Le père Maurice Borrmans appartient à la Société des Missionnaires d'Afrique (Péres Blancs). Docteur ès lettres de Paris- Sorbonne, il a vécu vingt ans en Algérie et en Tunisie et a enseigné, pendant longtemps, le droit musulman et l'histoire des relations islamo-chrétiennes au Pontificio Istituto di studi arabi e d'islamistica (PISAI) de Rome. Il a participé à de nombreux colloques islamo-chrétiens en diverses capitales de la Méditerranée.

Rédacteur de la revue Islamochristiana de 1975 à 2004, il a été consulteur auprès du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Il a aussi publié, Statut personnel et famille au Maghreb de 1940 à nos jours (1977), Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans (1981), Jésus-Christ et les musulmans d'aujourd'hui (1996, 2005), Dialogue islamo-chrétien à temps et contretemps (2002) et Jean-Mohammed Abd-el-Jalil, témoin du Coran et de l Evangile (2004), Prophètes du dialogue islamo-chrétien (2009) Louis Gardet (2010), ¦Pour comprendre les Musulmans (2010)

Dounia Bouzar : « comment sortir de l’emprise djihadiste »

Au moment où les méfaits de Daesch aussi bien en Syrie qu’en Europe se font sentir, ce petit livre de Dounia Bouzar sera le bienvenu. Il n’est pas besoin de présenter l’auteur. Ici, elle continue ses travaux et publications à propos de l’extrémisme de certains musulmans, qu’ils soient de Daesch ou de Al Nosra. Elle tente de nous faire partager les fruits de ses travaux avec le CPDSI ou Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam. Elle va nous donner les récits d’un acteur de terrain et en cela, elle nous invite à ne pas généraliser mais à prendre chaque cas indépendamment avec ses particularités. Car les jeunes dont elle a entendu parler ou qu’elle a rencontrés sont d’une extrême variété. Parmi eux, certains avaient même « grandi avec une petite cuillère d’argent dans la bouche » (p.15)

Dans une première partie, elle essaye d’évaluer les étapes du processus d’embrigadement. Elle nous invite à distinguer l’endoctrinement, qui demande une adhésion à l’idéologie, de l’embrigadement qui promeut des comportements nouveaux en accord avec l’idéologie (p.69). Dans une deuxième partie, beaucoup plus courte, elle tente de nous faire revivre ses succès et ses échecs face aux jeunes revenus de l’enfer du terrorisme et qu’elle veut aider à se refaire une vie décente ici en Europe. C’est là que beaucoup de parents inquiets face à leurs enfants, pourront reprendre espoir en lisant ce livre. Car si l’auteur nous donne quelques statistiques, cependant relatives, il est significatif que son Centre de Prévention (CPDSI) a reçu à certaines périodes près de 4 nouveaux appels par jour de la part de parents éplorés (p.34)

« Djihadisme » est comme un mot magique qui fait naître des peurs. Par ce livre, nous entrons un peu plus dans ce monde fermé et secret. Il se couvre de noms et de visages. Il prend un caractère plus concret et humain, donc à notre portée. C’est là tout l’intérêt de ces récits même un peu courts d’un acteur du terrain et non d’un théoricien. Prenons les faits qu’elle nous rapporte pour ce qu’ils sont et rien de plus et surtout en évitant tout effet de généralisation. Si des parents, éprouvés par le départ de leur enfant, peuvent reprendre espoir à la lecture de ce livre, alors Dounia Bouzar n’aura pas travaillé en vain. Comment sortir de l’emprise djihadiste. Dounia Bouzar. Atelier 2015 – 156 pages – 15€ – UOPC

Passion Kaboul de Jean-Jacques Perennes

De l’Afghanistan, on connaît surtout la guerre et les taliban. Voici donc le récit d’une aventure spirituelle et humaine d’exception au cœur de ce pays qui changera le regard que nous lui portons : celle du père Serge de Beaurecueil, cofondateur de l’Institut dominicain d’Etudes orientales au Caire, qui a vécu vingt ans en Afghanistan et qui a consacré sa vie à ceux qui étaient rejetés par le mauvais sort.

