Depuis le 15 aout dernier je vis, provisoirement, dans un quartier populaire. Avant l’indépendance du pays c’était un quartier peuplé en majorité de gitans (1).
Aujourd’hui, 50 ans plus tard, il ne reste que des algériens musulmans. Ma petite demeure est située juste au dessus de notre « point de rencontre » au service des personnes en détresse, algériens et subsahariens.
Les habitants du quartier se souviennent bien de la présence de ces gitans. Quelques uns sont même des descendants de cette population venue d’ailleurs. C’est probablement à cause de cela que l’accueil des personnes en difficultés, algériennes ou subsahariennes se passe d’une manière détendue, voir sympathique. Quelque part il doit y avoir une mémoire collective, rappelant la période de grande détresse et de pauvreté de leurs ancêtres.
Notre ancien archevêque, Mgr. Teissier, a été vicaire paroissial dans cette partie de la ville durant les années cinquante. C’était la paroisse de St. Bonaventure. Il se souvient que sa maman avait pris en charge un groupe de petits enfants gitanes qu’il se trouvait dans une petite cour intérieure d’un pâté de maisons. Moi – même je me trouve bien accueilli par cette population d’origine gitane ! Bien sûr on se sent moins « chez soi » ici que dans nos grands ensembles communautaires ou ecclésiaux ! D’autre part, la vie est plus partagée, la langue arabe plus utilisée, les joies et les deuils sont vécus plus intensément ! L’espace de vie est plus réduit. Dans le corridor, juste devant ma porte, les voisins préparent les repas et lavent leur linge. Il arrive qu’ils m’invitent au repas ou m’apporte carrément « le plat du jour ». Depuis quelques jours, un de nos jeunes voisins a acheté un coq espagnol, noir comme la soutane d’un curé ! Cet oiseau se promène dans notre corridor d’un appartement à l’autre et crie de joie quand un de nous veut l’attraper. Pour le lever du matin il remplace le réveil du portable !
A la cafétéria, appelée El Andalous, en face de notre « point de rencontre », les va-et vient sont constants. Le jour de Noël, à midi, le Pape Benoit XVI y était présent sur le grand écran mural devant les clients musulmans attablés buvant leurs jus ou leurs cafés. La bénédiction « Urbi et Orbi » ne leur a pas fait peur, ni déplu. Il y avait plutôt une ambiance respectueuses, y compris de la part des quelques hommes barbus, habillés en gandouras et en zerouals trop courts !
A un bout de la rue, le commerce informel de fruits et légumes est très florissant et vit au rythme des contrôles des agents de l’ordre. Heureusement les patios des maisons environnantes offrent des abris bien commodes pour cacher la marchandise durant ces « moments de crise » A l’autre bout, une boutique spécialisée dans le vente de vin et de bière, permet à certains de s’évader dans des espaces « hors cadres » !
C’est dans cette ambiance détendue, qu’un jour, en allant au souk, pour acheter des pommes de terre, un petit groupe d’adultes me saluait d’une manière joviale en criant haut et fort : « Vive les Chrétiens » ! A l’instant même je ne savais pas quoi répondre tellement c’était inattendu. Durant mes quarante trois années de présence en Algérie, cela ne m’était jamais arrivé pleine public. Ma première réponse, en toute hâte, fut alors en arabe : « Kul wahed wa dinou »! Ce qui veut dire « A chacun sa religion »
Le reste de la journée et les jours suivants le groupe, revenait à la charge. Finalement « cet applaudissement » pour les chrétiens était une invitation à plus de paroles, à plus de réflexions ! Il s’agissait de chercher ensemble nos valeurs et nos croyances. Nous allions le faire doucement, en s’observant mutuellement, chacun se méfiant de l’autre. Je me sentais presque comme les disciples d’Emmaüs en découvrant, en expliquant ensemble les écritures. Nous arrivions à nous confesser en quoi nous croyions et en Qui nous avions confiance.
Une fois de plus la conviction du concile Vatican II fut affirmée : Dieu se manifeste par des multiples façons et aussi dans d’autres traditions ou religions. Nous la lisons aussi dans l’épitre de ce dimanche : la lettre de St. Paul à Tite 2/11 – 14/3 : « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » En écoutant ce passage j’ai devant mes yeux la foule immense d’hommes et de femmes lors de l’enterrement de nos confrères à Tizi – Ouzou dans les années 90. Cette foule qui scandait : « Oui, ces pères étaient des hommes de Dieu en qui nous avions placé toute notre confiance » Personne ne peut recevoir un plus grand compliment, mais c’est aussi un défis lancé à nous toutes et tous.
Alger le 13 janvier 2013
Frère Jan Heuft, pb.
(1) gitan : nom donné aux bohémiens d'Espagne (groupe des Rom)