Christian Delorme : Charlie Hebdo, « Une mobilisation massive mais pas de tout le peuple »
Paru dans l’ « Essor » de la Loire, le 15 janvier 2015 - Daniel BRIGNON -
La mobilisation massive des Français unis pour dénoncer la barbarie du terrorisme est « rassurante », aux yeux de Christian Delorme, le prêtre engagé depuis plus de trente dans le dialogue avec l'islam. Il ne cache pas pour autant sa préoccupation quant à la permanence de cette unité nationale, « toujours fragile ».
Comment analysez-vous cette mobilisation massive ?
C’est assez extraordinaire et très rassurant d’assister à une telle levée que l’on n’a pas connue depuis la Libération. Je discerne plusieurs explications à cela. Depuis vingt ans la population française est habitée par la peur de l’islam, du fait de l’actualité internationale et cette mobilisation collective est une manière de dire qu’on ne veut plus se laisser gagner par la peur. À travers l’assassinat de journalistes de Charlie Hebdo, cette mobilisation traduit aussi l’attachement des Français aux valeurs de la démocratie. Toutes les dictatures ont commencé par l’assassinat des intellectuels. Tuer des journalistes et des caricaturistes c’est la liberté qui est menacée pour tout le peuple. À travers l’assassinat d’un policier abattu comme un chien, l’assassinat de Juifs parce qu’ils étaient juifs se réveille encore en France une mémoire vive de l’occupation. À Lyon, ville qui a connu la plus forte mobilisation de France après Paris, j’y vois l’éveil d’une mémoire collective de la capitale de la Résistance.
Vous restez néanmoins réservé sur l’ampleur de la mobilisation ?
Il y a une ombre au tableau. Certes nous avons assisté à une levée en masse du peuple mais pas de tout le peuple, d’abord le monde urbain, les classes moyennes plus que les classes populaires. On a observé par ailleurs que la population maghrébine et franco-maghrébine était pratiquement absente. J’ai bien observé parce que j’y suis sensible et ai échangé avec des amis maghrébins qui l’ont confirmé.
Comment l’expliquez-vous ?
Cela s’explique par plusieurs facteurs. Les maghrébins de France ont peur de l’amalgame et préfèrent sortir peu, mais il faut remarquer aussi que toute une partie des franco-maghrébins a décroché avec la société française. Ils ne se sentent pas concernés, pas inclus dans le récit national.
Vous voulez dire que cette rupture des musulmans avec l’extrémisme ne s’est pas manifestée ?
La majorité des musulmans de France est contre l’extrémisme et la violence pour autant ils ne sont pas prêts à se solidariser avec la société française. Ils se sentent pas compris, mal aimés et surtout n’ont pas compris les caricatures de l’islam, qui les ont blessés profondément. Le monde musulman est un monde du refus de l’image et de la représentation, qui plus est de la caricature. La caricature ne fait pas partie du patrimoine culturel et intellectuel du monde musulman, contrairement au monde occidental qui l’a intégrée dans sa culture depuis le XVIe siècle. Il y a là un problème de compréhension entre deux cultures.
Les Français se sont mobilisés au-delà de leurs clivages dans une identité commune. Voyez-vous un sursaut durable ?
Les Français se sont rassemblés dans une identité républicaine qui indique que les valeurs de la République sont toujours vives. On a parlé aussi un peu partout de rassemblements fraternels c’est tout aussi rassurant. Mais cette unité reste fragile. S’il y a encore des attentats, l’opinion peut verser facilement.
Vous êtes pessimiste ?
Non, réaliste. L’histoire montre que les peuples sont fragiles, guettés par les affrontements voire la guerre civile. On est bien en face de cela avec les groupes extrémistes qui tentent de nous élever les uns contre les autres. Ils veulent faire détester l’islam, une stratégie de la tension.
Quels sont les enjeux pour demain ?
Il faut mener la lutte, la résistance sur deux points : une lutte sécuritaire de la part des pouvoir publics et une résistance de type culturel et idéologique par l’éducation par l’éducation notamment. C’est plus difficile à mettre en place d’autant plus dans un contexte économique marqué par un chômage massif qui ne permet pas d’inclure tout le monde dans le fonctionnement normal de la société. Plus que jamais il faut être vigilant.
Propos recueillis par Daniel Brignon
La marche des croyants
Si la participation des musulmans à la mobilisation de dimanche a été soulignée comme faible, il faut noter en revanche l’existence de manifestations propres de solidarité, auxquelles avait appelé le Conseil national du culte musulman dans le contexte de la prière du vendredi.
