Islam : le pèlerinage à La Mecque contraint par des prix élevés 

Enquête 

Le grand pèlerinage à La Mecque (Arabie saoudite) a débuté jeudi 7 juillet. Samedi 9 juillet, c’est la « grande fête » ou « fête du sacrifice » qui sera célébrée partout dans le monde. Deux événements qui n’ont pas de prix pour les musulmans, mais dont le coût ne cesse de grimper.

  • Mélinée Le Priol et Benoît Fauchet, 
Islam : le pèlerinage à La Mecque contraint par des prix élevés
 
Des pèlerins défilent devant la Kaaba, le 1er juillet.ZUMA/ABC/ANDIA.FR

« Pendant nos présences à la mosquée sacrée, nous arrivons à communier avec notre Seigneur, Dieu merci ! », se réjouit Soundos El Moaddem. Cette infirmière française de 35 ans ne cache cependant pas sa frustration à l’heure d’entamer le grand pèlerinage à La Mecque (Arabie saoudite), le hadj, cinquième pilier de l’islam.

La jeune femme se faisait une joie à l’idée de vivre cette démarche spirituelle obligatoire une fois dans une vie pour tout croyant musulman qui en a la capacité financière et physique. Une ferveur partagée en 2022, selon les autorités saoudiennes, par un million de pèlerins, parmi lesquels 850 000 étrangers dont la venue n’était pas autorisée en 2020 et 2021, en raison de la pandémie de Covid-19.

Séjours clés en main

Le passage obligé par une plateforme en ligne, Motawif.com.sa, pour les pèlerins venus d’Europe, des Amériques et d’Australie, a cependant suscité beaucoup de stress et de perplexité, d’autant que ce site a été lancé un mois seulement avant le début du hadj. Exit la myriade d’agences de voyages jusqu’alors agréées, au profit d’une société basée à Dubaï vendant des séjours clés en main.

Résultat, selon plusieurs sources : le nombre de voyageurs de France cette année, pour certains décontenancés, se situe bien en deçà du quota autorisé, qui était de 9 200. Et les pèlerins qui pensaient que le nouveau système permettrait d’endiguer la hausse continue des tarifs du hadj en ont été pour leurs frais.

Un désenchantement

« C’est le désenchantement : c’est le même prix qu’avec les agences, voire plus cher pour beaucoup moins bien », déplore Soundos El Moaddem, qui séjourne trois semaines dans les lieux saints de l’islam avec son mari et sa belle-mère pour plus de 8 000 € par personne, quand certains « packages » peuvent atteindre 13 000 € par pèlerin. Le nouveau hadj opéré par Motawif fait l’objet de nombreuses critiques sur les réseaux sociaux, qui pointent un manque criant d’accompagnement, voire une « désorganisation » sur le terrain.

Coût des carburants, taux de change défavorables, investissements dans les infrastructures répercutés sur les pèlerins : les raisons de la flambée des prix ces dernières années sont multiples. Cette hausse concerne notamment les « prestations terrestres », en particulier lors du séjour à Mina, cité célèbre pour ses tentes. « Le coup de bambou est là », estime le blogueur Fateh Kimouche (Al-Kanz), spécialisé dans l’économie islamique.

Très cher mouton

Qu’ils se rendent ou non à La Mecque, les musulmans connaîtront un autre temps fort dans les prochains jours : l'Aïd-El-Kébir, à partir du samedi 9 juillet. La « grande fête » (ou « fête du sacrifice », Aïd-El-Adha) commémore la soumission à Dieu d’Abraham, prêt à sacrifier son fils Ismaël – et non Isaac comme dans la Bible – jusqu’à ce qu’un mouton lui soit substitué in extremis.

Or cette année, le prix de la fameuse bête que chaque famille musulmane est invitée à sacrifier semble atteindre des sommets. Le mouton ou l’agneau, abattu selon un rituel spécifique et dans des abattoirs agréés, se vend entre 250 et 300 € en boucherie – un peu moins s’il est acheté vivant. Les prix peuvent grimper jusqu’à 400 € dans certaines grandes villes, tandis qu’ils se maintiennent en deçà de 200 € dans les terres de prédilection de l’élevage ovin (surtout le sud de la France).

