Islam : Eljay, Boussena, Abou Anas, Iquioussen… Les imams stars des réseaux sociaux

Comme le désormais célèbre Hassan Iquioussen, de nombreux prédicateurs musulmans sont extrêmement actifs sur les réseaux sociaux. Vidéos sur YouTube, stories sur Instagram ou cagnottes en ligne, ces imams maîtrisent tous les codes d’une jeunesse ultraconnectée.

Par Jeanne Le Bihan
Mis à jour le 1 décembre 2022 à 17:17
 
 
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Capture d’écran d’une vidéo de Rachid Eljay. © DR / Facerbook Rachid Eljay.

 

« Le but, c’est que toute votre famille puisse participer et profiter pleinement des sciences religieuses dans une ambiance spirituelle, à la maison », explique Rachid Eljay dans une vidéo publiée le 4 novembre sur sa chaîne YouTube. Avec 2,28 millions d’abonnés, le prédicateur est sans doute le plus influenceur des influenceurs islamiques francophones.

Et comme les autres célébrités du web, l’imam franco-marocain en respecte tous les codes, y compris ceux de la publicité : avant de dévoiler le contenu de « Applique ça vite et tu gagneras le paradis إن شاء الله [ndlr : inch’Allah]”, Rachid Eljay promeut Dini TV, plateforme de streaming dont il est l’un des principaux intervenants, et propose même un code de réduction pour l’abonnement fixé à 29 € par mois.

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Créée en 2020, Dini TV – de l’arabe « ma religion » — émet depuis les Émirats arabes unis. La plateforme propose, sur le modèle de Netflix ou de Disney+, des vidéos à la demande autour de la religion musulmane : cours de cuisine, d’arabe, d’histoire, conférences religieuses délivrées par des intervenants « connus pour leur pédagogie et leur compréhension éclairée et équilibrée », et populaires sur les réseaux sociaux, comme Rachid Eljay.

Le site d’information Mediapart revient dans une enquête publiée le 12 novembre sur les dessous et les acteurs de la plateforme consacrée à un islam conservateur, et met en lumière des prédicateurs connectés misant sur les réseaux sociaux pour gagner en influence et diffuser une pensée (ultra)conservatrice. À l’image de l’imam Hassan Iquioussen – visé par un arrêté d’expulsion en France et incarcéré en Belgique en novembre – qui fait la une de la presse française depuis l’été 2022, ces orateurs musulmans combinent hypermodernité numérique et ultraconservatisme religieux.

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Comme Rachid Eljay, les imams connectés ont gagné en popularité ces dernières années via des chaînes YouTube ou des comptes personnels, mais aussi à travers des tremplins de diffusion consacrés à l’islam. L’Association Darifton Prod, hébergée en Moselle mais à la domiciliation bancaire belge, met régulièrement en ligne pour ses 170 000 abonnés les conférences de prédicateurs qui se font ainsi connaître du grand public : Mehdi d’Islammag, Mohammed Nadhir, Alain Ali, Vincent Souleyman – lequel possède aussi sa chaîne personnelle.

Voici une sélection subjective des principales figures de cet islam connecté, accessible au plus grand nombre, et surtout aux plus jeunes.

Rachid Eljay, influenceur aux millions d’abonnés

Grand sourire ou mine sérieuse, Rachid Eljay, 42 ans, est un bon orateur. La preuve en est ses 800 000 abonnés sur Instagram. Une image soignée bien éloignée de celle qu’il renvoyait à ses débuts sur les réseaux sociaux, dans les années 2010.

L’imam franco-marocain, qui a longtemps officié à la mosquée Sunna de Brest, dans le quartier Europe, a été, en 2019, victime d’une tentative d’assassinat par balles. Auparavant connu sous le nom de Rachid Abou Houdeyfa – marque déposée en 2015 –, il avait créé la polémique en 2014 après avoir déclaré dans une vidéo destinée à un auditoire d’enfants que ceux qui chantent, écoutent de la musique ou jouent d’un instrument seraient « engloutis par la terre » et « transformés en singe et en porc ». François Hollande, alors président, avait déclaré en 2016 sur France 2, à la suite de la polémique, que l’imam était « inquiété » par une « procédure judiciaire », ce qui n’était pas le cas.

