Missionnaires d'Afrique
Sani Suleiman
Nostra Aetate
Nigeria - Rome
JPIC RD
Mon cheminement de musulman dans l’activité islamo-chrétienne
Justice et Paix
J’ai passé cinq mois à Rome pour un cours à l’Angelicum en vue d’approfondir ma connaissance des perspectives catholiques sur le dialogue interreligieux et sur le christianisme en général. Cette expérience m’a ouvert de nouveaux horizons sur le travail de justice et paix. Mon séjour chez les Missionnaires d’Afrique a été une autre source de connaissance. Ce fut une bénédiction pour moi d’être leur hôte et associé. Je suis un musulman pratiquant et ils sont des catholiques engagés ; pourtant, j’ai perçu une commune humanité et une commune mission dans l’activité pour une société juste, loyale, pacifique et meilleure pour tout le peuple de Dieu.
Je suis né dans une famille musulmane pratiquante de la cité de Jos, dans l’État du Plateau, au Nigeria. J’ai commencé à fréquenter l’école coranique et à étudier d’autres traditions musulmanes à l’âge de quatre ans. Mes études primaires, secondaires, polytechniques et universitaires ont eu lieu à Jos. Mon père n’avait pas de formation académique mais il m’a donné cette opportunité qui a façonné ma vie. Il est décédé en 1985 et ma mère a pris le relais.
Jos était une ville magnifique avec un très bon climat. Rien d’étonnant donc qu’elle ait été connue comme un “Foyer de Paix et de Tourisme”. Ses habitants ont coexisté pacifiquement durant des décades, malgré leurs différents arrière-plans tribaux et religieux. J’ai grandi avec des voisins et des amis chrétiens, autant dans mon quartier qu’à l’école. Mon meilleur ami à l’école secondaire, Anthony, était chrétien. Pendant mes études secondaires, j’ai suivi une leçon obligatoire sur la religion chrétienne et cela m’a donné la chance d’étudier la bible et le christianisme.
Je me rappelle une fille chrétienne de ma classe qui voulait me dire quelque chose mais qui n’osait pas. Un jour, j’ai insisté pour qu’elle me le dise. Elle me déclara : “Je t’aime beaucoup, ainsi que ta manière d’être et de faire, mais j’espère que tu accueilleras Jésus comme ton Seigneur et Sauveur, alors, tu seras complet !” J’ai souri et je l’ai remerciée pour son courage et ses mots gentils. Je lui ai dit ensuite : “Je suis un musulman et tout ce que tu mentionnes de moi m’a été enseigné par l’islam !” Nous sommes restés de bons amis jusqu’à notre graduation. Toutes ces expériences ont certainement marqué ma vie.
En 2001, Jos a subi le premier conflit majeur de son histoire. Nous avions eu de violents conflits auparavant mais d’une moindre magnitude en termes de destructions matérielles et de pertes de vies humaines. Malheureusement, ces conflits prennent souvent une connotation ethnique et religieuse, même si leurs raisons profondes sont économiques et politiques. La cité, considérée jusqu’ici comme le “Foyer de paix et de tourisme”, est devenue le théâtre d’effusions de sang et de destructions pour une décade !
Pendant cette période, j’étais le Président et le Coordinateur du Conseil de la Jeunesse musulmane de l’État du Plateau ainsi que le Secrétaire général assistant au niveau national. Ces fonctions m’ont fait penser que les chrétiens étaient les mauvais gars et que les musulmans étaient toujours les victimes. Cette conviction s’est renforcée quand j’ai perdu un ami d’enfance et un cousin, tués dans de violents combats. C’est pourquoi, dès qu’il y avait une possibilité de participer à une réunion sur le sujet, ainsi qu’à la radio ou à la télé, je l’utilisais pour affirmer et défendre clairement la position des musulmans. C’était ce que mon groupe et ma communauté attendaient de moi, leur leader. Je suis devenu très fameux parmi mon peuple et vu comme un jeune, brillant et courageux leader.
En 2002, j’ai participé à un atelier de gestion des conflits et d’édification de la paix, mis sur pied par une organisation non-gouvernementale, à Jos. Parmi les participants, il y avait un prêtre catholique du bureau de Justice, Développement et Paix (JDPC) de l’archidiocèse de Jos. Le premier jour fut tendu. Nous nous affirmions chacun, chrétiens et musulmans, en opposition à l’autre. À la fin de l’atelier, le prêtre et moi-même nous étions devenus plus proches l’un de l’autre et nous avons commencé à nous parler. Nous avions compris que, tant musulmans que chrétiens, tous étaient affectés de la même manière par ce conflit incessant. Nous avions réalisé que nos communautés étaient à la fois victimes et auteurs de ces violences et devaient faire quelque chose ensemble pour sauver la situation. Nous avons été capables de voir au-delà de notre parcelle initiale, d’où l’engagement de travailler ensemble qui suivit.
Par la suite, et sur la base d’un volontariat, nous avons commencé une collaboration islamo-chrétienne dans le domaine d’une assistance aux personnes déplacées dans les différents camps de l’État, surveillé les signes précurseurs de conflit, formé nos membres dans la gestion de la paix et des conflits, et organisé des rencontres de dialogue intercommunautaires. Toutes ces activités aident à réduire la tension dans nos communautés.
En 2007, après avoir consulté mon imam et ma famille, j’ai accepté l’invitation de travailler avec le JDPC. Ma décision provoqua des réactions contrastées dans ma communauté musulmane. Pour certains, c’était une compromission alors que, pour d’autres, c’était une initiative courageuse.
En tant que responsable du programme du projet “Édification de la paix et transformation du conflit”, mon travail consiste à collaborer avec des communautés et des groupes au-delà des limites religieuses, ethniques ou de sexe ; créer des ponts, renforcer les capacités, favoriser une sensibilisation et fournir des plateformes en vue d’un engagement constructif pour la paix et la coexistence pacifique. Je travaille en étroite collaboration avec le chef imam et l’archevêque catholique de Jos dans le domaine du dialogue et des efforts en vue de la paix et de la réconciliation.
Je continue à trouver mon inspiration et ma motivation dans les enseignements coraniques qui encouragent les musulmans à soutenir la justice et la paix, à reconnaître l’humanité entière comme création de Dieu, à collaborer pour promouvoir ce qui est bon et à décourager ce qui est mal.
Je suis profondément motivé par ma famille. Sans le soutien, la compréhension et les prières de ma mère, de ma femme et de mes deux filles, cela n’aurait pas été possible. La passion qui continue à animer mon cœur, spécialement chaque fois que je vois l’espérance se ranimer sur le visage des individus ou dans les groupes avec lesquels je travaille, me maintient actif.
Il y a beaucoup de défis et d’obstacles, incluant une violence croissante due à la radicalisation et à la politisation de la religion, à une mauvaise gouvernance, à la corruption et à d’autres déséquilibres structurels de notre société. Mais, malgré cela, je continue à percevoir réussites et espoirs dans le travail que je fais parce que des cœurs se connectent encore, par-delà les situations conflictuelles. L’engagement interreligieux est un instrument puissant et une dimension intégrante de justice et paix.
Sani Suleiman
Tiré du Petit Echo N° 1054 2014/8