Le livre pour Dieu, « Passion Kaboul », retrace l’itinéraire de ce grand spirituel qui consacra sa vie aux plus déshérités au sein d’un pays qu’il a passionnément aimé. Cet ouvrage est écrit par le dominicain Jean-Jacques Perennes. Sœur Catherine Aubin l’a interrogé afin qu’il nous retrace les grandes étapes de la vie de cet homme inclassable qu’était le père de Beaurecueil. (Source: RV/14.06.15/Sœur Catherine Aubin )

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Musulmans au quotidien : une enquête européenne sur les controverses autour de l’islam

Notre auteur est une Franco-Turque, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). Elle vient d’un milieu familial très éduqué qui compte en son sein député, ministre, économiste, juriste. Avec ce livre elle veut « fournir les clés pour comprendre les réalités vécues par les Européens de culture musulmane ». Elle va donc nous aider à affiner notre regard sur les musulmans et musulmanes qui nous côtoient dans la vie de tous les jours. Ses recherches menées en équipe vont la mener dans plusieurs pays d’Europe où elle provoquera des rencontres dans ce qu’elle appelle des E.P.E. ou espace public expérimental. C’est le fruit de ces rencontres qu’elle nous offre dans son livre.

Avec elle nous allons pouvoir aborder tous les problèmes qui ont fait récemment la une des médias dans une variété de pays : les prières publiques dans les rues (Chap.3) ; les Mosquées avec ou sans minarets comme en Suisse (Chap.4) ; les caricatures au Danemark ou dans Charlie-Hebdo (Chap.5) ; le voile ou non dans les lieux publics (Chap.6) ; La place de la Charia (Chap.7) ; la notion de Hallal et de Haram (Chap.8). Dans tous les cas de figures, elle cherche à se faire la porte-parole des « musulmans ordinaires », c’est-à-dire ceux et celles qui vivent leur foi au quotidien sans pourtant verser dans le militantisme. Tout cela l’amènera à considérer la réalité sociologique qu’est « l’entrée de l’Islam par effraction dans le monde européen » (p.35) qu’elle qualifiera en conclusion comme une « irruption quasi volcanique » (p.278)

Tout au long de ses pages, nous sommes invités à considérer ce face à face entre le monde musulman et le monde traditionnel européen. Un monde musulman qui ne doit plus être qualifié d’étranger car nous sommes maintenant entrés dans une phase post-migratoire (p.69) durant laquelle des musulmans, nés en Europe, opèrent comme une « indigénisation de l’Islam ». Ils veulent se libérer de l’Islam de leurs grands-parents pour se réapproprier leur foi en s’accommodant des lois séculières en Europe (p.70). On assiste alors à une « individuation du religieux » (p.157) dans un esprit de recherche pour vivre leur foi musulmane aujourd’hui sans pour cela renoncer à l’esprit occidental qu’ils partagent avec les autres (p.191). C’est ainsi que non seulement ils transforment leur rapport à la « normativité islamique » mais aussi ils interrogent l’universel occidental. (p.194)

Car l’occident européen ne peut pas rester insensible à la présence de l’Islam en son sein. Il doit se laisser influencer et même transformer par la présence de l’Islam sans pour cela perdre l’essentiel de son identité. Car ces « nouveaux musulmans ordinaires » remettent en question ces prétentions de l’occident au monopole de l’universel (p.67) ou encore ces discours hégémoniques sur les valeurs séculières ou la modernité (p.132 & 144). Nés sur cette terre occidentale, ils se présentent comme des partenaires à part entière qui n’auront pas à devenir des sujets séculiers (p.167) ou encore à vivre en une conformité imposée avec toutes les normes européennes (p.178) Tout ceci appartient à une époque révolue. Ils ressentent aujourd’hui un appel à participer à l’éclosion d’une nouvelle culture européenne dont ils font partie : « Dans cette phase post-immigration les musulmans participent de manière intime à la fabrique culturelle des sociétés européennes » (p.232) Ils vont mettre en pratique le « style de vie Hallal » (soit ce qui est permis de faire), c’est-à-dire retrouver « une normativité musulmane réinventée en interaction avec les modes de vie européens. » (p.235) On arriverait ainsi à une « stylisation islamique des modes de vie moderne. » (p.236). En bref, pour notre auteur, si tous et toutes savent être assez souples au sein de la société d’aujourd’hui, c’est l’Europe nouvelle « qui peut se construire autour des affaires de l’Islam. » (p.278). Ce sera ce que d’autres nomment « la métamorphose de l’Europe ».

Voilà donc un livre à lire par tous ceux et celles qui s’intéressent à l’avenir de nos sociétés européennes, au vivre ensemble, à la vie interreligieuse et interculturelle. – Gilles Mathorel

Musulmans au quotidien. Une enquête européenne sur les controverses autour de l’Islam. Nilüfer Göle. La Découverte, 2015 – 293 pages – 22.70 € – UOPC