Harry Potter : une dimension spirituelle qui divise

Analyse 

Promotion de la sorcellerie ou diffusion des valeurs chrétiennes ? Vingt-cinq ans après la sortie du premier tome, la saga Harry Potter continue de diviser au sein des milieux chrétiens. L’autrice des romans J. K. Rowling, elle-même chrétienne pratiquante, se défend avoir voulu infuser ses croyances dans son œuvre.

L'Hebdo Logo
 
potter
 
 
 
  • Stéphane Bataillon, 
 

Le 26 juin 1997, un enfant avec une cicatrice sur le front se fait timidement une place dans les rayons des librairies britanniques. Il est le héros d’une saga pour la jeunesse écrite par une illustre inconnue, J.K. Rowling, dont le premier tome qui paraît ce jour-là n’est tiré qu’à 500 exemplaires. Le manuscrit, refusé par plus de cinquante maisons d’édition, a d’ailleurs failli ne jamais sortir. Sa publication chez l’éditeur Bloomsbury n’a tenu que grâce au soutien de la fille du directeur, qui l’a trouvé à son goût.

Vingt-cinq ans plus tard, les sept tomes de la série, adaptés en huit films, jeux vidéo et myriade de produits dérivés ont été vendus à plus de 500 millions d’exemplaires, traduits en 80 langues. Plus qu’un classique, Harry Potter s’est imposé comme un mythe contemporain, à l’instar de Star Wars ou du Seigneur des anneaux. Par la richesse de son univers, mais aussi par les thèmes essentiels qu’il aborde, au premier rang desquels une réflexion permanente sur la mort et le sens de la vie.

Autodafés des romans

À ses débuts, la baguette de Harry ne fit pourtant pas que des heureux, cristallisant plusieurs critiques chez les « moldus » (nom des humains non sorciers dans la série). Certains ont ainsi avancé des raisons d’ordre spirituel, estimant que la saga était une promotion de la sorcellerie et de la wicca, religion néo-païenne contemporaine, officiellement reconnue au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada. En 1999, le pasteur évangélique Jack Brock de la Christ Community Church, au Nouveau-Mexique (États-Unis), organisa un autodafé des livres de la saga en public, les affirmant contraires à la foi chrétienne.

Encore récemment, en février 2022, un pasteur proche de la droite nationaliste américaine, Greg Locke, fit brûler des exemplaires de Harry Potter et de Twilight, autre série à succès pour adolescents, sous prétexte que ces livres seraient « démoniaques, pleins de sorts, de métaphores, de nécromancie ».

« Harry Potter parle de l’amour, de l’amitié, du courage et de la responsabilité »

Contre ces critiques, émanant souvent de milieux chrétiens fondamentalistes, nombre sont ceux qui, au contraire, ont loué la dimension spirituelle de la série. En 2007, le pasteur presbytérien américain John M. Buchanan déclarait que « Harry Potter n’est pas une menace pour les valeurs chrétiennes, mais il peut être une aide pour les apprendre. La série parle de l’amour, de l’amitié, du courage et de la responsabilité ».

En 2019, le pasteur méthodiste américain Jacob Lupfer écrivait : « La série est une histoire qui parle du pouvoir de l’amour, de l’amitié et de la solidarité pour vaincre le mal. Elle est une invitation à se battre pour la justice et la dignité humaine. » Quant à Timothy Radcliffe, ancien maître général de l’ordre dominicain ayant consacré un livre profond à l’imaginaire chrétien, Choisis la Vie ! (Cerf, 2020), il a loué la saga comme « une merveilleuse histoire qui montre que l’amour est plus fort que la mort ».

De la spiritualité mais pas de religion

J.K. Rowling a, quant à elle, toujours affirmé ne pas vouloir délivrer de message religieux. Se définissant avant tout comme romancière, elle ne fait pourtant pas mystère de ses croyances. Élevée dans l’anglicanisme, au sein d’une famille peu concernée par la religion, elle s’est toujours intéressée à la foi et est aujourd’hui membre de l’Église épiscopalienne d’Édimbourg. « Je suis chrétienne pratiquante, et la foi a une grande influence sur ma vie personnelle. Cela dit, j’essaie de ne pas imposer mes croyances à mes lecteurs. Chacun doit être libre de croire ce qu’il veut », déclarait-elle au Guardian en 2007.

Pas de religion effectivement dans son monde imaginaire. Aucun culte n’est voué, d’un côté comme de l’autre, à une divinité, et les autorités régissant le monde des sorciers, comme le ministère de la magie, sont toutes séculières. « Je suis chrétienne, ce qui a une incidence sur la façon dont je vois le monde. Je crois en la lutte entre le bien et le mal et cela se reflète dans mes livres », continuait-elle, précisant aussi que la compassion est une clé pour « comprendre les autres et pour trouver notre place dans le monde ».

Mais absence de religion ne veut pas dire absence de spiritualité. Relisant la saga empreinte d’une spiritualité nourrie de sources nombreuses et variées, on ne peut qu’être frappé par une remarquable cohérence dans le processus d’évolution intérieure de ses personnages. Comme si l’autrice avait intégré un impressionnant legs culturel fait de mythes, de symboles et de vertus afin d’inviter ses lecteurs, au fil de ces 4 500 pages d’aventures, à prendre le bon chemin.