Allocution de Monsieur André Parant, Le frère Jan Heuft

Ambassadeur de France

 

 

Mesdames, Messieurs…

C’est pour moi un immense plaisir mais également un privilège de remettre aujourd’hui au Frère Jan HEUFT les insignes de Commandeur de l’Ordre National du Mérite.

Cette cérémonie marque la reconnaissance de l’Etat français à l’égard de votre engagement sans faille au service des populations vulnérables et en détresse en Algérie et plus encore, en Afrique.

Conformément à la tradition, et au risque de faire souffrir votre modestie, je vais rappeler en quelques mots votre parcours exceptionnel.

Il y a 43 ans, le 21 septembre 1969, une 4L Renault arrive au port d’Alger. La portière s’ouvre et un homme de grande taille en sort et pose le pied sur cette terre d’Algérie… C’est le début de l’histoire d’amour entre vous et le peuple algérien. Histoire qui continue jusqu’à ce jours.

Votre première destination d’alors est la Kabylie, au collège des Pères Blancs à Ath Larbaa d’Ath Yenni. Le collège accueille alors en internat environ 150 jeunes. Un de vos anciens élèves témoigne : « Le père Jan a été mon directeur durant 4 années […]. Je peux affirmer que ces années ont été les plus belles années de ma jeunesse malgré l'internat loin de chez moi et la séparation avec les parents à l'âge de 12 ans. ». (Ali Aït Mohand)

En 1976, le collège est nationalisé, comme toutes les oeuvres de l’Eglise. Vous passez 2 années à Rome à étudier l’arabe et l’islamologie. Vous revenez par la suite en Algérie et vous obtenez le diplôme d’Etat de Maître Spécialisé pour Handicapés Auditifs à l’école paramédicale de Parnet à Alger. Vous consacrez alors tout votre temps à l’Ecole de Jeunes Sourds d’El Harrach.

Durant plus de 30 ans, Vous avez préparé les élèves, sourds et muets, aux examens du Certificat d’étude, de la sixième au Brevet, à l’entrée au Lycée et finalement au Bac et à l’entrée en Université. Un travail assidu, main dans la main avec les élèves et les parents, pour défendre le droit des handicapés au travail et à une vie digne. Laissons à nouveau parler un de vos anciens élèves, qui a publié en 2010 cet encart dans le journal El Watan : ‘Notre père Jan Heuft a joué un rôle très important dans ma vie socioprofessionnelle en tant que sourd-muet. Il m’a aidé à suivre des études au lycée de Ben Aknoun en plus des cours du soir et de son soutien indéfectible aux sourds-muets, dont plusieurs sont cadres aujourd’hui dans des entreprises étatiques ou privées. Dans tout cela, la vérité est qu’il n’y a pas de différence entre un entendant et un sourd, seule la volonté compte’. Cette école était installée dans l’ancien siège des Pères Blancs, site choisi aujourd’hui pour édifier la grande mosquée d’Alger.

Les dernières années de votre vie professionnelle sont marquées par les heures noires vécues par l’Algérie. Vous écrivez : « Comment expliquer aux élèves sourds que cette violence aveugle, que nous vivions dans toutes ces atrocités, ne venait pas de Dieu mais de l’intolérance des hommes de quel bord qu’ils soient ? Combien de fois, dans cette période, dans mon lit le soir, j’ai pleuré en revoyant devant moi ces images d’hommes, de femmes, d’enfants, de nos amis blessés ou assassinés brutalement sans aucune raison ! Même le traducteur en langue de signes pour les sourds à la télévision fut tué. »

A votre retraite professionnelle, vous devenez président de l’association « Rencontre et développement », bien connue du service de coopération de notre Ambassade qui soutient activement ses actions depuis quelques années. L’image que vous avez donnée de cet engagement est celle d’une station humanitaire au bord de la longue route de la détresse humaine : enfants délaissés, migrants subsahariens pourchassés, algériens expulsés, tous trouvent un accueil et une écoute auprès de vous et de votre équipe. Pour les migrants qui le souhaitent, un chemin de retour est proposé. Une des étapes prévues de ce chemin, la maison du migrant à Gao, vient malheureusement d’être saccagée par les rebelles. C’est également, un combat pour la scolarisation des enfants de migrants, le logement des familles et l’accès aux soins : droits immuables et universelles à tout être humain.

Le plus frappant chez vous, Frère Yann, est l'esprit avec lequel vous menez cette oeuvre : toujours la force de l'âme et le sourire. Régulièrement, vous êtes aux prises avec des situations ubuesques : une personne a décédé mais comme elle avait de faux papiers, il n'est pas possible de récupérer le corps. Toujours des choses très difficiles mais sans cesse, vous projetez la force et la confiance. On se sent inspiré à vos côtés.

Enfin, comment résumer tout ce parcours ?

Par une image encore, cette colonie de vacances organisée tous les ans en juillet : toutes les populations servies par vous s’y retrouvent : sourds-muets, mongoliens, réfugiés, migrants, algériens et étrangers, chrétiens, musulmans et non croyants, délivrent ensemble un formidable signe d’espoir, celui de croire à un monde ouvert à tous, sans mise à l’écart de qui que ce soit. Notre Ministre conseiller partant, Diego Colas, se souvient encore, non sans émotion, de ce chant scandé par les jeunes lors de la clôture de la dernière colonie qu’il avait organisée à la Villa Nedjma : « One two three viva l'Algérie, three two one viva Jan ».

Je ne peux finir mon propos sans transmettre mes pensées les plus sincères à toute votre équipe, pour son dévouement, son courage, son combat sans relâche au service des plus démunis.

Frère Yann HEUFT, en témoignage de reconnaissance pour votre parcours personnel et professionnel, pour votre combat quotidien pour les valeurs universelles qui fondent notre démocratie, au nom du Président de la République Française et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Commandeur dans l’Ordre National du Mérite