Dans le dernier numéro de Voix d'Afrique : N°110.
Promouvoir un clergé africain,
une priorité pour le cardinal LavigerieTexte du P. Jean-Claude Ceillier,
missionnaire au Mali, Burkina,
à Rome, et membre du
service historique des M.Afr.
Tout au long de l’histoire des missions, l’Église a encouragé, comme étant une priorité, la préparation d’un clergé autochtone pour les pays nouvellement évangélisés. Dans l’histoire des missions modernes, on peut dire que le cardinal Lavigerie a été un des promoteurs les plus convaincus de ce choix apostolique : rendre les jeunes Églises pleinement elles-mêmes en leur offrant le plus vite possible des pasteurs, catéchistes ou prêtres, et des religieuses issus de leur propre sol.
Dès son arrivée en Algérie comme nouvel évêque, en 1867, Lavigerie organisa un remarquable service d’accueil pour des centaines d’orphelins victimes de la grande sécheresse qui éprouvait alors le pays. Le plus grand nombre fut scolarisés, et parmi ces jeunes plusieurs demandèrent finalement à devenir chrétiens. Lavigerie songea alors à orienter quelques-uns d’entre eux vers le sacerdoce, convaincu qu’ils sauraient mieux qu’aucun missionnaire trouver les chemins pour témoigner de la foi et, peut-être, toucher le cœur de leurs compatriotes. Cette première initiative n’eut pas le succès espéré, mais quelques mois plus tard, en 1869, Mgr Lavigerie écrivait en parlant des enfants qui seraient pris en charge dans les missions en Afrique subsaharienne : « On pourra trouver parmi eux les éléments d’un clergé indigène qui, habitué au climat, en supportera facilement les conditions. C’est ainsi que tous les pays chrétiens sont arrivés à la foi et que l’on peut espérer, avec la grâce de Dieu, y ramener ce grand continent. »
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Construction du grand séminaire Kipalapala Tanzanie ............... Grand Séminaire de Katigondo (Ouganda)
Les premières grandes missions confiées aux Missionnaires d’Afrique dans les régions équatoriales correspondent aux régions actuelles des Grands Lacs intérieurs, Tanzanie, Ouganda, Rwanda, Burundi, Zambie et l’est du Congo-Kinshasa, et les premiers missionnaires y arrivèrent dans les années 1878-1879. Mgr Lavigerie avait encore insisté sur la priorité concernant la formation des apôtres autochtones, et en 1874 il écrivait : « Les missionnaires devront donc être surtout des initiateurs, mais l’œuvre durable doit être accomplie par les Africains eux-mêmes, devenus chrétiens et apôtres ». Dans les instructions données aux premières caravanes il reprend ce thème, et il insiste alors sur une première étape à promouvoir, la formation de laïcs catéchistes à qui il serait donné, en plus, une formation de médecins. Il avait la conviction que leur apostolat serait grandement valorisé par leur dévouement et les soins ainsi donnés aux malades. Ce type d’apôtre fut remarquablement illustré par un ancien esclave libéré, Adrien Atiman, qui porta un très beau témoignage, en Tanzanie, jusqu’à sa mort en 1956.
Ces nouveaux territoires de missions furent, dès les années 1880, organisés en plusieurs vicariats apostoliques par le Saint Siège, quatre tout d’abord, puis six peu après, et c’est dans ce cadre que se développa peu à peu l’apostolat pour les vocations. Dès 1891, en Ouganda, les missionnaires forment des catéchistes qui partent visiter les villages, voisins de la mission ou lointains, et cette vocation de catéchiste se développera de façon remarquable dans toutes les missions. Dans ces mêmes régions deux écoles-petits séminaires sont fondées en 1891 et 1892, et on doit mentionner ici les noms des deux vicaires apostoliques qui furent les grands promoteurs du clergé africain, Mgr Hirth et Mgr Streicher. Les petits séminaires ont souvent commencé dans des conditions très précaires, avec des perspectives parfois assez larges qui les situaient, à la fois, comme simples écoles, centres de futurs catéchistes, et petits séminaires, avec souvent des changements de localisation parfois difficiles à suivre avec précision... Dès les premières années de la mission, cependant, chaque vicariat avait le sien et cet engagement pastoral est toujours resté une priorité dans les nouvelles fondations de missions Pères Blancs, aussi bien en Afrique Équatoriale qu’en Afrique de l’Ouest.
Dédicace (1953) de l'église du grand séminaire de Nyakibanda
par Mgr. Bigirumwami, 1er évêque du Rwanda.
