L’islam “confisqué par des fous”, des “incultes”, des “déséquilibrés”
L’imam de Bordeaux et théologien Tareq Oubrou a exprimé vendredi la “colère” des musulmans dont la religion est “confisquée par des fous”, des “incultes” religieux, des “déséquilibrés”, en marge d’une marche interreligieuse à Bordeaux, où le maire UMP Alain Juppé a appelé à “aider” l’islam face aux pressions radicales.
“Cela fait un moment que nous sommes en colère, depuis les années 1980, nous voyons notre religion dans les main des fous”, a lancé M. Oubrou à des journalistes. “Aucune culture, aucun art de vivre. Ils ne sont pas dans la civilisation, ils ne sont pas dans le monde.”
L’islam, “religion de paix de spiritualité, de transcendance, d’un rapport à Dieu pour mieux vivre avec les hommes, est aujourd’hui confisqué par des déséquilibrés à la marge du monde”, a ajouté M. Oubrou, l’un des imams les plus influents de France, théoricien depuis des années d’un islam d’intégration.
S’en prenant aux auteurs présumés des tueries des derniers jours, Tareq Oubrou a dénoncé des “incultes” d’un point de vue religieux. “Ils n’ont aucune culture, ni universelle, ni religieuse, ni théologique, ni biographique du prophète”, a-t-il expliqué, rappelant que Mahomet lui-même, loin de se “venger”, “pardonna à ses adversaires lorsqu’il parvint au pouvoir”. “Ce sont des gens qui, malheureusement, ne se reconnaissent plus dans la société et veulent se venger d’elle en trouvant un alibi, l’islam”, a-t-il ajouté. “Au lieu de trouver un sens pour leur vie, ils trouvent un sens pour leur mort”. En commentant d’ailleurs une “aberration théologique monumentale, car on ne cherche pas le martyre, on le subit”, a insisté l’imam.- (Source: Le Point/09/01/2015)
Al-azhar : « répondre à la critique par la critique »
L’organisation Al-Azhar, principale institution du monde sunnite basée au Caire et formant plus de 400 000 étudiants de 107 pays, a largement condamné par communiqué l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo du 7 janvier.
ENTRETIEN avec Mahmoud Abdel Gawad, conseiller diplomatique du grand Imam de l’organisation Al-Azhar
La Croix : Quelle a été la réaction d’Al-Azhar après l’annonce d’une sanglante attaque terroriste au nom de l’Islam en plein Paris ?
Mahmoud Abdel Gawad : L’ensemble des responsables de l’organisation, y compris l’Imam responsable d’Al-Azhar, Ahmed Al Tayeb, ses assistants et ses conseillers, ont immédiatement exprimé leur regret total de cet attentat. Ils ont été suivis par le mufti du Caire et le ministère des Wakf (les biens religieux, NDLR). La religion musulmane n’a jamais encouragé les meurtres. Les douze personnes tuées n’étaient pas des soldats, même si certains étaient des policiers. Ils n’ont jamais tué personne, mais ils ont été assassinés au nom de notre religion. Nous ne pouvons tolérer cela. (…)
La publication de représentations du prophète Mohammed, prohibée par l’Islam, peut-elle être légitimée au nom de la liberté d’expression ?
