« Comment pourrions-nous avoir la prétention d’enfermer Dieu dans un rite ? »

tribune
  • Jacques Turckprêtre du diocèse de Nanterre

Dans cette réflexion autour du texte du pape François sur la liturgie, le père Jacques Turck rappelle qu’il ne faut pas considérer que la liturgie seule permettra d’annoncer l’Évangile et reprend de ce point de vue les grands enseignements du concile Vatican II.

  • Jacques Turck, 
« Comment pourrions-nous avoir la prétention d’enfermer Dieu dans un rite ? »
 
Selon Jacques Turck, la liturgie est à la fois « complexe et simple ». (Photo d’illustration)PAWEL HOROSIEWICZ/ADOBE

Quelle magnifique lettre apostolique le pape François vient-il de nous envoyer avecDesiderio desideravi ! À son propos des chrétiens écrivent, téléphonent, s’insurgent, félicitent ou se scandalisent… Voici ce que j’essayerai de dire pour élever nos cœurs : Sursum corda !

La liturgie est à la fois complexe et simple. Complexe, car elle nous oblige à considérer en même temps plusieurs données : les fondements de la liturgie et son mystère, la réception d’un Concile, la sollicitude pastorale, la psychologie humaine, la réclamation du fils aîné de la parabole toujours à l’affût d’une injustice dont il se croit victime. Sursum corda ! Oui… si nous élevions les cœurs !

Relativiser (et non absolutiser) toutes les formes liturgiques

Simple, car quelles que soient les manières de célébrer, la nécessité de consentir à la médiation d’un rite nous oblige à relativiser (et non absolutiser) toutes les formes liturgiques quelles qu’elles soient. Dieu seul n’est pas relatif… mais il entre en relation avec nous en des réalités fragiles et relatives. Croyons-nous que célébrer de telle ou telle manière affecte Dieu ? Allons ! Dieu est au-dessus de notre prétention à savoir « bien » célébrer, dans une forme déterminée ou une autre, le mystère de son sacrifice et de la Cène !

Comment pourrions-nous avoir la prétention d’enfermer Dieu dans un rite ? dans une expression liturgique ? Laisser faire le rite pour qu’il porte sa fécondité est un adage fondamental de notre foi chrétienne. Laissons faire le rite, Dieu fait le reste. D’où l’importance d’être fidèle aux rites, avec notre raison et notre sensibilité. Que le travail du rite fasse son œuvre car au-delà ou au-dedans des mots, des gestes, des instruments ou des vêtements, le mystère de Dieu se dévoile et demeure. Mais aucun d’entre nous, en aucun rite, n’en fait le tour Si nous savions accueillir l’épaisseur de la condition humaine en tous ses méandres, nous ne pourrions la réduire à telle ou telle expression. Que dire alors de l’immensité de ce qu’il reste à découvrir de Dieu ?

Pour ma part la lettre du pape François, aussi pertinente soit-elle, invite à l’humour. Un humour qui tricote avec le sérieux de notre condition humaine, le sérieux de notre liturgie et, entre les deux, le petit fil d’or d’une autorité qui conduit à plus de maturité spirituelle et liturgique. Comment imaginer que, parce qu’on aura célébré en tel ou tel rite, tout serait résolu de l’annonce de l’Évangile !

Non pas sur les places publiques, mais de l’annonce de l’Évangile au cœur même de la communauté chrétienne qui la célèbre (lex orandi, lex credendi), là où la manière de prier dit le contenu de notre foi. Quelle lisibilité et intelligence avons-nous du lien entre les deux ? Soyons-en persuadés, ce lien sera toujours fragile et à reprendre. Seule la beauté (dont les critères sont aussi relatifs) peut nous déposer sur le seuil du mystère où Dieu nous donne rendez-vous en chaque liturgie.

L’opposition de Mgr Lefebvre à la liberté religieuse

Reste l’en deçà et l’au-delà de la réforme liturgique qui nous oblige à ne pas oublier le concile Vatican II. L’en deçà : au Concile, Mgr Lefebvre a donné son accord au décret sur la liturgie qu’il a lui-même voté de façon positive. Ce n’est pas la disparition du latin, ni la forme rituelle qu’il a mises en cause dans le Concile. C’est la liberté religieuse et l’ouverture au monde. C’est-à-dire la constitution pastorale Gaudium et spes et tout ce qu’elle représente comme ouverture à ce qui n’est pas l’Église. Une ouverture qui est reconnaissance qu’il existe d’autres conceptions du monde que celle qui est offerte par le christianisme. À dater du Concile, l’Église prenait acte qu’il ne saurait être question, par exemple, d’instaurer un État chrétien géré par des clercs ou par des laïcs qui leur seraient soumis.

L’autre acquis du Concile est précisément la mise en lumière d’une relation prêtre-laïc qui n’est pas une relation de subordination, mais de collaboration. À cela nous avons réfléchi au long des mois passés lors de la réflexion sur la « synodalité ». Enfin, même s’il apparaît plus technique, le troisième acquis fondamental du Concile se trouve en Lumen gentium (n. 8), dans la petite formule si riche de conséquence : ecclesia subsitit in… qui nous rappelle que l’Église est tout entière présente là où est l’évêque. C’est-à-dire en chaque Église particulière présidée par l’évêque. Elle apparaît alors comme une communion dont l’évêque de Rome est le serviteur. C’est donc bien avec raison que Benoît XVI hier et aujourd’hui le pape François cherchent à recréer des liens de communion par les divers motu proprio.

Il nous revient de faire circuler à son sujet des dynamismes de communion non seulement pour entrer avec humilité dans le mystère de la liturgie évoqué plus haut, mais, au-delà, pour avancer vers une annonce pacifique de l’Évangile pour les hommes et les femmes de ce temps-ci. N’est-ce pas le grand désir de Jésus, la veille de sa mort ? Même s’il est vrai que le ferment de division par l’échange de parole entre Lui et Judas était déjà présent ! Pour répondre à ce désir de paix et de compréhension mutuelle, l’Église prend encore aujourd’hui de multiples et fréquentes initiatives qui me réjouissent.