Iran : des voix critiques s’élèvent dans le clergé
Depuis le début de la contestation qui a suivi la mort de la jeune Mahsa Amini, des Iraniens expriment leur rejet du clergé chiite souvent assimilé au régime. Ce dernier ne fait pourtant pas l’unanimité parmi les clercs, dont certains appellent même à une réforme du système.
Les vidéos de « tombage » de turban sont devenues virales sur les réseaux sociaux iraniens depuis le début du mouvement de révolte déclenché par la mort de Mahsa Amini le 16 septembre. On y voit des jeunes faire tomber le turban de la tête des mollahs et s’enfuir après en courant. Ce geste irrévérencieux exprime la colère d’une grande partie du peuple – les jeunes surtout – face à une institution au pouvoir dont les excès et la corruption suscitent un grand rejet.
Pourtant, au sein du clergé chiite, des voix discordantes se font entendre. S’il ne semble pas que des mollahs aient fait partie des cortèges, certains clercs importants ont critiqué fermement la répression des manifestants en s’appuyant sur des points de leur doctrine. « Le peuple a le droit de critiquer les dirigeants de la société musulmane, que la critique soit justifiée ou non », a affirmé l’ayatollah Javad Alavi Boroujerdi, petit-fils du très célèbre ayatollah Hossein Boroujerdi (dont l’imam Khomeyni fut l’élève), cité par l’agence Shafaqna News. Un autre grand ayatollah, Assadollah Bayat-Zanjani, avait critiqué, dès la mort de Mahsa Amini, la police des mœurs et son comportement répressif qu’il jugeait contraire à l’islam.
« Dès le départ, la présence de clercs au pouvoir était une erreur »
« Il est difficile néanmoins d’affirmer que ceux-ci représentent un courant majoritaire du clergé », estime Eva Zahiri, docteure en histoire de la pensée islamique contemporaine de l’École pratique des hautes études et enseignante à Sciences Po. Des centaines de religieux sunnites iraniens ont également pris position pour les manifestants, selon le média kurde Rudaw, certains appelant le clergé chiite à « sortir du silence ».
Des religieux réformateurs soutiennent eux aussi explicitement certaines revendications des manifestants, comme Mohammad Khatami, clerc et ancien président de l’Iran (de 1997 à 2005) qui a récemment déclaré que « la solution la moins coûteuse est la réforme du système lui-même. »
Des mollahs sont inquiets de l’image que le régime renvoie du clergé. « Dès le départ, la présence de clercs au pouvoir a été une erreur, a déploré Mohammad Taghi Fazel Meybodi, professeur au séminaire de Qom, cité par l’agence de presse Fararu. Beaucoup de clercs connus dans la société ont, par leurs excès, amené les jeunes générations à considérer l’hostilité au clergé comme un symbole de liberté. »
D’autres critiques mettent en cause l’existence de la police des mœurs ou encore la contrainte du port du voile. Il y a également la volonté de ne pas opposer manifestants et islam. « Certains s’interrogent sur le régime lui-même : ses origines, ses fondements, son fonctionnement, dans une optique de réforme interne », estime Eva Zahiri. Il n’existe cependant pas de figure religieuse très influente à même de peser contre le régime et, parmi les manifestants, l’option d’une réforme de l’intérieur du régime n’est plus jugée très crédible.
Soutenir le régime par défaut
L’opposition cléricale en Iran ne va pas jusqu’à la remise en cause de la République islamique. « La plupart des clercs considèrent qu’il n’y a pas véritablement d’alternative politique claire et définie », explique Eva Zahiri. Depuis 1979, le clergé est en effet intrinsèquement lié à l’État : beaucoup de mollahs sont eux-mêmes des fonctionnaires. C’est pourquoi de nombreux clercs continuent à soutenir le régime par défaut, tout en insistant sur la nécessité de réformes profondes.
À l’étranger, certains anciens clercs sont explicitement opposés au régime. Comme Mohsen Kadivar, aux États-Unis, qui prône un changement de régime et une démocratie. Ou encore Hassan Youssefi Echkevari, ancien clerc emprisonné puis exilé en Allemagne, ardent critique du système en place.
Dès le début de la formation de la République islamique en 1979, de nombreux religieux s’étaient opposés au régime clérical. « En instituant la doctrine – minoritaire dans l’islam chiite – du velayat-e faqih qui étend les prérogatives du clergé à la sphère du gouvernement, Khomeyni a révolutionné le droit et la théologie politique chiites, rappelle Eva Zahiri. Face à ce système inédit, des clercs ont réaffirmé la conception classique de l’institution religieuse », selon laquelle le clergé est avant tout une référence morale et juridique. Celui qui est souvent considéré comme le plus grand ayatollah vivant, Ali Al Sistani, iranien mais basé à Nadjaf en Irak, s’est lui-même toujours opposé au système de gouvernance de l’Iran, qui donne selon lui trop de pouvoir politique aux religieux.
Les titres du clergé iranien
Le mollah, ou « maître » en arabe, est un clerc chiite. Il n’est pas cantonné à des fonctions cléricales mais peut aussi être juge, professeur ou, plus récemment, homme politique.
Le terme ayatollah, qui signifie « signe de Dieu », est le titre le plus élevé du clergé chiite. Les plus reconnus atteignent le statut de marja-e taqlid, « source d’imitation ». Cela signifie que leurs interprétations juridiques peuvent être citées comme des références.