Mahmoud Abdel Gawad : Quand les caricatures du prophète Mohammed ont été publiées au Danemark puis en France par Charlie Hebdo, il y a eu de nombreuses critiques en Égypte et dans le monde musulman. Il s’agissait avant tout d’une confrontation idéologique. On peut ne pas être d’accord avec les opinions d’un autre, mais il faut répondre à la philosophie par la philosophie, à la critique par la critique. (…)
À mes yeux, ce que Charlie Hebdo a fait n’est pas bien, et j’aurai d’ailleurs pu moi aussi faire un article pour les critiquer. Mais tuer, ça n’est préconisé par aucune religión. (Source: la Croix/10/1/15/ Rémi Carlier)
“Charlie Hebdo” : aux Etats-Unis, la satire religieuse est taboue
Si Charlie Hebdo avait voulu ces 20 dernières années être publié « sur un quelconque campus universitaire américain, il n’aurait pas duré 30 secondes », assure David Brooks, dans un éditorial du New York Times intitulé « Je ne suis pas Charlie Hebdo ». « Les étudiants l’auraient accusé de tenir des discours haineux et l’administration l’aurait fait fermer », ajoute-t-il. De fait, « rien n’existe sur le marché américain qui ressemble à Charlie Hebdo », indique l’éditorialiste Tony Norman qui expliquait à ses lecteurs du Pittsburgh Post-Gazette combien les Américains sont « trop attentifs à ne pas offenser les sensibilités religieuses pour même essayer ». (…)
De fait, tout en couvrant largement l’attentat de Paris, de grands organes de presse comme le New York Times, le Washington Post ou CNN se sont refusés à publier les dessins controversés, pour ne pas offenser les lecteurs musulmans. Charlie Hebdo, « c’était tout petit, une bande de copains qui se connaissaient depuis des années et pensaient pareil », ajoute Arthur Goldhammer, qui enseigne au centre d’études européennes d’Harvard.
« Ici, un article ou un dessin d’un magazine national doit être approuvé par plusieurs rédacteurs en chef. Toute provocation aurait toutes les chances d’être mise à l’index parce que revue par des gens aux opinions différentes », explique-t-il. Sans vouloir parler de « politiquement correct », il y a des « tabous sociaux et culturels », estime M. Speel, comme de ne pas offenser les religions, et aussi contre le sexe trop explicite et les gros mots. « Il y a une phrase qui explique bien l’attitude américaine » sur les grossièretés, ajoute-t-il, celle d’un personnage du dessin animé des Simpsons qui ne cesse de répéter : « S’il vous plaît, pensez aux enfants ». (Source : Fait Religieux (Avec AFP)/10.01.15/La Rédaction)
Vivre-ensemble. quelle société pour demain ?
Un entretien intéressant de notre ami Rachid Benzine paru dans le quotidien belge Le Soir. L’islamologue revient sur l’attentat contre Charlie Hebdo et ses conséquences sur le vivre-ensemble. Dans le contexte sociétal que l’on connaît en France (montée du FN, polémiques avec Zemmour et Houellebecq…) comme en Europe (mouvements anti-islam en Allemagne…), quel impact peut avoir cet attentat sur les consciences, sur le « vivre-ensemble » ? La France tout entière est victime de cet attentat, et l’islam de France avec elle. Remonter la pente va être de plus en plus difficile dans un pays déjà influencé par le FN, Zemmmour, la manif pour tous… Nous n’y arriverons que si nous résistons, notamment à tout ce qui germe de violences dans nos religions, que ce soit l’islam, le christianisme et les autres. Nous sommes dans un climat très difficile entre la radicalisation de certains jeunes qui partent en Syrie et l’islamophobie. La nuance est très difficile à apporter car chacun cherche à détruire l’être en face de lui.
Vous êtes pessimiste pour les mois, les années à venir ?
Les mois et les années à venir vont être très difficiles, oui. Nous devons sortir de ces impasses dans lesquelles nous nous trouvons aujourd’hui et qui vont finir par nous tuer. Car il y a, au sein de la société, un vrai soupçon de part et d’autre. Seules les familles musulmanes européennes peuvent nous sauver. Elles sont le meilleur rempart contre l’extrémisme. Parce que, par nature, elles inculquent un islam non violent. Mais elles sont aussi particulièrement malléables car les gens ne sont pas outillés pour acquérir une approche critique de leur religion. Il faut aujourd’hui faire ce travail qui n’a pas été fait pendant quarante ans. (Source: Oumma/09.01.15/)
Plaidoyer pour une éthique de la responsabilité, par Mezri Haddad
Jeter l’anathème sur l’ensemble des musulmans est une faute, y répondre par une fatwa obscurantiste est un crime. Les cyber-terroristes se croient investis d’une mission eschatologique : la défense de l’islam. « Comme la religion se défend beaucoup plus par elle-même, elle perd plus lorsqu’elle est mal défendue que lorsqu’elle n’est point du tout défendue », disait très justement Montesquieu. Je ne suis pas le seul musulman à penser, en effet, qu’en moins de dix ans, nul n’a autant discrédité l’islam en l’entraînant dans la boue et dans le sang que l’islamisme lui-même, cette souillure de l’islam, cette nécrose de la civilisation islamique. L’affaire dans l’affaire que constitue cet appel au meurtre de Robert Redeker apporte si besoin la preuve que l’ennemi mortel de l’islam est bel et bien l’intégrisme.