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Exit la barbe fournie et les propos trop polémiques, Rachid Eljay a abandonné sa kunya – surnom composé de Abou (père) suivi du prénom du fils – et développe aujourd’hui une influence plus moderne. Il est passé du salafisme au malékisme. Avec des vidéos aux titres accrocheurs, « L’islam, c’est pas le McDo… tu fais pas ce que tu veux », ou « Sois pas triste, tout ira mieux », le prédicateur propose un contenu destiné à un jeune public habitué aux vlogs et vidéos.

Abdelmonaïm Boussena, cofondateur de Dini TV

Imam de la mosquée de Roubaix, Abdelmonaïm Boussena est un proche de Rachid Eljay. Les deux prédicateurs ont créé ensemble Dini TV, où on les voit donner en duo des conférences religieuses. Âgé de 31 ans, l’imam d’origine marocaine a lui aussi sa propre chaîne YouTube, avec près de 900 000 abonnés.

Comme Rachid Eljay, il y discute de théologie avec un vocabulaire moderne destiné au grand public : « Quatre cas où la médisance est autorisée en islam », « Fais ça et tu auras la baraka dans ta vie »…

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Connu pour avoir défendu en 2017 l’islamologue suisse Tariq Ramadan, accusé de viol et de harcèlement sexuel, Abdelmonaïm Boussena est ingénieur de formation. Sa popularité sur les réseaux sociaux lui avait permis, en 2018, de récolter 53 000 euros de dons en trois jours pour financer la construction d’un nouveau bâtiment de la mosquée des Trois-Ponts.

Nader Abou Anas, enseignant en ligne

Le 1er novembre 2019, le quotidien Libération consacre une tribune à la lutte contre la stigmatisation des musulmans. Publié sur Mediapartle texte compte parmi ses signataires un prédicateur, ex-imam de la mosquée francilienne du Bourget : Nader Cheecha, dit Nader Abou Anas.

Après la publication par des internautes d’extrême d’anciennes vidéos de l’imam où il semble tenir des propos polémiques, notamment sur la place de la femme, le nom de Nader Abou Anas est retiré de la tribune. Via le compte Twitter de son association balbynienne, D’CLIC, le prédicateur explique avoir « beaucoup évolué » depuis, et être « revenu sur de nombreux propos qui ne reflètent plus [sa] position sur ces questions ».

Derrière un ordinateur Apple dernier cri ou du haut de sa chaire, Nader Abou Anas, 40 ans, explique à ses quelque 700 000 abonnés les dangers de la chirurgie esthétique, ou le problème des « préjugés sur la femme divorcée ». Présent sur Instagram et Snapchat, et sur YouTube depuis 2011, lui aussi emploie un vocabulaire moderne qui s’adresse avant tout à un public jeune et très connecté.

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Nader Abou Anas prône désormais un islam malékite du « juste milieu », « en réfutant tout excès et toute négligence », explique-t-il sur la page de son association. Adepte, lui aussi, des intitulés accrocheurs, comme « Manger la viande du McDo, halal ? », il revient dans ses conférences sur des sujets plus globaux à partir de références coraniques. Moyennant 300 euros annuels, il donne des séries de cours en ligne sur des thèmes choisis, auxquels s’ajoutent 149 euros pour visionner en replay les conférences de l’année passée.

Hassan Iquioussen, imam épinglé

Le prédicateur marocain, originaire du nord de la France, est sans doute celui qui a le plus fait parler de lui. Véritable pionnier d’un islam moderne et connecté, Hassan Iquioussen, 58 ans, est visé par un arrêté d’expulsion du territoire français. Dans le viseur du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui pointe un « discours haineux » et « contraire à nos principes de laïcité et d’égalité entre les femmes et les hommes », l’imam, qui avait quitté la France pour la Belgique, a été placé le 15 novembre dans un centre de détention belge.

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Encore adolescent, Hassan Iquioussen avait dû renoncer à la nationalité française à l’initiative de son père. Il a tenté par la suite de l’obtenir via une procédure de recouvrement, mais elle lui a été refusée deux fois, en 1984 et en 1990, car on l’estime trop proche des Frères musulmans. Le prédicateur aux 180 000 abonnés, fiché S, attend désormais d’être fixé sur son sort par les autorités belges.