Burkina – Cinéma : quel avenir pour le Fespaco ?
18 mars 2019 à 16h06
Devenu une énorme machine, régulièrement critiqué pour son organisation chaotique, menacé par les attentats, le festival de Ouagadougou entend pourtant rester le temps fort du film africain.
Lors de cette 26e édition du Fespaco, les amateurs de couacs organisationnels n’ont pas été déçus. À en croire les témoignages, des dizaines de professionnels invités n’ont jamais reçu leurs billets d’avion pourtant promis par le délégué général du festival, Ardiouma Soma. Des journalistes mais aussi des réalisateurs de la sélection officielle sont restés bloqués dans leur pays d’origine. Certains ayant fait le déplacement à l’aéroport ont dû rebrousser chemin ou se payer une chambre à l’hôtel le temps que leur billet soit vraiment édité.
Programmation inconnue peu de temps avant le festival, parcours du combattant pour récupérer les accréditations, hôtels fermés au dernier moment aux invités du Fespaco, journalistes refoulés lors de la soirée d’ouverture… Les professionnels ont beaucoup grincé des dents. Un cinéaste a même vu une projection annulée, le DVD de son film ayant été « perdu ». Certains spectateurs aussi ont souffert… Par exemple, ceux qui ont attendu en vain, ticket ou invitation en main, sous un soleil accablant le 26 février pour assister à la projection de Desrance, le long-métrage d’Apolline Traoré, au Ciné Burkina.
Croissance exponentielle
À cela s’ajoute un amateurisme difficilement compréhensible dans la capitale du cinéma africain. Ainsi, comment expliquer que ce soit de jeunes étudiants qui présentent les séances… en écorchant parfois au passage le nom des réalisateurs ou même celui des films (Barkomo, d’Aboubacar Bablé Draba et Boucary Ombotimbé, devenant « Barkomé ») ? Que les cinéastes, parfois présents aux projections, n’aient pas le temps d’échanger avec le public ? Alors même que les professionnels ne demandent qu’à être plus impliqués.
En fait, l’événement fait face à de nombreux défis. D’abord à une croissance exponentielle. La Semaine du cinéma africain, lancée par les cinéphiles du ciné-club franco-voltaïque en février 1969, était confidentielle, réservée à quelques passionnés… Aujourd’hui, le festival, c’est 160 films, 450 projections, des dizaines de colloques, un marché professionnel, des galas pour VIP, une cinémathèque, des publications (Fespaco News). Et plus de 100 000 personnes sont attendues tous les deux ans.
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Rigidités bureaucratiques
Certes, le festival a des partenaires. Le plus important, l’Union européenne, a accordé à la manifestation une enveloppe de 300 000 euros cette année. Mais, comme l’écrivait Colin Dupré en 2012 dans un essai (Le Fespaco, une affaire d’État(s), L’Harmattan), le festival dépend surtout de l’État burkinabè, qui en a fait un outil puissant pour parfaire son image internationale.
Cette année, l’État aurait versé 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros), soit un peu moins de la moitié du budget total. L’organisation, très rigide et bureaucratique, est parfois gangrenée par le copinage. Des réalisateurs dénonçaient ainsi sur les réseaux sociaux l’invitation régulière d’« apparatchiks » sans activité récente dans le secteur.
Comme l’explique le cinéaste Gaston Kaboré, personnalité emblématique du Fespaco, « le festival dépend aussi de la bonne ou de la mauvaise santé du cinéma africain ». De là une programmation très inégale où des coproductions internationales, comme The Mercy of the Jungle, du Rwandais Joël Karekezi, ou Rafiki, de la Kényane Wanuri Kahiu, sont en compétition avec des premiers films plus fauchés. Le long-métrage malien Barkomo, par exemple, a été produit par son propre réalisateur, qui a investi 1,5 million de F CFA, utilisé son propre matériel pour filmer et monter son œuvre.
Événement populaire
Le plus gros défi du festival, cinquante ans après sa création, reste sa professionnalisation. « On aimerait qu’un fichier accessible à tous recense les professionnels présents sur l’événement, que les films récompensés soient mieux accompagnés après le Fespaco, qu’un travail de repérage soit fait pour dégoter des films, des séries… », plaide Claire Diao, productrice et distributrice par l’intermédiaire de sa société, Sudu Connexion.
Car l’amateurisme nuit au prestige et à l’attractivité de l’événement. Le FIAPF, la fédération des producteurs de films, n’a toujours pas accordé de label au festival, faute d’une gestion rigoureuse et de premières internationales. Le public, hors professionnels, est essentiellement burkinabè : en dépit de sa longévité, la manifestation peine à se faire connaître dans le monde et à attirer des festivaliers internationaux.
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Objectif : « décoloniser les écrans »
Malgré tout, on voit mal comment l’événement, souvent donné pour mort, pourrait réellement disparaître. D’abord parce qu’il reste populaire. Même si les séances dans les salles de cinéma sont aujourd’hui payantes, elles attirent toujours le public local. Et des projections nomades gratuites du Cinéma numérique ambulant introduisent le septième art sur les ronds-points, les marchés ou dans les lycées.
Ensuite parce que la mission qu’il s’était fixée à ses débuts de « décoloniser les écrans » est toujours plus pressante, à l’heure où les nouveaux complexes CanalOlympia proposent essentiellement dans leurs salles des blockbusters américains. On notera à ce propos l’effort des deux CanalOlympia burkinabè à Ouaga 2000 et à Pissy pour diffuser des films en compétition.
Le Fespaco reste le lieu historique du cinéma africain, il faut y être, estime la réalisatrice, actrice et productrice sud-africaine Xolile Tshabalala
« Le Fespaco reste le lieu historique du cinéma africain, il faut y être », estime la réalisatrice, actrice et productrice sud-africaine Xolile Tshabalala, venue à cette édition, pour la première fois, comme en pèlerinage. Quitte à ne rien comprendre à la plupart des films en français, non sous-titrés. L’ombre des pères fondateurs plane toujours sur le prestige de l’événement. Et la relation qu’entretiennent certains professionnels avec le festival est quasi affective.
« Je sais que je ne vais pas faire de chiffre d’affaires ici, mais je viens quand même, ne serait-ce que pour maintenir le contact », rigole Jean Roke Patoudem, réalisateur et producteur, derrière son stand du Mica.
« Il y a une fidélité, une vraie ferveur des cinéastes et des cinéphiles, sourit Claire Diao. À l’issue de chaque édition, on se pose la question de la pérennité du Fespaco… Mais chaque fois, comme un chat, le festival retombe sur ses pattes. »