Au pays de la liberté et du respect des droits de l’homme, nul ne doit être inquiété pour ses opinions si contestables soient-elles et si légitime soit la révolte qui les inspire. Il n’y a pas que les fatwas à menacer la liberté d’expression. Il y a également cette autre épée de Damoclès que certains apôtres du droit-de-l’hommisme manient à tort et à raison, à savoir l’islamophobie. La liberté de pensée, droit inaliénable, ne doit souffrir aucune restriction à l’exception des limites morales et déontologiques que le penseur lui-même peut se fixer. L’intellectuel, à plus forte raison le philosophe, a pour vocation l’amour de la sagesse par la quête jamais satisfaite de la vérité. Et dans cet exercice cruel et vital à l’époque périlleuse que nous traversons, la tempérance socratique reste une vertu cardinale. Un philosophe se disqualifie lui-même lorsqu’il recourt à l’argument ad hominem, qu’il cède aux simplifications abusives et qu’il s’adonne à la stigmatisation gratuite qui risque de réveiller les passions les plus dangereuses. L’éthique de la responsabilité, la neutralité axiologique si chères à Max Weber et si magistralement incarnées par Raymond Aron sont ainsi la condition sine qua non d’un débat serein et constructif sur l’islam dans ses implications multiples. (…)
C’est par et dans la connaissance qu’un dialogue des religions et des civilisations pourrait durablement s’instaurer sans jamais totalement occulter les différences et mêmes les antagonismes qui existent entre ces « trois messagers pour un seul Dieu », pour emprunter l’expression au livre de l’orientaliste, Roger Arnaldez.
Charlie Hebdo en Algérie: la crainte des lendemains
L’intelligentsia de la communauté musulmane tient à se démarquer de l’attaque contre Charlie Hebdo. Elle s’inquiète du risque d’amalgame. «Nous craignons un vent de panique ; et un point de rupture serait fatal pour la cohésion de notre société !» Hier matin, Nabil Ennasri, politologue spécialiste en sciences islamiques, s’est réveillé, comme de nombreux autres musulmans, inquiet pour l’islam et pour le pays dans lequel il vit et travaille, la France.
En Algérie, c’est Hamid Demmou, président de l’association internationale soufie Alâwiyya, qui s’est exprimé hier, s’associant «à toutes les voix qui s’élèvent en France et partout dans le monde pour condamner ces actes odieux». «Nous appelons à agir ensemble pour défendre les valeurs de notre société, car c’est son essence même qui est visée.» L’association dénonce des actes de barbarie et appelle : «Ne laissons pas l’ignorance justifier l’intolérable.» Sous l’appelation «Musulmans de France», l’instance représentative de la première communauté musulmane d’Europe, forte de 3,5 à 5 millions de membres, a également réagi dans un communiqué condamnant «l’acte terroriste barbare»….