Le premier grand séminaire de ces régions des Grands Lacs est fondé en 1893 en Ouganda, à Kisubi, près du lac Victoria, puis transféré plus tard à Bukalassa. Quelques années plus tard, en 1911 le séminaire s’établit sur un nouveau site voisin de Bukalassa, à Katigondo, et c’est là que Mgr Streicher, en 1913, ordonna les deux premiers prêtres de ces régions intérieures, les abbés ougandais Basile Wumu et Victor Womeraka. Quatre années plus tard, en 1921, les territoires confiés aux Missionnaires en Afrique Équatoriale comptent cinq grands séminaires. Le nombre de candidats augmentait et les vicariats apostoliques se firent plus nombreux, et c’est ainsi que fut décidée la fondation d’un grand séminaire régional, regroupant les candidats au sacerdoce de plusieurs vicariats apostoliques, projet qui se concrétisa en 1925 avec l’ouverture du grand séminaire de Kipalapala, près de la ville de Tabora en Tanzanie. Ce grand séminaire eut alors un rayonnement remarquable et il continue encore aujourd’hui son service d’Église. Au Rwanda, au Burundi, au nord de la Zambie et dans l’est du Congo des fondations de petits, puis de grands séminaires suivirent de peu, là encore, les débuts de la mission. Ainsi, en 1917, Mgr Roelens ordonna prêtre l’abbé Stéphane Kaozé dans son vicariat apostolique de Baudoinville, l’actuelle Moba, au sud-est du Congo. Toutes ces fondations se sont réalisées souvent dans des conditions de précarité qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui : grandes distances à parcourir pour les séminaristes, manque de finances pour les constructions et la nourriture, difficultés pour constituer un corps professoral suffisant, etc. C’est vraiment un témoignage de foi et de courage qui nous touche quand on relit, aujourd’hui, l’engagement des missionnaires de cette époque pour cette œu vre des vocations.
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Les 10 premiers prêtres ougandais et Mgr Forbes (1921) / Petit Séminaire de Pabré Haute Volta 1930
Préparer des prêtres pour demain n’était pas pour autant la seule perspective vocationnelle, et chaque vicariat apostolique fonda très rapidement une école de catéchistes. On a déjà mentionné l’exemple de l’Ouganda, mais il en fut de même dans les autres régions concernées, notamment en Tanzanie. Il se développa très vite un authentique ministère de catéchiste, celui d’un responsable bien formé, animateur, catéchète et pasteur dans le village où il acceptait d’être nommé. Cette même tradition sera reprise en Afrique de l’Ouest. Dans le mouvement général d’évangélisation de ces régions le rôle des catéchistes ne sera jamais assez souligné. Enfin, un autre témoignage de vie consacrée s’est développé assez rapidement, celui des religieuses africaines. Les Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (Sœurs Blanches) ont été dans ce domaine des initiatrices et des fondatrices de grande valeur, aidant de nombreuses congrégations religieuses africaines à naître et à se développer.
En Afrique de l’Ouest les débuts furent plus difficiles et plus tardifs. Les premiers Pères Blancs sont arrivés au cœur de l’Afrique Occidentale au milieu des années 1890, et ils ont trouvé une population déjà assez fortement islamisée, au moins dans certaines régions. En outre, le pouvoir colonial français, établi dans des pays comme l’actuel Mali ou dans l’ancienne Haute-Volta, a souvent fait obstacle à tout ce qui pouvait favoriser les missions catholiques. Le développement de la mission en fut ralenti, mais en 1925 Mgr Thévenoud fonda un petit séminaire à Pabré, près de Ouagadougou, et plus à l’ouest, dans le Soudan de l’époque, c’est-à-dire le Mali actuel, Mgr Lemaître fonde lui aussi un petit séminaire à Kati, près de Bamako. En 1934 une étape majeure marqua l’essor de cet effort pastoral avec la fondation du premier grand séminaire de la région à Koumi, près de la ville de Bobo-Dioulasso (Burkina). Ce grand séminaire à vocation régionale regroupa dès sa fondation les grands séminaristes de plusieurs pays francophones où travaillaient les Missionnaires d’Afrique, le Burkina, le Mali, et la Guinée, et cette ouverture internationale se prolongea plusieurs années encore après les indépendances.
Basile Lumu et Victor Womereka
les 2 premiers prêtres ougandais, ordonnés le 29 avril 1913.
Toujours dans l’Ouest africain les Pères Blancs ont également évangélisé le nord de l’ancienne Gold Coast britannique, aujourd’hui le Ghana. Il fallut attendre la fin de la guerre, en 1945, pour que puisse se fonder un grand séminaire: situé d’abord à Navrongo il fut transféré quelques années plus tard à Tamale.
Ainsi, dans les cinquante premières années de leurs fondations missionnaires, les Pères Blancs ont consacré d’importants efforts pour l’émergence d’un clergé africain dans les régions d’Afrique des Grands Lacs et en Afrique de l’Ouest. Cet effort ne se fit pas partout dans l’unanimité générale : parfois les missionnaires se demandaient si de tels projets n’étaient pas prématurés, s’il n’y aurait pas de telles difficultés pour les prêtres et les religieuses africains dans ces régions qu’il serait plus sage d’attendre que les chrétientés soient plus structurées, etc. Paradoxalement ce sont parfois les chrétiens eux-mêmes qui soulevaient ces objections, et il a fallu souvent la conviction forte des vicaires apostoliques et des missionnaires les plus ouverts pour dépasser ces peurs et faire naître et croître peu à peu d’authentiques vocations africaines.