Catholiques et protestants : « Sortons du soupçon négatif ! »

Tribune
  • Père Pierre Lathuilière Prêtre du diocèse de Lyon

Dans ce texte, le père Pierre Lathuilière du diocèse de Lyon évoque les relations entre catholiques et protestants à travers la notion du soupçon, et rappelle que ce dernier n’est pas nécessairement négatif.

  • Pierre Lathuilière, 
Catholiques et protestants : « Sortons du soupçon négatif ! »
 
Les guides et Scouts de France ainsi que les éclaireurs se sont réunis pour une célébration œcuménique de la remise de la Lumière de la Paix de Bethléem, à l église Saint-Merri, à Paris, le 15 décembre 2013.CORINNE SIMON/CIRIC

« Soupçonne-moi du meilleur ! » Ces mots, je les ai trouvés un matin tagués sur les trottoirs de mon quartier. Intrigué, je suis allé consulter Internet et j’ai appris que cette formule « Soupçonne-moi du meilleur ! » avait été inventée le 22 septembre 2021 par un groupe lyonnais comme un appel pour notre temps. Ces mots renversent le sens le plus courant du mot « soupçon », qui comporte une dimension négative. Pendant que les débats authentiques se raréfient pour faire place aux monologues idéologiques ou aux combats de coqs à la négativité envahissante, cette apostrophe inscrite sur le bitume témoigne d’une certaine fraîcheur possible dans notre monde. Elle nous rejoint à la racine de nos comportements.

Le soupçon est ambigu. Il nous est nécessaire pour ne pas en rester à nos naïvetés infantiles. Procédant par des « peut-être », il n’est jamais péremptoire. Mais il arrive qu’il mène à des conclusions absolues et des jugements définitifs. Aussi faut-il prendre soin de soupçonner le soupçon, ne pas le laisser faire une œuvre souterraine de négativité tellement contagieuse. Très naturellement, il s’exerce d’abord à l’encontre des attitudes qui nous intriguent ou nous dérangent. Assez vite, il peut forger une réputation dommageable. Et c’est souvent sous cette forme que le soupçon se propage. D’où l’utilité de tourner le soupçon vers le meilleur.

Un manque de foi eucharistique ?

Il y a quelque temps, dans le cadre du ministère qui m’est confié au service de l’unité entre chrétiens, à la question posée sur la source du désintérêt manifesté par nombre de jeunes prêtres catholiques vis-à-vis du rapprochement œcuménique, la réponse suivante m’a été donnée : « Vous savez, ils ont souvent été choqués par le manque de foi eucharistique de certains de leurs aînés. » Cette réponse m’a semblé marquée par un double soupçon négatif. Le premier est celui, rapporté, de jeunes prêtres à l’égard de leurs aînés dans le ministère. Renversons le soupçon : en ont-ils parlé avec eux de sorte que ces conclusions sur le « manque de foi » soient corroborées par des échanges ?

Quelle différence y a-t-il entre chrétien et catholique ?

Un deuxième soupçon, moins visible mais non moins efficace, habite ce diagnostic : c’est le soupçon que la principale différence entre catholiques et protestants porte sur la foi eucharistique, ce qui, comme tous les soupçons (qu’ils soient positifs ou négatifs), mérite d’être vérifié. Sur ce point, je crois qu’il nous faut user du soupçon positif : pour avoir vu communier, à diverses reprises, des frères et sœurs protestants, je soupçonne derrière leur recueillement et leur prière une authentique foi chrétienne, selon ce qu’il est écrit dans la déclaration commune luthéro-catholique « Du conflit à la communion », signée en 2014 « Luthériens et catholiques peuvent affirmer ensemble la présence réelle de Jésus-Christ dans le repas du Seigneur : “Dans le sacrement de l’Eucharistie, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est pleinement et entièrement présent, avec son Corps et son Sang, sous le signe du pain et du vin” (1). »

Un peu de nuance

Un peu de nuance devrait pouvoir nous sortir de l’injustice et de la perpétuation du conflit. « Soupçonne-moi du meilleur ! » est un slogan pacifique pour notre temps où la mondialisation s’accélère, où gagne l’ère du soupçon négatif entre les humains alors qu’ils sont appelés à se rencontrer toujours davantage. L’autre dont la présence me dérange ou m’inquiète, dont la différence me trouble ou me perturbe, c’est aussi un être aimé de Dieu. C’est pour cela que nous sommes appelés à prier aussi pour nos ennemis, puisque Dieu fait briller sur eux son soleil et tomber sa pluie.

Ce que Dieu aime à soupçonner en nous, il nous l’a appris par Jésus : c’est la foi. Le manque de foi, c’est trop évident, pour lui c’est presque de l’ordre du constat : « Le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre (2) ? » Mais ce qu’il cherche, ce qu’il craint de ne pas rencontrer en notre humanité, c’est notre confiance en Dieu. Et c’est le secret de cette confiance qu’il nous a donnée et nous donne encore.

« Il faut le faire »

Il y a peu, sur RCF, une amie pasteure témoignait comment, dans son ministère en hôpital à Lyon, elle a été amenée à rencontrer un malade du sida auquel elle s’est présentée comme membre de l’aumônerie catholique-protestante de l’établissement. Le malade en question lui a répondu : « Vu ma situation, vous vous doutez que je n’ai pas vraiment besoin de vos services, mais une aumônerie commune entre protestants et catholiques, après tout ce que vous vous êtes mis dessus, il faut le faire ! » Oui, « il faut le faire ». C’est ainsi que l’on peut faire soupçonner le meilleur, ce que le Christ a demandé pour ses disciples : « Qu’ils soient un (3) ! »

« Soupçonne-moi du meilleur ! » nous aide à suivre le Christ. Car il n’a pas cessé de faire apparaître à nos yeux ce que Dieu aime à faire naître dans les cœurs humains. Si le Père ne cesse pas de soupçonner positivement notre foi, c’est parce qu’il cherche en nous le meilleur, ce que notre humanité lui a déjà offert en son Fils.

(1) Le Repas du Seigneur § 16.

(2) Luc 18, 8b.

(3) Jean 17, 21.