Les chrétiens sous la pression des fondamentalistes hindous
Pâques en Inde (2/3)
Discriminations, banalisation de lois « anti-conversion », actes de vandalisme visant des lieux de culte... Avec un sentiment croissant d’impunité, le parti au pouvoir de Narendra Modi multiplie les pressions contre les minorités musulmane et chrétienne.
Cochin et Calcutta (Inde)
De notre envoyée spéciale
Pour le père Vincent Kundukulam, 61 ans, les ennuis ont commencé il y a près d’une trentaine d’années, en 1997. À l’époque, le jeune prêtre originaire du Kerala, État du sud-ouest de l’Inde réputé pour sa paisible cohabitation interreligieuse, avait décidé de s’attaquer, dans sa thèse de doctorat, à un sujet sensible. Sa recherche portait sur les relations houleuses entre l’Église catholique et l’Association des volontaires au service de la nation (RSS). Fondée en 1925, cette organisation paramilitaire extrémiste est considérée comme la matrice du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou revenu au pouvoir en Inde avec l’élection, en 2014, du premier ministre Narendra Modi.
« Je me suis alors retrouvé sur ”liste noire”. Je n’ai jamais été arrêté, mais des policiers sont venus m’interroger, pour me montrer que j’étais sous surveillance », relate le sexagénaire au séminaire pontifical Saint-Joseph de Mangalapuzha (Kerala). Depuis, le père Vincent, aujourd’hui vice-directeur des lieux, a fait les frais d’autres pressions ; l’an passé, des militants du RSS ont encore fait circuler de fausses informations en dévoyant ses propos sur les réseaux sociaux. « Ils cherchent à diviser les chrétiens et les musulmans en les montant les uns contre les autres pour mieux régner », déplore le théologien spécialiste de l’hindutva, cette idéologie hindouiste souhaitant bannir toutes les autres religions du sol national parce qu’importées. Bien qu’en contradiction avec la Constitution censé garantir une république « socialiste et laïque », elle ne cesse de gagner du terrain.
Discriminations, vandalisme contre des églises, perturbations de prières… En novembre, le Forum des chrétiens unis (UCF), un groupe interconfessionnel de défense des libertés fondamentales basé à New Delhi, a recensé 511 incidents anti-chrétiens en Inde – contre 505 en 2021. En tête de liste des États les plus problématiques figuraient l’Uttar Pradesh (Nord) et le Chhattisgarh (Sud), talonnés par le Karnataka (Sud).
Qu’est-il reproché au christianisme ? « Cette religion inquiète, car elle s’appuie sur des missionnaires accusés de faire du prosélytisme dans la société en tentant de convertir des hindous, avec le risque d’entraîner un déclin démographique de leur communauté », explique Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au Ceri-Sciences Po (1). C’est dans cette perspective que 11 États sur 29 ont adopté, ces dernières années, des lois « anti-conversion » prévoyant des peines de prison et de lourdes amendes en cas d’infractions. « Il faut être très vigilants : ce n’est pas simple de faire entendre que nous ne sommes pas allés chercher ceux qui demandent le baptême, mais que ce sont eux qui viennent à nous », souffle, impuissant, Joseph (2), un laïc très engagé dans une œuvre de charité de l’Uttar Pradesh. « Ou alors, pour ne pas risquer de se faire accuser, il faut essayer de s’arranger avec d’autres États voisins plus cléments », explique-t-il, élusif.
Dans un pays brassant tant de réalités différentes, d’autres responsables religieux invitent à la prudence, rappelant combien les catholiques restent malgré tout « moins visés » par des fondamentalistes que les musulmans ou les évangéliques – notamment les pentecôtistes. Dans ces conditions, comment envisager un avenir serein ? « Il faut continuer à encourager le dialogue interreligieux partout où nous le pouvons pour faire tomber les préjugés », martèle Joseph, avant de se laisser aller à un rêve. « Si le pape François venait l’an prochain en Inde, comme il en a émis le souhait cet hiver, et s’entretenait avec Modi… Imaginez la puissance du message que cela pourrait envoyer aux catholiques du monde et d’ici ! »
(1) Auteur de L’Inde de Modi, Fayard, 25 €. (2) Le prénom a été changé.