Le journaliste et chercheur en soufisme algérien, Saïd Djabelkhir, regrette que cet attentat soit revendiqué au nom de l’islam et n’est, en même temps, pas étonné que des musulmans tuent au nom de l’islam ! «Les textes référentiels de l’islam engendrent inévitablement des attitudes violentes de la part des croyants, quand ils sont lus et interprétés en dehors de l’histoire ou de leur contexte historique», affirme-t-il. Et de Continuer : «Le discours religieux traditionnel du fakih justifie effectivement cette violence, il nous faut beaucoup de courage pour le reconnaître mais il n’en demeure pas moins que c’est la réalité.» ((Source: El Watan/ le 09.01.15
Des tueurs qui ont aussi agi contre l’islam
L’attaque de Charlie Hebdo est un fait de guerre. Sauf que les journalistes qui ont été assassinés n’étaient pas des guerriers. Ils étaient sans haine, sans préjugés. Ils étaient des poètes, des moqueurs, des fous de liberté, des génies dont les armes étaient des crayons de couleur, de l’intelligence de la fantaisie et de la lumière. C’est une guerre contre la liberté d’écrire, de dessiner et de créer. Une guerre sans visage contre la laïcité, contre la tradition de la satire, de l’humour, de la dérision, de la critique acerbe et féconde. Ils auraient voulu déterrer Voltaire, Montaigne et Rabelais et faire de leurs œuvres un feu assassin.(….)
Il faut que la France saisisse le message de cette nouvelle terreur : la guerre est portée sur son territoire. Dans quelle mesure est-elle préparée pour affronter des tueurs hyper-armés, bien entraînés et décidés à semer la mort ?
Au-delà de cette épreuve, au-delà de l’émotion et de la colère, au-delà du besoin de justice, il faut que la société française, ses partis politiques, sa société civile, que nous tous prenions conscience que les fondements de notre pays, ses valeurs et ses traditions sont visés et menacés, que ce n’est pas une dérive de quelques voyous en mal de vengeance, mais c’est une volonté radicale et féroce d’empêcher que des musulmans puissent vivre leur religion en terre laïque, dans le respect des lois de la République, de les isoler et d’en faire les ennemis de la France. C’est pour cela que nous devons tous résister, car nous sommes tous concernés. (Source: LE MONDE | 08.01.2015 à 17h13 Par Tahar Ben Jelloun, écrivain)
Les musulmans de France craignent des lendemains difficiles
Les musulmans de France craignent des représailles et une plus forte stigmatisation après l’attaque du journal satirique Charlie Hebdo le 7 janvier. Les auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo avaient crié « Allah Akbar » et « On a vengé le Prophète » après avoir tué douze personnes, dont les dessinateurs Cabu, Charb, Wolinski, Honoré et Tignous, ainsi qu’un policier à vélo arrivé sur les lieux de l’attaque. Plusieurs mosquées ont été prises pour cibles ou taguées depuis mercredi 7 janvier au soir notamment à Poitiers, au Mans, à Bayonne, à Rennes, à Bischwiller, en Corse, dans le Rhône, le Pas-de-Calais et l’Aude. « Malheureusement, ce qui s’est passé contre les mosquées et les lieux de culte peut confirmer ces inquiétudes », a affirmé Anouar Kbibech, responsable du Conseil français du culte musulman (CFCM) jeudi 8 janvier. Si les responsables musulmans ont mis en garde en soulignant que faire l’amalgame entre terrorisme et islam serait faire le jeu des agresseurs, l’inquiétude est grande dans la première minorité musulmane d’Europe. Le tweet d’un jeune homme résumait dès mercredi 7 janvier au soir, avec un humour décalé, un sentiment probablement très répandu parmi les 3,5 à 5 millions de musulmans : « Si tu t’appelles Mohamed ou Karim et que t’as un entretien d’embauche demain c’est mieux que tu restes chez toi à jouer à Fifa ».
« Les musulmans sont pris dans un piège, entre ceux qui tuent au nom de l’islam et des extrémistes qui veulent se défouler sur les musulmans et déversent sur eux leurs discours stigmatisants », abonde Abdallah Zekri, président de l’Observatoire.
Pour l’historien Benjamin Stora, l’amalgame est une blessure pour tous ceux qui ont traversé la guerre civile en Algérie, dans les années 1990, marquée par « l’apparition d’un courant relevant d’un islam politique extrêmement violent ». « Quand on dit “les musulmans” , on oublie qu’il y a des gens qui ont déjà vécu cette épreuve de l’assassinat de l’intelligence », explique-t-il à l’AFP, en rappelant qu’à l’époque les journalistes et les caricaturistes algériens étaient une cible privilégiée des intégristes. (Source: Le fait religieux/ 09.01.2015/La rédaction)
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