À Bahreïn, la tolérance religieuse comme outil de « soft power »
Le pape François entame jeudi 3 novembre une visite de quatre jours à Bahreïn, placée sous le signe de la « tolérance religieuse ». Depuis 2017, la monarchie du golfe Persique multiplie les efforts diplomatiques pour promouvoir ce qu’elle présente comme une marque de fabrique.
Pour sa première visite à Bahreïn, petite île située en plein cœur du golfe Persique, le pape François participera, ce jeudi 3 novembre, à un forum interreligieux mondial. Cet événement, organisé sous le patronage du roi bahreïnien Hamed Ben Issa Al Khalifa en présence du grand imam d’Al-Azhar et d’autres dignitaires religieux, a pour but de promouvoir « la coexistence humaine ».
« Ce n’est pas seulement un leitmotiv pour nous », explique Houda Nonoo. Cette ancienne ambassadrice de Bahreïn aux États-Unis est de confession juive : une petite communauté composée d’une centaine de membres dans ce royaume de 1,4 million d’habitants. « Nous avons la chance de vivre dans un pays arabe qui offre aux citoyens et aux résidents les mêmes opportunités indépendamment de leur religion », ajoute-t-elle.
Bien que l’islam soit la religion d’État et que la charia (la loi islamique) soit en vigueur, l’article 22 de la Constitution garantit aux résidents du pays les libertés de conscience et de pratiquer leur culte. En plus d’une synagogue, de temples bouddhistes et hindous, le royaume, où la population est majoritairement d’origine étrangère, abrite aussi plusieurs églises chrétiennes. L’une d’elles a été construite en 1939. Une cathédrale – le plus grand lieu de culte catholique de la péninsule arabique – est par ailleurs opérationnelle depuis la fin 2021. Selon certaines estimations, il y aurait dans le pays environ 80 000 catholiques, principalement originaires d’Asie du Sud-Est.
Le dialogue interreligieux comme stratégie diplomatique
La visite du pape François à Manama, la capitale, doit mettre en lumière « la capacité de Bahreïn à tirer parti de sa tolérance religieuse pour amplifier son rayonnement international », analyse Hasan Alhasan. Un « outil de soft power » qui, selon ce chercheur bahreïnien associé à l’Institut international d’études stratégiques (IISS), basé à Londres, a permis au royaume de « nouer des relations avec d’autres acteurs ». En septembre 2020, Bahreïn a par exemple signé les « accords d’Abraham » et ainsi normalisé ses relations diplomatiques avec Israël.
Cette stratégie centrée sur le dialogue interreligieux n’est pourtant pas si récente dans le royaume. L’année 2017 marque le point de départ. Une déclaration officielle prônant la « tolérance religieuse » avait alors été publiée. « L’ignorance est l’ennemi de la paix. Il est donc de notre devoir d’apprendre, partager et vivre ensemble en accord avec les préceptes de la foi, dans un esprit de respect mutuel et d’amour », avait déclaré le roi Hamad. Depuis, les initiatives dans ce domaine se sont multipliées. Un Centre mondial du roi Hamad pour la coexistence pacifique a ainsi été créé un an plus tard. Une chaire dédiée à l’étude des « interactions pacifiques entre religions » a par ailleurs été ouverte à l’université de La Sapienza à Rome.
Des critiques derrière la vitrine
Derrière cette vitrine, plusieurs organisations de défense des droits humains ont néanmoins exprimé leur inquiétude après l’annonce du déplacement du pape. Le deuxième dans le golfe Persique après son séjour aux Émirats arabes unis en 2019. Dans un communiqué, l’association Americans for Democracy & Human Rights in Bahrain (ADHRB), basée à Washington, lui a notamment demandé de renoncer à sa visite « dans un pays qui pratique des discriminations religieuses au quotidien ».
Dans ce royaume dirigé par la dynastie sunnite des Al Khalifa depuis 1783, la majorité de la population serait d’obédience chiite bien qu’il n’existe pas de recensement officiel sur ce point. « Tous les chiites de Bahreïn sont considérés (par les autorités) comme des agents de la République islamique d’Iran, pour laquelle ils travailleraient au renversement du régime », affirme cette association. En particulier depuis le mouvement de contestation populaire né en 2011 dans le sillage des « printemps arabes » tunisien et égyptien.
« L’Iran a cherché à exploiter les tensions confessionnelles qui ont éclaté en 2011 en soutenant les groupes d’insurgés chiites », explique Hasan Alhasan. Si les tensions se sont, selon lui, « atténuées », c’est que les autorités « ont adopté une ligne plus dure contre les groupes islamistes ». Le chercheur bahreïnien fait notamment référence à la dissolution en 2016 de l’un des principaux mouvements d’opposition chiite du pays, Al-Wifaq. Pour lui, « Bahreïn trace une ligne claire entre la liberté de pratiquer sa religion, que le royaume soutient activement, et la politisation de l’identité religieuse, à laquelle il s’oppose ».