À Paris, les débuts du judaïsme « orthodoxe et moderne »
Myriam et Émile Ackermann, rabbins en formation, ont célébré dimanche 25 septembre le premier office de Roch Hachana, le Nouvel An juif. Ensemble, ils ont fondé une nouvelle communauté Kéhila Ayeka,qui s’inscrit entre le judaïsme du Consistoire et le courant libéral.
Quelques chaises en plastique, des paravents en tissu blanc, et des bibliothèques remplies de livres en hébreu composent le décor de la première synagogue de la communauté « orthodoxe et moderne » de France, au dernier étage d’un immeuble de l’Est parisien. Ce dimanche 25 septembre, au premier soir de Roch Hachana, le Nouvel An juif, une quinzaine de fidèles sont rassemblés autour de Myriam et Émile Ackermann, les fondateurs d’une nouvelle communauté Kéhila Ayeka, installée en juillet.
Cette célébration marque l’aboutissement d’un parcours commencé en 2017, lorsque les deux rabbins en formation, alors âgés de 20 ans, se rencontrent, se fiancent et se marient. Ils décident très vite de créer un groupe d’étude à destination de « ceux qui n’avaient pas accès à l’étude approfondie des textes fondateurs du judaïsme, notamment les femmes », retrace Émile Ackermann.
Portés par leurs amis et face à l’absence d’une orthodoxie moderne en France – un courant surtout développé en Israël et aux États-Unis –, ils décident de créer leur communauté pour implanter cette sensibilité du judaïsme dans le pays, proche de la tradition et du respect des règles de la loi juive (halakha), tout en ouvrant aux femmes l’étude, la possibilité d’officier ou de lire la Torah. Une forme de « troisième voie » entre le judaïsme porté par le Consistoire israélite de France, institution créée par Napoléon pour représenter le culte juif en France, et le courant libéral, davantage ouvert sur la société et la réinterprétation de la tradition.
En ce premier soir de Roch Hachana, leurs soutiens de la première heure, comme Alicia, 40 ans, ont répondu présent à l’invitation. Mère de trois enfants en bas âge, elle est venue avec son mari, inspirée par cette mouvance du judaïsme qu’elle avait découverte en Israël et qui « manquait en France ». « Dans les communautés françaises, soit la tradition est adaptée de manière trop légère et il y a une perte, soit il faut accepter que la femme soit derrière, dans un espace séparé, avec une position de spectatrice », déplore-t-elle. Sans être « dogmatique », Alicia affectionne l’« équilibre » trouvé par Kéhila Ayeka.
C’est cet équilibre qui a poussé Fanny, 32 ans, à venir dimanche, bien qu’elle ne se rende d’habitude pas à la synagogue pour le premier soir de Roch Hachana. Elle, qui n’est « pas issue d’une famille religieuse », ne se sentait « pas accueillie » dans les synagogues traditionnelles et salue cette vision « moins fermée » du judaïsme. À ses côtés Julia, 33 ans, se réjouit d’« avoir désormais le choix ». Ayant déjà étudié le Talmud et la Torah dans un centre d’études de Jérusalem, elle apprécie d’être autorisée à « interpréter les textes », tout en ayant un « cadre » qui permet de « maintenir la tradition, la culture et l’histoire juives ».
Arnaud, lui, a entendu parler de la communauté « par hasard », habitant dans la rue d’à côté. « À partir du moment où l’office n’est pas consistorial et est égalitaire, ça me convient », sourit simplement ce quinquagénaire. Lui non plus n’est pas un habitué de la synagogue, qu’il fréquente habituellement pour Kippour (fête du Grand Pardon, célébrée dix jours après Roch Hachana), chez les libéraux de Judaïsme en mouvement.
« Les Ackermann ont cristallisé une demande, face à l’ultra-orthodoxie qui gagne le Consistoire », considère la sociologue émérite Martine Cohen, spécialiste du judaïsme au CNRS, convaincue que « beaucoup de juifs de France sont mécontents des dérives antimodernes et intolérantes de l’institution ». À ses yeux, un terreau propice à l’émergence d’une telle communauté en France s’est développé depuis une dizaine d’années, avec la multiplication des initiatives de lecture de textes par les femmes sous l’égide de la chercheuse et talmudiste Liliane Vana, ou de Joëlle Bernheim, l’épouse de l’ancien grand rabbin de France.
Si Émile Ackermann, son bébé dans les bras, mène l’office, en tant que fin connaisseur de la liturgie ashkénaze – il est le petit-fils du chantre de la communauté orthodoxe de Strasbourg –, c’est sa femme Myriam qui conclut ce temps de prière, par une explication de la « techouva », ce processus de repentance central en ce mois de Tichri.