À Saint-Étienne, ce sont ainsi 500 personnes qui se sont rassemblées au sortir de la grande mosquée vendredi 9 janvier pour une « marche des croyants », jusqu’à l’hôtel de ville. « Pas en mon nom », affichaient sobrement les manifestants le long du cortège silencieux, pour dire clairement le refus des musulmans d’un « amalgame » avec toute forme d’actes extrémistes commis au nom de l’islam, qui en « usurpent l’identité ».
Ghaleb Bencheikh: résistance et insoumission face à la barbarie
Encore une fois, l’ignominie et le terrorisme abject ont frappé au cœur de Paris et nous ne pouvons pas nous contenter de les condamner et de les dénoncer. D’ailleurs, qui dit dénoncer implique ce qu’il faut annoncer : clamer haut et fort qu’aucune raison si légitime soit-elle ne saurait justifier le massacre des innocents et aucune cause si noble soit-elle ne présuppose la terreur aveugle. Et il se trouve que des individus fanatisés affiliés à des groupes islamistes extrémistes ont décidé de déclencher une conflagration généralisée s’étalant sur un arc allant depuis le nord Nigéria jusqu’à l’Ile de Jolo. Et “l’élément islamique” y est impliqué. Cette guerre est menée au nom d’une certaine idée de l’Islam. L’incendie ne semble pas fixé, bien au contraire, ses flammes voudraient nous atteindre en Europe et nous brûler chez nous en France.
Cette guerre réclame de nous tous qui que nous soyons, hommes et femmes de bonne volonté, mais surtout de nous autres musulmans de l’éteindre. Il est de notre responsabilité d’agir et de nous opposer à tout ce qui l’attise et l’entretient. C’est une déclaration de résistance et d’insoumission face à la barbarie. C’est aussi notre attachement viscéral à la vie, à la paix et à la liberté. Après l’affliction et la torpeur, il est temps de reconnaître, dans la froideur d’esprit et la lucidité, les fêlures graves d’un discours religieux intolérant et les manquements à l’éthique de l’altérité confessionnelle qui perdurent depuis des lustres dans des communautés musulmanes ignares, déstructurées et crispées sur elles-mêmes.(Source : Chrétiens de la Méditérranée/ 12.01.15 /EDITORIAL)
Charlie Hebdo : la face cachée de Niamey
Finies les compassions pour l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo. Sa toute première publication poste-attentat du 07 janvier a tôt fait de braquer à nouveau la communauté musulmane contre l’hebdomadaire décimé par de fanatiques islamistes téléguidés par Al-Qaïda. A Niamey, les manifestations contre le journal satirique français ont été marquées par une violence inouïe qui révèle une face jamais connue de la capitale nigérienne. Dans cette ville nigérienne caractérisée par une hospitalité et une tolérance légendaires, cinq personnes ont perdu la vie dans les violentes manifestations. Partis furieux de la grande mosquée du centre-ville de la capitale nigérienne, armésde gourdins, de projectiles, de cocktails Molotov, les manifestants anti-charlie hebdo qui ont passé leur colère sur tout ce qui se trouvait sur leur chemin et portant quelque insigne de la France, n’ont pas épargné les lieux de cultes chrétiens. Dans leur monstrueux déchaînement, les musulmans nigériens ont brûlé une vingtaine d’églises chrétiennes. En dehors des lieux de cultes chrétiens, les bistrots, les hôtels, restaurants… ont également essuyé la colère des protestataires décidés à envoyer un message fort à Charlie- Hebdo.
Mais plus qu’un message à Charlie Hebdo, c’est l’image d’une capitale nigérienne couvant le fanatisme religieux que ces manifestants anti-charlie ont envoyé au monde entier. Aussi justifiée que paraisse la colère des islamistes nigériens, leur déchaînement contre les églises chrétiennes à Niamey témoigne cruellement d’une absence d’usage de la raison. Et le président nigérien Mahamadou Issoufou qui a pris part à la grande mobilisation anti-terrorisme de Paris, semble bien le reconnaître. « Ces églises qui sont brûlées, pouvons-nous, accepter qu’elles le soient au nom de notre religion ? De quels torts sont coupables les églises et les chrétiens du Niger ? » a demandé samedi soir, dans son message à la nation, le chef de l’Etat nigérien, Mahamadou Issoufou, déçu par ses compatriotes et coreligionnaires musulmans avec l’ampleur des dégâts à Zinder et à Niamey. (Source: la Nouvelle Tribue/ 18.01.15/ Olivier Ribouis)
Des milliers de manifestants dans le monde musulman contre les caricatures de Mahomet
Trois jours après sa publication, la « une » du dernier Charlie Hebdo représentant Mahomet la larme à l’œil et tenant une pancarte « Je suis Charlie » continue de provoquer la colère dans le monde musulman. Plusieurs milliers de fidèles ont manifesté, vendredi 16 janvier, après la grande prière, à travers une dizaine de pays d’Afrique et du Moyen-Orient. Les manifestations se poursuivaient samedi au Níger.
