L’Afrique cherche sa place au sein de l’Église universelle
Souvent considérée comme l’« avenir de l’Église », le poids démographique de l’Afrique n’est pas reflété dans les structures ecclésiastiques. Aucun dicastère romain n’est présidé par un Africain, et les cardinaux d’Afrique restent peu nombreux.
« L’Église en Afrique est porteuse d’avenir pour l’Église universelle. » Derrière cette affirmation de sœur Julienne Sèdami Amadjikpe, religieuse béninoise et spécialiste en droit canonique, une réalité statistique : alors que le nombre de catholiques stagne ou ne croît que très légèrement dans les autres continents, il augmente de manière significative d’année en année sur le continent africain.
Mais si le continent africain représente « l’avenir de l’Église » – selon l’expression du cardinal Frigolin Ambongo, archevêque de Kinshasa (RD-Congo) dans un récent entretien à La Croix Africa –, quelle est son importance actuelle au niveau de l’Église universelle ?
Tout d’abord un constat d’un « déséquilibre » s’impose, selon le mot de l’universitaire togolais Roger Ekoué Folikoue : le continent est faiblement représenté dans les plus hautes instances de l’Église. Ainsi, aucun dicastère romain n’est présidé par un Africain, tandis que les cardinaux d’Afrique sont proportionnellement peu nombreux au sein du Collège cardinalice.
Une « mentalité de suprématie culturelle et religieuse »
Aux yeux du père Donald Zagoré, prêtre de la Société des missions africaines (SMA), la question de la place de l’Afrique est intimement liée à celle de la survivance d’une ombre d’eurocentrisme. « La colonisation, analyse-t-il, reste l’expression de sa défaite culturelle, politique, économique et même religieuse. » Et pour lui demeure une « hiérarchie de valeurs », véritable « mentalité de suprématie culturelle et religieuse », qui peut être portée y compris au plus haut niveau.
Il cite ainsi le pape émérite Benoît XVI qui, dans son ouvrage posthume, estime que «la musique occidentale est quelque chose d’unique, sans équivalent dans les autres cultures » (1).
Mais cet eurocentrisme ne peut, à lui seul, expliquer que l’Afrique n’occupe pas davantage de place dans l’Église universelle, argue le professeur Raphaël Yébou, de l’université d’Abomey-Calavi au Bénin. « La plupart des Africains ne sont pas préparés à s’affirmer contre le Blanc, même là où cela s’impose, souligne-t-il. Il me semble que cette image est prégnante dans l’Église catholique. »
Décalage
Conséquence : un décalage s’observe également entre les préoccupations réelles des catholiques africains et ce que semblent être celles de l’Église universelle. « Les sociétés et les cultures dans lesquelles les gens essayent de vivre l’Évangile sont diverses », met en garde d’emblée le jésuite Ludovic Lado.
Avant de poursuivre avec un exemple : «La plupart des Églises africaines ne se sentent pas concernées par la question de l’homosexualité de la même manière que les Églises occidentales, pour la simple raison que les évolutions sociétales sont différentes. » «On a parfois le sentiment que c’est l’évolution des sociétés et des Églises occidentales qui dicte le rythme des réformes », note-t-il.
Plus que de Rome, estime un ancien ambassadeur près le Saint-Siège d’un pays d’Afrique de l’Ouest, la réponse doit venir du niveau local : « C’est à l’Église en Afrique d’inverser la tendance, et il y a du chemin.» Sœur Julienne Sèdami Amadjikpe est encore plus franche dans ses mots : « Ce dont l’Église en Afrique a besoin aujourd’hui, c’est de pouvoir sortir du schéma habituel de victimisation en s’imposant par son travail et en communiquant sa foi aux autres. »
« Il ne s’agit pas seulement d’occuper les postes »
Et pour cela, estime le père Lado, l’Église en Afrique doit croître « non seulement en nombre, mais aussi en témoins de l’Évangile ». « Il ne s’agit pas seulement d’occuper les postes mais de participer qualitativement à la vie de l’Église en étant ouverts au souffle de l’Esprit Saint. » Et d’exhorter : « Pour cela, l’Afrique doit soigner la formation des laïcs et du clergé sur le plan spirituel comme intellectuel. »
L’élection d’un cardinal d’Afrique au siège de Pierre permettrait-elle de rééquilibrer les choses ? Pas forcément, à en croire ce prêtre africain en mission au Saint-Siège et qui préfère rester anonyme : encore faudrait-il que l’élu soit « proche des préoccupations africaines ». « La preuve, assène-t-il, est qu’on a rarement vu un personnage aussi peu imprégné des problématiques africaines que le très “africain” cardinal Sarah. »
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Un catholique sur cinq est africain
Selon l’annuaire statistique de l’Église catholique 2021, 19,3 % du total mondial des catholiques (estimé à 1,378 milliard) vivent en Afrique.
Le continent africain comptait par ailleurs 36 535 prêtres diocésains (en hausse de 2,74 % par rapport à 2020). Le nombre de prêtres religieux a augmenté de 3,65 %.
L’Église catholique compte par ailleurs 222 cardinaux dont 122 électeurs. Parmi eux, 26 sont africains, dont 16 électeurs.
(1) Benoît XVI, Ce qu’est le christianisme. Un testament spirituel, Éditions du Rocher, Monaco, p. 65.