Violences sexuelles : une lettre ouverte dénonce les agissements de « rabbins prédateurs » 

Les faits 

Cinq personnalités juives ont publié un texte pour dénoncer le « silence » de la communauté à propos de « rabbins prédateurs ». Elles appellent les autorités rabbiniques à créer une instance de suivi et de prise en charge des victimes de violences sexuelles.

  • Juliette Paquier, 
Violences sexuelles : une lettre ouverte dénonce les agissements de « rabbins prédateurs »
 
Un texte publié par cinq personnalités juives dénonce les agissements de « rabbins prédateurs » (photo d’illustration).BARTLOMIEJ KUDOWICZ/FORUM/MAXPPP

« Demain, ou dans dix ans, un autre scandale d’abus sexuel par un rabbin français éclatera au grand jour et éclaboussera la communauté dans son ensemble. » C’est pour se prémunir contre cette prédiction que cinq personnalités de confession juive ont publié, mercredi 20 juillet, une lettre ouverte intitulée « Quand la communauté juive est la proie de rabbins prédateurs. Abus sexuels sous silence ? ».

Signé par Janine Elkouby, agrégée de lettres et présidente de l’Amitié judéo-chrétienne de Strasbourg, Hannah Ruimy, responsable pédagogique et enseignante, Sarah Bloch-Elkouby, docteure en psychologie clinique, le journaliste Michael Blum et l’avocat Emmanuel Bloch, le texte en appelle à la création d’une instance de contrôle, de recours et d’accueil des victimes juives.

Les signataires, réunis dans un groupe intitulé « Nous pour elles », invitent les personnes qui le souhaiteraient à se tourner vers eux pour signaler d’éventuels abus.

« Partie émergée de l’iceberg »

« Au cours de l’été 2020, notre groupe a interpellé par écrit les institutions consistoriales sur les sérieuses questions soulevées par les agissements d’un rabbin français », indiquent les auteurs de la lettre, évoquant le cas d’un homme accusé d’avoir entretenu des relations sexuelles violentes avec plusieurs femmes en abusant de sa position spirituelle.

Si ce rabbin a été expulsé depuis et ne peut plus exercer, les auteurs de la lettre estiment que les témoignages recueillis « ne représentent sans doute que la partie émergée de l’iceberg ». « D’autres victimes, juives ou non-juives, existent probablement par ailleurs, quand bien même nous ne connaissons ni leur nombre ni leurs noms », écrivent-ils.

Ils mentionnent plusieurs cas : celui d’un rabbin accusé de pédophilie, « actuellement directeur rabbinique d’un beth din (tribunal religieux, NDLR) et responsable de la cacherout dans sa région », ou encore « celui d’un rabbin qui aurait profité de sa fonction dans sa communauté pour abuser d’une dizaine de jeunes femmes ».

Création d’une instance

Face à cette situation, les auteurs de la lettre ouverte en appellent, à défaut d’avoir un pouvoir d’action pénale, à la création d’une instance qui soit à la fois un « lieu de recours pour les victimes potentielles », un « observatoire sur les questions liées aux mœurs sexuelles dans les institutions communautaires », mais aussi un lieu d’accueil et de soin pour les victimes, avec des « professionnels de la santé mentale, assistants sociaux, avocats, dirigeants communautaires, anciennes victimes, etc. ». « Demain, ou dans dix ans, le sort d’innocentes victimes dépendra des décisions qui auront été prises aujourd’hui », préviennent-ils.

Parmi les signalements reçus par le groupe constitué, ils évoquent le cas d’un rabbin condamné en 2016 « pour agression sexuelle » à deux ans de prison avec sursis et à dix ans d’interdiction d’activité professionnelle, « mais qui continue aujourd’hui d’exercer à Marseille, avec la bénédiction du consistoire ». Quelques jours après la publication de la lettre, le consistoire israélite de Marseille a retiré de son site Internet le nom de ce rabbin, qui figurait dans un annuaire.

« Il a été clairement établi lors (du) jugement que l’accusé n’avait et n’a toujours aucun lien direct ou indirect avec le consistoire israélite de Marseille. Aucune des démarches religieuses ou des actions rabbiniques entreprises par cet individu ne sont reconnues par le consistoire israélite de Marseille et ne le seront jamais », se défend l’institution consistoriale locale sur sa page Facebook.

Commission consultative déontologique

Interrogés par La Croix, les services du grand rabbin de France, Haïm Korsia, mettent en avant sa mobilisation sur la question des violences sexuelles. « C’est un sujet dont le grand rabbin a conscience depuis déjà longtemps », indique-t-on dans son entourage, en évoquant la mise en place d’une commission consultative déontologique composée de rabbins à la retraite, de juristes, de psychologues et de médecins, il y a un an, pour auditionner personnes victimes et mises en cause.

« Depuis une semaine, nous recevons chaque jour de nouveaux noms, alerte Michael Blum, contacté par La CroixNous ne nous substituons pas à la justice et ne voulons pas venger des victimes ; si un rabbin a usé de son autorité religieuse et morale pour agresser des fidèles, alors nous voulons tendre la main aux victimes, leur dire “on vous croit”, et alerter les autorités. »