« Les Gardiennes du secret » et « Le Harem politique » : l’islam est aussi une affaire de femmes
Deux publications récentes chez Albin Michel, dont une réédition en poche d’un ouvrage de référence de 1987, rendent hommage à la présence féminine dont « bruisse » le Coran.
Les Gardiennes du secret. Les grandes figures féminines de l’imaginaire musulman
Karima Berger
Albin Michel, 300 p., 21,90 €.
Le Harem politique. Le Prophète et les femmes
Fatima Mernissi
Albin Michel, 336 p., 9,90 €.
Les relations entre les femmes et le prophète de l’islam n’en finissent pas de créer la polémique. Au Royaume-Uni, une chaîne de cinémas vient de déprogrammer un film sur Fatima, fille de Mohammed et épouse d’Ali, après des manifestations dans plusieurs villes. En Inde, deux responsables du parti au pouvoir ont été accusés d’avoir tenu des propos « insultants » sur la relation entre le prophète et sa plus jeune épouse, Aïcha, provoquant une grave crise diplomatique.
Or Aïcha est l’une des « gardiennes du secret » que l’écrivaine franco-algérienne Karima Berger tient à exhumer « de la poussière accumulée par le temps et ses lois ». Le titre de son dernier livre fait référence à un verset coranique pour le moins énigmatique : « Les femmes sont les gardiennes du secret de ce que Dieu garde secret » (Coran 4,34).
Des gardiennes, la présidente du Prix écritures et spiritualités en réhabilite bien d’autres, notamment les figures bibliques d’Ève, d’Agar ou de Marie, aussi présentes dans le Coran. Autant de femmes révélatrices d’une certaine capacité – proprement féminine, à en croire Karima Berger – de « discernement des signes divins ». « Marie illustre combien le divin a besoin de féminin pour se manifester », écrit-elle notamment, non sans s’être agacée au préalable de la manière dont la tradition chrétienne a « emprisonné » Marie dans son « unique destin de mère ».
C’est bien plutôt une femme de désir que Karima Berger voit dans la mère de Jésus. Avec un enthousiasme qui frise parfois l’emphase, cette autrice d’un dialogue remarqué avec Etty Hillesum en 2014 (1) rend cette fois hommage à la présence féminine dont « bruisse » le Coran et, plus largement, à la volupté si chère à l’univers islamique – ce qui lui valut d’ailleurs une image « lubrique et concupiscente » en Occident.
Hadith « misogyne »
Que la femme musulmane, pourtant « supérieure » à l’homme sur le plan spirituel, pâtisse d’une telle infériorité sur le plan juridique : voilà un paradoxe que Karima Berger n’est pas la première à soulever. La sociologue marocaine Fatima Mernissi le faisait dès 1987 dans Le Harem politique, réédité ce printemps en poche, également chez Albin Michel. Dans ce livre pionnier, cette universitaire et militante féministe, décédée en 2015, déconstruit avec minutie le discours théologico-politique qui contribua à propager la domination patriarcale dans le monde islamique.
« Ne connaîtra jamais la prospérité le peuple qui confie ses affaires à une femme », énonce par exemple un hadith (propos prêté au Prophète ou à ses compagnons) que Fatima Mernissi n’hésite pas à qualifier de « misogyne », et dont elle remet fermement en cause la validité. Même sévérité à l’égard du hijab : ce « concept clé de la civilisation musulmane », désignant dans le soufisme le voile qui cache Dieu aux hommes et entrave ainsi la connaissance du divin, a été tristement réduit à « un morceau de chiffon que les hommes ont imposé aux femmes ».
Un « conflit divin-féminin »
Si chacun des monothéismes lui semble traversé par ce qu’elle nomme le « conflit divin-féminin », l’intellectuelle marocaine estime qu’aucune n’a été aussi loin que l’islam, qui a opté pour « l’occultation du féminin ». Or, soutient-elle, cette attitude « quasi phobique » n’a pas pour origine les sources scripturaires : au contraire, Mohammed avait encouragé ses fidèles à y renoncer. En témoignent notamment les nouvelles lois sur l’héritage édictées dans le Coran : l’héritage se voit élargi aux femmes alors que seuls les hommes y avaient droit jusque-là… et que les femmes faisaient même partie des biens hérités.
On regrette l’absence de développement sur la manière dont s’est opérée, sous les dynasties abbasside et omeyyade, la « glissade dans les abîmes » concernant la femme en islam. Mais c’est le sujet d’un autre livre de Fatima Mernissi, issu de sa thèse en 1975 : Beyond the Veil, jamais traduit en français.
(1) Les Attentives, Albin Michel, 224 p., 7,90 €.