La couverture du journal satirique avait suscité dès sa sortie mercredi de nombreuses critiques de gouvernements ou instances musulmanes en Egypte, à Jérusalem ou encore au Sénégal. La Tunisie, le Maroc et l’Algérie n’ont pas autorisé la diffusion de l’hebdomadaire.
Trois églises ont été incendiées samedi à Niamey, où la contestation de la caricature de Mahomet publiée dans Charlie Hebdo s’étend dans plusieurs quartiers de la capitale, dont celui de la cathédrale après une première manifestation violente dans la matinée, selon un journaliste de l’Agence France-Presse présent sur place. Une centaine de policiers anti-émeute, munis de casques et de boucliers, protégeaient la cathédrale de Niamey, essuyant des jets de pierres de protestataires.
La veille, une manifestation à Zinder, la deuxième ville du Niger, a terminé en affrontements au cours desquels trois civils et un policier ont été tués, et environ 45 personnes blessées. « Certains manifestants avaient des arcs et flèches, des gourdins, et ils en ont fait usage », selon un policier. Le ministre de l’intérieur nigérien a affirmé que certains manifestants « arboraient l’étendard de Boko Haram », alors qu’ils « attaquaient une église catholique ». Le centre culturel français de la ville avait également été incendié. (Source : Le Monde.fr avec AFP | 16.01.2015 )
Pour le pape François, la liberté d’expression est une “obligation” mais doit éviter l’insulte
Interrogé par un journaliste français dans l’avion qui le menait du Sri Lanka aux Philippines, le pape François a défini sa vision de la liberté d’expression, à la fois un « droit » et une « obligation » morale, mais dans le respect de la dignité de chacun. Il a par ailleurs ajouté que « tuer au nom de Dieu est une aberration. »
A la question de savoir « jusqu’où peut aller la liberté d’expression », en faisant clairement référence à l’attentat contre Charlie Hebdo, le pape François a expliqué qu’elle était pour lui un « droit humain fondamental », au même titre que la liberté religieuse, et même une « obligation », rapporte Antoine-Marie Izoard, de l’agence , présent dans l’avion du pape. Mais il a immédiatement nuancé en soulignant que celle-ci devait malgré tout observer certaines limites, notamment quand elle offense autrui. (Source: La Vie/15/01/2015 /II.Media)
Montée de la haine anti-islam : à qui profite le crime ?
On observe depuis une dizaine d’années une montée de l’islamophobie en France et plus généralement dans les pays occidentaux. Selon Raphaël Lioger, la « grande bifurcation » (à partir de laquelle l’islamisation est posée par les responsables politiques comme un problème majeur) a lieu en France en 2003, année de l’intervention américaine en Irak…. La fabrication médiatique du « problème musulman » – érigé en « problème de civilisation » par Alain Finkielkraut – favorise une libération de la parole raciste et une stigmatisation des musulmans et de leurs pratiques religieuses avec la bénédiction des journalistes du système. Le battage médiatique autour du dernier roman de Michel Houellebecq ouvertement islamophobe, la complaisance des médias vis-à-vis des dérapages d’Alain Finkielkraut, l’islamophobie déclarée de certains journalistes , l’hostilité rencontrée par un mouvement qui prône la réconciliation avec les populations issues de l’immigration post-coloniale montrent que la classe politico-médiatique dans sa majorité encourage le rejet des musulmans. On peut être surpris de cette tolérance vis-à-vis d’opinions discriminatoires et parfois même racistes surtout au regard de la censure qui frappe impitoyablement les critiques, même mesurées, de la politique israélienne. Deux poids, deux mesures ? Si l’ostracisation de l’Islam ne fait aucun doute, reste à en connaître les raisons. Dès lors, la question devient : quels bénéfices le système en place peut-il en tirer ? L’aggravation continue de la crise économique dans les pays de la zone euro conduit à une montée en force de l’extrême droite islamophobe. Des organisations violemment anti-musulmanes se multiplient et bénéficient d’une audience grandissante….