Si le prix du mouton est une préoccupation coutumière – dans certains pays, des fidèles s’endettent pour s’en procurer un pour l’Aïd –, la hausse fait parler d’elle cette année, de la boucherie halal jusqu’à la mosquée. En cause, le contexte inflationniste et l’envolée du cours des matières premières due à la guerre en Ukraine… même si les ovins consommés en France n’ont guère d’origines ukrainiennes.

Nouveaux usages

« Avec la hausse des prix de l’énergie, transporter et abattre les bêtes nous coûte plus cher : nous avons donc dû rehausser un peu nos tarifs, reconnaît la gérante d’un abattoir de la région de Poitiers. Sans oublier l’augmentation des prix payés aux éleveurs, qui ont plus de frais qu’avant. » Le fait que l’Aïd tombe pendant un week-end pourrait aussi contribuer à cette dynamique, les abattoirs faisant payer plus cher leur prestation.

Les musulmans seront-ils moins nombreux à acheter un mouton entier en France, où environ 100 000 sont d’ordinaire sacrifiés lors de l'Aïd-El-Kébir ? La hausse des prix encourage de nouveaux usages, comme la vente à prix cassés sur le site Leboncoin ou encore le sacrifice « par procuration », désormais très en vogue.

Une galaxie d’ONG propose ainsi aux usagers d’accomplir le sacrifice en leur nom, leur envoyant parfois une vidéo de l’abattage en question. L’animal est ensuite offert à une famille dans le besoin, du Niger au Bangladesh en passant par Madagascar. Par ce biais, l’opération s’avère moins onéreuse (entre 100 et 170 €) tout en respectant l’esprit de l’Aïd. Traditionnellement, en effet, le mouton sacrifié doit être partagé au moins aux deux tiers.

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Des pèlerines sans « tuteur »

En 2021, l’Arabie saoudite a levé l’obligation pour les femmes de participer au grand pèlerinage à La Mecque avec un homme – à condition toutefois qu’elles s’y rendent en groupe. Auparavant, celles âgées de moins de 45 ans devaient impérativement être accompagnées d’un « tuteur » masculin, comme un frère, un père ou un mari. L’année dernière, les Saoudiennes avaient été les premières à bénéficier de cette autorisation, les pèlerins étrangers n’ayant pas eu accès aux lieux saints de l’islam en raison des mesures anti-Covid.

Cette ouverture s’inscrit dans le cadre des évolutions promues par le prince héritier Mohammed Ben Salmane, qui a lancé depuis 2017 plusieurs actions destinées à moderniser l’image du royaume, connu pour véhiculer une lecture puritaine de l’islam sunnite, le wahhabisme. Mais ces réformes ont été éclipsées par une répression implacable des critiques du pouvoir, dont plusieurs militantes féministes.

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Un temps d’unité islamique

Le grand pèlerinage sur les lieux saints de l’islam en Arabie saoudite demeure un facteur important d’unité et d’échanges entre les musulmans du monde entier. Pour les mystiques, le trajet constitue symboliquement le voyage vers l’unité divine.

La journée de prière et d’invocation sur le mont Arafat est le temps du fort du hadj. C’est sur ce mont que le prophète de l’islam Mohammed a fait son dernier sermon, il y a quatorze siècles, selon la tradition musulmane.

Après le coucher du soleil, les pèlerins doivent refluer sur la plaine de Mouzdalifa pour se préparer le lendemain à l’Aïd-El-Adha, qui consiste à immoler une bête à la mémoire d’Abraham. Ce dernier avait failli immoler son fils Ismaël (Isaac dans la tradition judéo-chrétienne) avant que l’ange Gabriel ne lui propose de sacrifier un mouton à sa place.

Les fidèles se consacrent ensuite à la lapidation des stèles représentant Satan à Mina, à 8 km de Mouzdalifa. Il faut jeter sept pierres le premier jour sur la grande stèle et vingt et un le lendemain ou le surlendemain sur trois autres stèles (grande, moyenne, petite).

Le pèlerinage se termine par des circonvolutions autour de la Kaaba, construction cubique s’élevant au centre de la Grande Mosquée sacrée de La Mecque. C’est vers elle que se tournent les musulmans du monde entier pour prier.