les diocèses de France depuis l’ouverture du Synode universel en octobre dernier par le pape. Ce rassemblement marquera une étape vers l’assemblée qui aura lieu à Rome fin 2023.
Les synthèses diocésaines déjà lisibles montrent, pour la plupart d’entre elles, un vrai dialogue et une volonté sincère de s’écouter. Des attentes fortes s’expriment. L’enjeu à Lyon sera de poursuivre ce dialogue patient, cette écoute réciproque, pour continuer à marcher ensemble. Si nous parvenons à ne rien cacher de nos différences mais à les vivre dans une authentique communion, l’Église de France sera naturellement porteuse d’une Bonne Nouvelle à notre société.
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