Le règne du Christ
Pie XI a instauré la solennité du Christ Roi de l’univers, fêtée cette année dimanche 20 novembre. Il y a cent ans, il publiait l’encyclique Ubi arcano Dei consilio « sur la paix du Christ dans le règne de Dieu ». Quel est donc ce règne ? Quel type de roi incarne le Christ ?
Quelle est l’origine de la fête du Christ Roi ?
Le pape Pie XI a instauré en 1925 la fête du Christ Roi, qui était célébrée le dernier dimanche d’octobre. La réforme du calendrier liturgique, menée par le concile Vatican II (1962-1965), l’a déplacée au dernier dimanche de l’année liturgique, avant l’Avent et la Nativité du Christ.
Quand Pie XI publie en 1922, onze mois après son élection, sa première encyclique Ubi arcano de consilio, sur la paix du Christ dans le règne de Dieu, il défend la primauté du Christ et de l’Église sur une société matérialiste en voie de déchristianisation. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, celui qui a pour devise pontificale « À la recherche de la paix du Christ par le Règne du Christ », constate que la société n’a pas retrouvé « une véritable paix ».
Elle est au contraire menacée par une grave crise qui trouve sa source, entre autres, dans les « attaques » entre États et les « conjurations » politiques, la lutte des classes, la « désagrégation » de la cellule familiale, la paresse, l’impudicité… En pleine éclosion du fascisme, du nazisme et du communisme, il dénonce aussi les «convoitises déréglées » et l’idolâtrie de la patrie et de la race qui « dégénère(nt) en nationalisme immodéré », en niant les « rapports de fraternité » au sein de la « famille humaine ».
S’il est en faveur d’un ordre social chrétien, qui oriente les individus, la famille et la société (« seule l’Église de Dieu (peut) assurer toute prospérité même temporelle, à la société humaine »), Pie XI souligne que la « pacification des esprits » passe par une conversion intérieure. « Il y a bien peu à attendre d’une paix artificielle et extérieure qui règle et commande les rapports réciproques des hommes comme ferait un code de politesse ; ce qu’il faut, c’est une paix qui pénètre les cœurs, les apaise et les ouvre peu à peu à des sentiments réciproques de charité fraternelle. Une telle paix ne saurait être que la paix du Christ. »
Au fil de son pontificat (de 1922 à 1939), et face aux menaces totalitaires qui se précisent, il s’attache à la figure d’un roi déroutant. Celle d’« un Christ affirmant sa royauté dans l’humiliation, homme pour les autres, solidaire des petits et des pauvres, livrant sa vie pour eux, pardonnant à ses bourreaux, traçant le chemin de la vérité », résume la xavière Marie-Thérèse Desouche (1). Un contre-modèle absolu, au regard des prétentions des nouveaux guides suprêmes, rouges ou bruns.
Jésus a-t-il été reconnu comme roi à son époque ?
Roi, Jésus de Nazareth l’est bien, mais il va subvertir l’image qu’on s’en fait. Christ, en grec (messie, en hébreu), signifie « celui qui a reçu l’onction ». Ce geste fait référence, dans la tradition juive, au rituel d’onction d’huile qu’un prêtre ou un prophète pratique sur celui qui va devenir roi. Samuel, par exemple, donne l’onction à Saül (1 S 10, 1) et à David (1 S 16, 31).
Durant tout son ministère, Jésus est confronté aux attentes de ses contemporains, qui espèrent un roi capable de les délivrer de l’occupant romain et de leur apporter la paix. Mais il y a un malentendu que le Christ ne veut pas entretenir. « Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors, de nouveau, il se retira dans la montagne, lui seul » (Jn 6, 15). S’il ne dément pas Nathanaël qui reconnaît sa dimension messianique (« Tu es le roi d’Israël », Jn 1,49), il accepte de recevoir ce titre quand il est associé à l’humilité.
