Le soufisme rempart à l’islam radical
Faouzi Skali est un chercheur qui conjugue ses travaux universitaires avec sa quête spirituelle. Docteur en anthropologie et sciences des religions, il est l’un des plus grands spécialistes du soufisme, tradition ésotérique de l’islam. Auteur entre autres de Jésus dans la tradition soufie (Albin Michel, 2013), il est lui-même adepte d’une confrérie, la Butchichya. Il a fondé et dirigé pendant vingt ans le célèbre festival des musiques sacrées dans sa ville natale de Fès. Depuis 2007, il préside un autre festival, celui de la culture soufie, dont la 9e édition se déroule du 18 au 25 avril à Fès.
Joan Tilouine a recueilli ses propos pour le journal Le Monde: Dans l’ensemble du monde musulman, de l’Asie à l’Afrique, la culture soufie est très largement majoritaire. Pourtant, son patrimoine spirituel, artistique et littéraire demeure souvent absent de la vie publique…. Les tragiques événements récents, commis par des individus qui se revendiquent d’une idéologie wahhabite et d’une conception réductrice et extrémiste de la religion, monopolisent l’attention de l’opinion publique. Les musulmans eux-mêmes ne se reconnaissent pas dans cet islam. Comment s’identifier à ces actes barbares perpétrés à Mossoul, au nord du Nigeria, à Paris ou ailleurs ? Il y a un effet d’optique qui inverse la réalité de l’islam vécu et pratiqué. Il me semble donc que le soufisme a besoin d’être soutenu, expliqué, débattu, pour faire valoir sa réalité dans le quotidien.
Il me semble crucial de réveiller cette tradition de l’islam spirituel qui est le quotidien de centaines de millions de personnes. En témoigne par exemple la tradition soufie populaire, les rites du samâ (danse rituelle), les chants et les musiques. Ou encore la diffusion des œuvres du mystique persan Djalâl ad-Dîn Rûmî, du penseur Ibn Arabi, de l’émir Abdel Kader et de beaucoup d’autres. C’est loin d’être marginal. Mais si beaucoup connaîssent Ibn Arabi, combien le lisent vraiment ? (Source: Le Monde: 04.03.2015/ Propos recueillis par Joan Tilouine)
La riposte des imams britanniques face à l’état islamique
Sur la couverture, une mosquée qui s’effondre, avec ce titre : « Quelle vérité derrière ISIS ? » Le magazine en ligne Haqiqah, la « vérité » en arabe, reprend les mêmes codes graphiques que Dabiq, célèbre outil de propagande de l’Etat islamique : peu de textes, des aplats de couleur et des exergues choc. Mais le contenu n’a rien à voir avec les prêches enflammés des djihadistes : au contraire, il s’agit d’une riposte organisée par l’organisation Imams on Line, un groupe de religieux et de théologiens musulmans britanniques. Présenté lors d’un sommet de l’organisation les 24 et 25 mars derniers à Londres en présence d’imams européens, le titre, téléchargeable, a pour objectif de contrer la propagande de Daesh. Pour cela, l’organisation a fait appel à des personnalités respectées qui reprennent point par point les arguments des djihadistes.
« Ces individus étudient l’Islam de façon superficiel. Ils retirent du Coran des idées et interprétations imaginaires, explique ainsi dans Haqiqah Muhammad Asim Mbe, imam de la mosquée de Leeds. Ils n’ont aucune base en sciences ni en jurisprudence islamiques, et pourtant, ils veulent établir un prétendu “Etat islamique”. Pour arriver à cet objectif déraisonnable, ceux-ci sont prêts à détruire les enseignements fondamentaux de l’Islam. » (Source: La Vie/ Anne Guion Créé le 02/04/2015 / modifié le 02/04/2015 à 18h23
«le monde arabe est en état de guerre»
Entretien avec Mathieu Guidère, Professeur d’islamologie à l’université Toulouse2. Auteur de l’Etat du monde arabe (Editions de Boeck. Mars 2015). Voici, en résumé, sa vision de la situation dans ces mêmes pays árabes.
Le monde arabe se trouve aujourd’hui en état de guerre : guerre entre sunnites et chiites dans les pays du Golfe, guerre contre le terrorisme au Proche-Orient et au Maghreb. Partout, la guerre civile guette les États et fragilise l’espoir de transition né il y a quatre ans du Printemps arabe. Nous assistons à une résurgence dangereuse des logiques médiévales de distinction confessionnelle entre citoyens du même pays. Nous devrions nous-mêmes cesser de désigner ces populations par des qualificatifs religieux de type «chrétiens d’Orient» pour ne pas renforcer cette fausse perception. Ce sont d’abord des Irakiens, des Syriens, des Égyptiens comme les autres, qui doivent bénéficier des mêmes droits que le reste des citoyens. N’entrons pas dans la logique discriminatoire des terroristes.(…) L’Histoire retiendra que nous avons laissé massacrer des millions de civils et déplacer des millions d’innocents. Et le massacre continue. (Source: La Dépêche/13.04.15/Recueilli par Jean-Marie DECORSE)
Asma Lamrabet, directrice du centre des études féminines en islam
Au Maroc, une nouvelle génération a pris les devants sur des chantiers d’avenir. Jeune Afrique a dressé le portrait de 20 femmes et hommes amenés à jouer, demain, un rôle déterminant dans le royaume. Asma Lamrabet, Directrice du Centre des études féminines en Islam, en fait partie.
