Octobre 1988 : les secrets d’un « printemps ­algérien »

| Par - envoyé spécial à Alger

Une édition enrichie de l’ouvrage référence de Sid Ahmed Semiane sur les événements d’octobre 1988 paraît à la fin du mois. En voici, en exclusivité, les bonnes feuilles.

Octobre 1988. Des émeutes d’une extrême violence secouent plusieurs régions de l’Algérie, obligeant le président Chadli Bendjedid, au pouvoir depuis dix ans, à faire sortir l’armée des casernes pour rétablir l’ordre. Le bilan est lourd. Le traumatisme l’est tout autant. Révolte spontanée ou complot ourdi par un clan au pouvoir ? Tortures ordonnées et couvertes par l’État ou simples dépassements d’agents devenus incontrôlables ? Trente ans plus tard, toutes les vérités n’ont pas été dites sur cet épisode qui signa la fin du système du parti unique – le FLN – et ouvrit la voie au pluralisme.

Les protagonistes sont aujourd’hui décédés, âgés ou astreints à un devoir de réserve en vertu d’une loi de 2016. L’écrivain et journaliste Sid Ahmed Semiane (SAS) a eu accès à ces témoins privilégiés. Une première fois pour un ouvrage de référence publié en 1998, intitulé Octobre. Ils parlent, dans lequel il confessait responsables politiques et militaires, acteurs de l’opposition et victimes.

Une nouvelle édition sortira fin octobre chez Barzakh, enrichie de témoignages, d’éclairages et de documents. L’ouvrage original n’aurait pas vu le jour sans le concours de l’avocat Miloud Brahim, dont l’entregent et le carnet d’adresses ont permis d’entrouvrir les portes du sérail et de convaincre les responsables civils et militaires de livrer enfin leurs versions des faits. Une gageure tant ces hommes cultivent le secret, la confidentialité et l’omerta.

Voyage au cœur du pouvoir

Le général-major Larbi Belkheir, chef de cabinet de la présidence en octobre 1988, et le général-major Lakehal Ayat, chef du renseignement à l’époque, ont accepté de revenir sur le contexte entourant ce « printemps ­algérien ». EI-Hadi Khediri, alors ministre de ­l’Intérieur, sur les accusations de torture. Le général Khaled Nezzar, commandant des forces terrestres, chargé du maintien de l’ordre durant l’état de siège décrété le 6 octobre, fut le premier à témoigner en 1998.


Sachez que si vous ne faites pas l’Histoire, elle se fera contre vous, lance Sid Ahmed Semiane  à Nezzar

Nezzar se prêta alors au jeu des questions-réponses pendant sept heures. Mais le 25 juin 1998, l’assassinat du chanteur Matoub Lounès manque de faire capoter le projet du livre. Au lendemain de ce crime qui embrase la Kabylie, Nezzar décide de retirer son témoignage. « Le pays va mal, explique-t-il à son confesseur. Ce n’est pas le moment de parler. » Le journaliste insiste. Le témoignage de Nezzar, dont l’ascendant moral sur les civils et les militaires est évident, est la clé de voûte de l’ouvrage. Si lui se défile, personne n’acceptera plus de parler.

« Sachez que si vous ne faites pas l’Histoire, elle se fera contre vous », lance SAS. Nezzar se laisse convaincre. D’autres personnalités firent le choix du silence, comme le président Chadli, impossible à approcher après qu’il eut quitté ses fonctions avec fracas en janvier 1992, et qui emporta ses secrets dans la tombe vingt ans plus tard. Mouloud Hamrouche, secrétaire général de la présidence en 1988, refusa aussi de témoigner. Le ­général Mohamed Bétchine, chef de la direction centrale de la sécurité de ­l’armée ? Il posa une condition : ne pas évoquer la ­torture contre les manifestants et opposants.

Octobre. Ils parlent est un voyage saisissant et documenté – 500 pages –  dans les arcanes du pouvoir. Une plongée fascinante et bouleversante au cœur de ces événements qui changèrent le cours de l’histoire de l’Algérie.


Combien de morts ?

Selon le bilan établi le 12 octobre 1988 par la gendarmerie nationale, 169 personnes – 144 civils et 25 membres des services de sécurité – ont perdu la vie durant les événements. La vox populi évoque, elle, de 500 à 1 000 morts. C’est ce chiffre qui est repris partout, ce que déplore Khaled Nezzar, chef du commandement terrestre à l’époque des faits.

Selon lui, l’armée avait communiqué aux médias un bilan officiel lors d’une réunion tenue sur les hauteurs d’Alger. « Aucun journaliste n’a rapporté le contenu de notre conférence », déplore le général-major.