Lorsqu’il monte à Jérusalem sur son petit âne, la foule dit : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur » (Lc 19, 38). À Pilate qui l’interroge (au chapitre 18 de l’Évangile de Jean) : « Es-tu le roi des Juifs », il précise : « Ma royauté n’est pas de ce monde. » Il est venu, lui, « rendre témoignage à la vérité ». La Passion, au chapitre 19, dévoile le vrai visage du roi. Présenté comme tel à la foule, Jésus obtient pour toute réponse : « Crucifie-le ! » Il est bien affublé des attributs royaux : la couronne, mais elle est d’épines ; le manteau de pourpre, mais il est maculé de sang. Les soldats lui disent : « Salut à toi, roi des Juifs ! », mais ils le giflent. Au-dessus du corps supplicié du Christ, Pilate fait placer l’écriteau : « Jésus, le Nazaréen, roi des juifs. »
Quel type de roi Jésus incarne-t-il ?
Dans les Évangiles, Jésus parle abondamment du Royaume de Dieu (lire ci-contre). Mais c’est surtout par sa manière d’être et de faire qu’il révèle la nature de sa royauté. Dans ses commentaires liturgiques (2), le jésuite Marcel Domergue (1922-2015) rappelle que nous participons, nous-même, de cette royauté. « La “Royauté” du Christ subsiste, dit-il. Pourquoi ? Parce que, finalement, cette royauté ne s’exerce que par l’attraction de l’amour et l’amour, même nié et renié, bafoué, parfois ridiculisé, subsiste toujours au plus profond de l’homme. Cet amour, cet attrait de l’amour est en lui l’empreinte du créateur, ce qui nous fait images de Dieu. »
Le Christ roi ne nous asservit pas mais nous libère. Son règne « ne s’exerce pas sur nous, il s’exerce sur ce qui nous asservit. Il est libération. C’est pour cela que nous ne sommes pas déclarés sujets du Royaume mais héritiers du Royaume, donc appelés à “régner” avec le Christ. Nous sommes appelés à dominer tout ce qui nous domine. Or tout ce qui nous domine, tout ce qui a pouvoir sur nous, nous conduit finalement à la mort ». Et c’est de celle-ci que Jésus vient, in fine, nous délivrer par sa mort et sa résurrection. « Parce que la Croix affiche son refus du mal, son refus de la puissance, son refus de la vengeance, son refus de la violence, elle devient le trône royal où le Christ s’élève. »
DANS LA BIBLE.« Jésus est un roi qui sauve, guide et console »
Père Gérard Billon, bibliste, président de l’Alliance biblique française.
« Jésus est un roi qui sauve. On le voit dans tous ses miracles de générosité : il nourrit son peuple, il lui rend la santé, il le libère de ses prisons intérieures et extérieures. En libérant les corps, il réintègre les malades dans la société. Il est aussi un roi berger qui guide, soigne et console. Jésus multiplie les paraboles pour ouvrir nos yeux d’aveugles spirituels, nos intelligences et nos cœurs sur le royaume qu’il inaugure. Contrairement à un royaume humain, il ne s’agit pas d’un espace délimité, ni de quelque chose de statique. Le royaume de Dieu est plutôt un processus auquel Jésus veut nous associer. Ce royaume est tout petit mais il a un pouvoir de transformation extraordinaire comme l’illustre la parabole du levain dans la pâte (Lc 13, 21). Il est de notre liberté et de notre responsabilité d’y collaborer. Au moment du jugement, en Matthieu 25, c’est Jésus en tant que roi qui nous demande si nous avons, comme lui, nourri, donné à boire, accueilli, habillé, visité ceux qui en avaient besoin. »
(1) « Pie XI, le Christ Roi et les totalitarismes », Nouvelle revue théologique n° 130, octobre-décembre 2008.
(3) Disponibles sur Croire.la-croix.com/Paroisses/Ressources/Les-homelies