Elle pense que les mosquées devraient être mixtes, que l’enseignement dans les filières islamiques est catastrophique, que le voile pour les femmes n’est pas obligatoire… Ses idées subversives n’ont pas empêché Asma Lamrabet d’être nommée en 2011 à la tête du Centre des études féminines en Islam, de la très prestigieuse Rabita Mohammadia des oulémas, une association placée sous la tutelle du roi.
Née à Rabat en 1960, elle est la fille d’Ahmed Lamrabet, exilé politique condamné à mort par Hassan II et ami de Mehdi Ben Barka. Jusqu’à l’âge de 15 ans, elle grandit en France, au Liban et en Algérie. Dans une école de soeurs catholiques à Alger, elle découvre la foi et se reconnecte avec sa culture musulmane. Sans diplôme en religion – contrairement aux autres oulémas -, cette docteure en médecine (elle exerce à l’hôpital Avicenne de Rabat) a publié de nombreux ouvrages avec comme objectif “la relecture des textes sacrés ainsi que l’étude critique et décoloniale de la pensée islamique”. (Source: Jeune Afrique/02/04/2015)
Egypte: des autodafés pour combattre l’islamisme
Le ministère égyptien de l’éducation a récemment lancé une campagne visant à “nettoyer le système éducatif des livres islamiques incitant à la violence” et qui ne font pas partie du programme d’enseignement scolaire.
La présidente du conseil éducatif de la ville de Gizeh, à l’origine de cette campagne, a appelé à brûler les livres qui incitent à la violence dans toutes les écoles de la municipalité….Un responsable du ministère a déclaré que “ces livres incitaient à la violence et au terrorisme” et appelaient à “l’intolérance religieuse et au racisme”….Selon Kishk parmi les livres brûlés se trouvaient des écrits du théoricien de l’islam radical, Sayyid Qutb, “parrain intellectuel” des Frères musulmans.
“L’école Fadl el Haditha appartient aux Frères musulmans qui l’utilise à ses propres fins, c’est pourquoi nous brûlons leurs livres”, a encore expliqué Kishk.
Abdennour Bidar, docteur islam
Ce philosophe prêche pour une religion ouverte, moderne, capable de se poser des questions sur elle-même. Son dernier ouvrage est un vibrant plaidoyer en faveur de la fraternité. Chargé de mission sur la pédagogie de la laïcité, il planche sur des outils de formation, forme lui-même corps d’inspection et chefs d’établissement et anime des conférences sur le sujet. En parallèle, ce marathonien médiatique de 44 ans, cheveux ras, barbe poivre et sel, court de plateaux télé en studios radio. Il présente l’émission Cultures d’Islam sur France Culture depuis le début de l’année et fait la promotion de ses ouvrages un peu partout. Car oui, lorsqu’il ne signe pas des articles dans la revue Esprit ou des tribunes dans les pages “Débats” du quotidien Le Monde, Bidar écrit des livres. Sur la dizaine à son actif, son dernier en date, Plaidoyer pour la fraternité (éditions Albin Michel), est le plus court et le plus incisif, mais reste sur la même ligne que ses précédents opus.
Cet agrégé et docteur en philosophie, normalien de surcroît, alerte depuis plus de dix ans sur ce qu’il appelle “les maladies” de l’islam. Il a fallu un déclic sanglant, des dessinateurs et des Français de confession juive criblés de balles en plein Paris par des assassins se revendiquant de l’islam pour qu’on lui tende une oreille un peu plus attentive et qu’on lui fasse une place sur les banquettes des talk-shows.
En octobre 2014, le philosophe avait publié sur le site de l’hebdomadaire Marianne une “Lettre ouverte au monde musulman”, traduite en anglais et en arabe. “Il est indispensable […] que l’islam dénonce la barbarie, écrit-il. Mais c’est tout à fait insuffisant ! Car [toi, monde musulman] tu te réfugies dans le réflexe de l’autodéfense sans assumer aussi et surtout la responsabilité de l’autocritique. Tu te contentes de t’indigner alors que ce moment aurait été une occasion historique de te remettre en question !” (Source : Jeune Afrique/16.04.15/ par Léo Pajon)