Remous à la tête de l’Union des oulémas, vitrine théologique des Frères musulmans 

Analyse 

Le président de l’Union internationale des savants musulmans (oulémas), le Marocain Ahmed Raïssouni, a démissionné après avoir tenu des propos jugés inacceptables en Algérie et en Mauritanie. La polémique intervient alors que les Frères musulmans, auxquels cette organisation est liée, traversent une période difficile.

  • Benoît Fauchet, 
Remous à la tête de l’Union des oulémas, vitrine théologique des Frères musulmans
 
Le prédicateur marocain Ahmed Raïssouni a démissionné de la présidence de l’Union internationale des savants musulmans (oulémas).ABDELHAK SENNA/AFP

Ses propos s’inscrivant dans la rhétorique expansionniste du « grand Maroc » ont provoqué la fureur de nombreux commentateurs algériens – soutiens du Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui – et mauritaniens.

Ces dernières semaines, lors d’entretiens accordés aux chaînes maghrébines en ligne Blanca et Awras TV, le prédicateur marocain Ahmed Raïssouni a, pêle-mêle, estimé que « l’existence même de la Mauritanie (était) une erreur », une « invention coloniale », et prévenu que les oulémas (savants musulmans) du royaume chérifien seraient prêts à « marcher sur Tindouf », ville algérienne située non loin du Sahara occidental, si le souverain du Maroc Mohammed VI le leur demandait.

Figure du PJD

Des paroles potentiellement incendiaires dans la région, et qui ont pu surprendre. Car Ahmed Raïssouni, 69 ans, n’est pas qu’un théologien marocain éminent, considéré comme l’idéologue du Parti de la justice et du développement (PJD), islamiste et conservateur. Il était surtout, jusqu’à dimanche 28 août, le président de l’Union internationale des savants musulmans (UISM), organisation basée à Doha (Qatar) qui fait office de vitrine théologique de l’islam politique prôné par la confrérie d’origine égyptienne des Frères musulmans.

Ulcérée, l’Association des oulémas algériens a annoncé le gel de sa participation à l’UISM, dans l’attente d’« excuses claires, nettes et précises » de la part d’Ahmed Raïssouni ou de « sa démission pure et simple ». Son homologue mauritanienne s’est, elle, contentée d’indiquer que son « respect pour les frères du Royaume du Maroc ne (pouvait) se faire au détriment de la souverainetémauritanienne ».

« Liberté d’expression »

Manifestement contrarié, le cheikh qatari – d’origine kurde irakienne – Ali Al-Qaradaghi, secrétaire général de l’UISM, a souligné que le président Raïssouni s’était exprimé « en son nom propre », tout en estimant que ses propos posaient « problème ». L’intéressé a préféré démissionner plutôt que de s’excuser, défendant « sa liberté d’expression sans conditions ni pressions », dans un communiqué diffusé dimanche 28 août.

Le Qatar, émirat protecteur des Frères musulmans, aurait-il poussé Ahmed Raïssouni vers la sortie, notamment pour ménager ses relations avec l’Algérie ? C’est une possibilité que n’écarte pas Haouès Seniguer, spécialiste de l’islamisme. « Le Qatar est un soutien indéfectible des organisations islamistes légalistes. Mais il est aussi soucieux de ses bonnes relations interétatiques, indique à La Croix ce politiste. En fonction des intérêts, l’idéologie passe au second plan. »

« Crise depuis un moment »

Fondée en 2004 par Youssef Al-Qaradawi, théologien « frériste » de référence aujourd’hui affaibli (95 ans) et persona non grata dans de nombreux pays, l’UISM a fort à faire pour concourir au leadership sur le sunnisme, face à des institutions comme la Ligue islamique mondiale (saoudienne) ou le grand imam d’Al-Azhar (égyptien), qui vilipendent la dangerosité de son islamisme.

L’organisation se serait bien passée de la démission de son président alors que les Frères musulmans, de l’Égypte au Maroc en passant par la Tunisie, « vivent une crise depuis un moment », soulignent Haouès Seniguer.

Pour autant, l’UISM devrait survivre au départ d’Ahmed Raïssouni, commente le politologue. « Il y a de la ressource au sein de cette organisation, où d’autres acteurs bénéficient d’un capital symbolique fort auprès de beaucoup de musulmans observants. »