À Lourdes, une collaboration inédite entre évêques et laïcs sur les abus dans l’Église

Récit 

Au cours de leur Assemblée plénière à Lourdes, les évêques de France ont travaillé sur 60 propositions contre les abus dans l’Église, élaborées essentiellement par des laïcs. Les évêques devront se prononcer par votes sur ces préconisations, jeudi 30 mars.

  • Héloïse de Neuville (à Lourdes), 
À Lourdes, une collaboration inédite entre évêques et laïcs sur les abus dans l’Église
 
Les évêques et des laïcs, réunis à Lourdes lors de l’Assemblée plénière du 28 au 31 mars.LAURENT FERRIERE/HANS LUCAS VIA REUTERS

Il a fallu que le travail commence pour que la tension retombe. C’est peu dire que la petite centaine de laïcs et de clercs qui planche bénévolement depuis un an et demi sur des propositions pour lutter contre les abus dans l’Église attendait cette rencontre à Lourdes de pied ferme, entre impatience et appréhension.

Les évêques – qui les avaient missionnés un an et demi plus tôt, après le rapport Sauvé – allaient-ils vraiment s’emparer de leurs recommandations, « honorer » leurs milliers d’heures de travail et finalement jouer le jeu de la collaboration ?

Du côté des évêques aussi, il y avait quelques doutes sur la capacité de ces neuf groupes de travail à prendre en compte leurs remarques. « L’écoute a été profonde des deux côtés et l’échange a vraiment apaisé les craintes mutuelles », affirme Hervé Balladur, laïc qui a coordonné les efforts de tous les groupes de travail. De fait, à la sortie de leurs travaux communs, nombre d’évêques comme de laïcs exprimaient leur grande satisfaction. « On a vraiment senti qu’on travaillait d’égal à égal avec les évêques », salue un participant.

Étant donné le nombre de thèmes, il a fallu jouer serré à Lourdes. Trois séances, cinq heures au total pour discuter et amender ensemble les 60 propositions. Un temps court qui n’a pas empêché des échanges de fond, parfois âpres. Probablement grâce à la méthode choisie qui, bien que s’éloignant des codes traditionnels du travail dans l’Église, a semblé efficace aux participants : chaque groupe de travail présentait, dans l’hémicycle où se tiennent d’habitude les discussions entre évêques, ses propositions autour d’un stand dédié. Les évêques, libres de déambuler autour de ces différents stands, ont pu s’arrêter et demander des précisions sur les propositions.

Ordination d’hommes mariés et gommettes rouges

À l’issue de cette première session de travail à laquelle les journalistes n’étaient pas conviés, les évêques se sont positionnés à l’aide de couleurs. Gommette verte ? La proposition leur convenait parfaitement. C’est le cas notamment des recommandations élaborées par le groupe de travail 1, dédié à la généralisation des bonnes pratiques devant des cas d’abus signalés.

Une gommette jaune signifiait que des propositions restaient, selon les évêques, à retravailler, dans leur formulation ou sur le fond. La gommette rouge signalait, elle, une opposition franche à une mesure. Sans surprise, la recommandation suggérant aux évêques de plaider au Vatican pour l’ordination d’hommes mariés s’est vue recouverte de gommettes rouges. L’ouverture du diaconat aux femmes et la prédication des laïcs ont reçu un accueil d’un ton jaune orangé, mitigé donc, sans être toutefois définitivement rejetés. Les évêques semblant ouverts à une prédication des laïcs, hors du cadre de la messe.

« Le système des gommettes peut faire sourire, mais ces codes couleurs permettent de sortir du pour ou contre un peu binaire et d’engager de vraies discussions », explique Mgr Bruno Valentin, évêque de Carcassonne. Lui-même, jeune évêque de 51 ans, qui a encore « une bonne vingtaine d’années d’épiscopat devant lui », s’est dit intéressé par les propositions du groupe consacré à l’accompagnement des évêques (mentorat d’un évêque aîné, soutien psychologique professionnel…).

Une Église aux moyens toujours plus contraints

Peu de propositions ont reçu des oppositions de principe, mais bon nombre d’entre elles ont pu susciter des résistances par leur formulation ou leur caractère jugé « maximaliste ». Souvent des compromis ont pu être trouvés. Un bon exemple de cette dynamique consensuelle est le travail accompli sur la recommandation de communiquer « systématiquement » autour des sanctions canoniques visant des prêtres.

Si évêques comme laïcs s’accordaient sur la nécessité de faire évoluer la culture du secret sur les sanctions, les évêques ont aussi alerté sur les impératifs canoniques et juridiques qui pouvaient empêcher une communication « systématique ». Une position médiane a donc été retenue : la mise en place d’une réflexion systématique sur l’opportunité de communiquer une sanction ou pas et, si oui, à qui, dans quel cadre… Résultat : sans toutefois donner une totale satisfaction à la proposition initiale des équipes de travail, la communication autour des sanctions canoniques cesse d’être un impensé et le changement de culture autour de cette question est lancé.

Parmi les propositions qui ont suscité un accueil mitigé, figuraient notamment celles qui prévoyaient plus de collégialité au niveau de la province dans les décisions prises jusque-là par les seuls évêques en leur diocèse. « Certains ne veulent pas voir diluer leur responsabilité », souligne l’un d’eux.

De manière générale, parmi toutes les propositions formulées par les groupes de travail revient très fréquemment la mise en place de nombreux comités de suivi, de pilotage, à plusieurs niveaux de l’Église, dans une optique de cadrer son fonctionnement. Des structures supplémentaires, certes utiles, mais qu’il faudrait mettre en œuvre dans une institution aux ressources humaines et financières toujours plus contraintes.

Beaucoup d’évêques s’interrogent : vaut-il mieux voter la création de ces nouvelles instances, pour lancer un changement de culture et faire preuve de bonne volonté, ou les rejeter pour ne pas susciter d’attentes que le contexte économique ne permettra pas ?

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Une fin d’Assemblée dense

Jeudi 30 mars, les évêques poursuivront leur travail sur la réforme des structures de la Conférence épiscopale – engagée depuis 2021 – appelée « chemin de transformation ». Lors de son discours d’ouverture, Mgr Éric de Moulins-Beaufort a pointé deux écueils au statu quo : les limites de l’organisation en place depuis quinze ans et surtout, l’équilibre budgétaire fragilisé de la Conférence des évêques de France (CEF).

Dans la journée de jeudi, Marie Derain de Vaucresson, présidente de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), voulue par la CEF, et Gilles Vermot-Desroches, président du Fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs (Selam), interviendront devant les évêques.

Un court temps doit également être consacré aux Jeux olympiqueset paralympiques de Paris 2024. Concernant, un autre sujet d’actualité, la fin de vie, le Conseil permanent de la CEF a publié, mardi, un nouvel appel en faveur de « l’aide active à vivre ».

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