Impulsions panafricaines
Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en Lybie, les projets politiques panafricains ont quelque peu ralenti. Mais les Églises chrétiennes se lancent dans des projets ambitieux à l’échelle du continent.
Le projet d’unification de l’Europe doit beaucoup à la démocratie chrétienne. De Robert Schuman à Jacques Delors, les Français ne furent pas les derniers à imaginer, à l’aide de leur cadre de pensée catholique, une maison commune, paneuropéenne, qui dépasse les égoïsmes nationalistes.
Sur la rive sud de la Méditerranée, c’est une autre musique qui s’est jouée. Depuis les indépendances, le christianisme ne s’est pas particulièrement signalé en matière panafricaine. C’est du côté de la politique que cette ambition s’est surtout déclinée, avec des figures notables comme Mouammar Kadhafi (1942-2011), à la tête de la Libye de 1969 à 2011. Ami de Nelson Mandela, dont il avait soutenu précocement le parti, l’ANC, Kadhafi alla jusqu’à se faire proclamer « roi des rois traditionnels d’Afrique » en 2009, alors qu’il préside, pour un an, l’Union africaine. Depuis la destruction de l’État libyen à partir de 2011 sous l’effet de l’intervention militaire internationale, les offres les plus spectaculaires de panafricanisme politique ont reflué quelque peu.
Mais elles demeurent puissantes. En plein processus de recomposition, elles s’alimentent d’un ressentiment, perçu par beaucoup comme justifié, à l’encontre de formes persistantes de prédation néocoloniale. Les effets systémiques de la déstabilisation libyenne, accentuant le fléau du djihadisme sahélien, nourrissent aussi un vif dépit. Contexte à haute tension… Il est cependant des initiatives pour tenter de réinventer, sur des répertoires plus apaisés, une proposition panafricaine. Avec, côté chrétien, des ouvertures à noter. Le quotidien ivoirien Fraternité Matin du 13 décembre 2022 signale ainsi une grande rencontre œcuménique et panafricaine organisée à Abidjan par le service continental de la Communion Charis. Lancé à Koumassi au Ghana en février 2020, ce dispositif catholique voulu par le pape François est déployé sur toute l’Afrique, et ouvert « aux catholiques, aux charismatiques et aux protestants ».
Côté évangélique, de plus en plus d’Églises d’initiative africaine se lancent dans des stratégies au long cours d’évangélisation du continent, par et pour les Africains, avec des méthodes adaptées à l’Afrique. Un exemple ? Le soin pris à dialoguer avec les chefs coutumiers (musulmans, animistes) avant d’évangéliser. Une Église comme Vases d’Honneur, conduite par l’apôtre Mohammed Sanogo, s’inscrit dans cette perspective. Basée à Abidjan, elle est devenue un des fers de lance de l’évangélisation postcoloniale en Afrique de l’Ouest. Elle revendique une vision transafricaine, mais aussi globale, dans la lignée des « entreprises religieuses transnationales » dont l’essor se confirme depuis un demi-siècle (2). Mohammed Sanogo a notamment mené des campagnes spectaculaires au Togo, en Centrafrique, au Liberia, et bien sûr en Côte d’Ivoire. Son mode opératoire ? Une approche holistique combinant action sociale, soins médicaux gratuits, formation et prédication évangélique. Les initiatives missionnaires de cet ex-musulman converti n’ont rien d’un copié-collé des anciens protocoles venus d’Europe. Peut-on parler de méthodes panafricaines ? Le terme, connoté politiquement, suscite une gêne. Mais l’idée est là, résumée aussi dans le nom de cette autre structure missionnaire mise en place à partir de 1987 par l’apôtre Mamadou Karambiri au Burkina Faso : « Mission intérieure africaine ».
(1) Historien, chercheur au CNRS, spécialisé dans l’étude du protestantisme évangélique.
(2) Collectif, Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Karthala, 2005.