Quinze discours d’indépendance qui ont marqué l’histoire africaine
Patrice Lumumba s'exprimant lors d'un rassemblement politique au moment de l'indépendance. © Terence Spencer/The LIFE Images Collection via Getty Images
Lumumba, Houphouët, Keïta, Senghor, Mba, Ahidjo… En 1960, les leaders africains se sont succédé à la tribune pour proclamer l’indépendance de leurs pays. Solennels ou militants, ces discours sont entrés dans l’histoire.
Lyriques ou factuels, apaisants ou militants, consensuels ou combatifs : les dirigeants africains qui ont pris la parole le jour de l’indépendance de leur pays l’ont fait chacun à leur façon. En relisant les propos de certains d’entre eux, on se rend compte rétrospectivement qu’ils donnaient déjà le ton de ce qui allait se passer dans les semaines, voire les années qui ont suivi l’indépendance.
Jeune Afrique a rassemblé des extraits marquants de ces discours prononcés en 1960.
Cameroun : Ahmadou Ahidjo, le 1er janvier 1960
« Nous savons tous qu’il n’y a pas de dignité pour ceux qui attendent tout des autres. Nous savons que cette indépendance que nous venons d’obtenir ne serait qu’un leurre si nous ne pouvions l’assurer dans la réalité quotidienne. Nous sommes décidés à lui donner une existence qui ne soit pas seulement de façade. Nous serons jugés sur nos actes. Le monde attend de nous que nous lui fournissions la preuve de notre sérieux, de notre capacité à nous diriger nous-mêmes. »
Togo : Sylvanus Olympio, le 27 avril 1960
« Depuis quelque temps déjà l’idée de l’unité africaine a fait du chemin […], mais il semble que, pour ce problème d’actualité brûlante, l’accent ait été trop souvent mis plus sur l’unité politique que sur l’unité économique. […] Je suis, pour ma part, persuadé que c’est par la coopération économique que nous pourrons dès à présent contribuer, dans une grande mesure, au bien-être des habitants de l’Afrique-Occidentale qui nous concerne directement. »
Madagascar : Philibert Tsiranana, le 26 juin 1960
« Notre État libre et indépendant, conscient de ses responsabilités, conscient aussi de sa vitalité et de ses virtualités, se range aujourd’hui, librement en toute connaissance de cause aux côtés des autres États libres dans la Communauté, pour le meilleur comme pour le pire, et pour le progrès de la civilisation. »
RDC : Patrice Emery Lumumba, le 30 juin 1960
« Cette indépendance du Congo, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. »
Bénin : Hubert Maga, le 1er août 1960
« C’est pour nous un jour d’allégresse, jour qui consacre l’union de tous les enfants de ce pays pour la paix et la fraternité, jour qui marquera un nouveau pas en avant de l’Afrique vers un avenir meilleur. »
Niger : Hamani Diori, le 3 août 1960
« Je veux dire ici combien les responsables des quatre États de l’Entente [Côte d’Ivoire, Dahomey, Haute-Volta, Niger] ont œuvré ensemble ; dans le sens d’une évolution commune ; en vue d’un but commun aujourd’hui atteint. […] Notre chance fut de trouver en la personne du Président Félix Houphouët-Boigny cette noblesse de caractère, ce bon sens du terroir, cette sage bonhomie, en un mot toutes les qualités qui font du Père de l’Entente le véritable artisan de notre sûre et pacifique ascension. »
Haute-Volta (Burkina Faso) : Maurice Yaméogo, le 5 août 1960
« À la France, au général de Gaulle, dont le courage et la magnifique lucidité lui valent l’immortalité devant l’Histoire, à toutes les nations qui nous assistent, au clergé qui fournit à ce pays sa première élite avec les moyens du bord, aux professeurs français, qui, patiemment, ont façonné les responsables de ce pays, à nos chefs traditionnels qui ont su sauvegarder l’intégrité de notre État contre les atteintes de l’extérieur, aux anciens combattants et anciens militaires, toujours fidèles à l’honneur, à tous nos parlementaires, aux militants politiques de tous les échelons, aux vaillants combattants qui sont morts pour le triomphe de notre liberté, j’adresse, au nom du gouvernement, l’hommage de ma profonde gratitude. »
Côte d’Ivoire : Félix Houphouët-Boigny, le 7 août 1960
« Voici arrivée, pour Toi, ô mon pays, mon Pays bien-aimé, l’heure tant attendue où ton destin t’appartient entièrement. Peuple de mon pays, laisse éclater ta joie, tu mérites cette joie. Tu as souffert plus que tout autre, en patience, mais ta souffrance n’a pas été vaine. Tu as lutté, mais pas inutilement, puisque la victoire, tu la connais aujourd’hui. Le besoin de dignité que tu portais en toi, le voilà enfin satisfait. »
Tchad : François Tombalbaye, le 11 août 1960
« Dans quelques minutes, notre peuple aura gagné le droit de disposer de lui-même, le droit de choisir lui-même sa propre voie, le droit de figurer parmi le concert des nations, égal en dignité aux plus grandes. »
Centrafrique : David Dacko, le 13 août 1960
« La République française vient de reconnaître l’indépendance et la souveraineté internationale de la République centrafricaine. Et pour cela, au nom de mon pays, je tiens à remercier le gouvernement français. La France a ainsi une fois de plus prouvé aux yeux du monde que sa mission était la protection de la liberté. »
Congo : Fulbert Youlou, le 15 août 1960
« Nous atteignons aujourd’hui notre majorité. Nous sommes comme le jeune homme qui est devenu adulte ; il acquiert la liberté de se diriger seul, comme il l’entend, comme il le désire ; il reçoit de ses parents une dot pour l’aider à démarrer dans la vie et dont il dépendra de lui qu’il l’utilise sagement, la fasse fructifier ou la dissipe. »
Gabon : Léon Mba, le 16 août 1960
« Ma pensée se tourne vers la France amie avec une gratitude profonde. Au général de Gaulle, champion de l’Homme Noir et de la Communauté franco-africaine, je dis “Merci ! Merci du plus profond de notre âme passionnée de vraie fraternité !” Et je vois dans la présence à nos côtés de M. André Malraux, l’illustre chantre du courage, de la culture et de l’humaine dignité, le présage de la “voie royale” où s’engage notre pays. »
Sénégal : Léopold Sédar Senghor, le 6 septembre 1960
« Cher vieux Sénégal […], comment aimer l’Afrique sans t’aimer, comment défendre et manifester l’Afrique sans te défendre d’abord et manifester. Car l’Afrique n’est pas une idée, c’est un nœud de réalités : c’est d’abord un visage de basalte qui, à l’Occident extrême, s’ouvre à toutes les mers, à tous les vents du monde. »
Mali : Modibo Keïta, le 22 septembre 1960
« Le mot “Mali” continuera à résonner comme un gong sur la conscience de tous ceux qui ont œuvré à l’éclatement de la Fédération du Mali ou qui s’en sont réjouis. Nous restons mobilisés pour l’idée de la Fédération, qui, malgré tout, demeure une semence virile de l’unité africaine. Nous avons perdu une partie, mais nous gagnerons la manche, Inch Allah. Les puissances d’argent, les forces rétrogrades et impérialistes n’y pourront rien. »
Nigeria : Alhaji Abubakar Tafawa Balewa, le 1er octobre 1960
« C’est avec une fierté justifiée que nous affirmons que la réalisation de notre indépendance est sans précédent dans les annales de l’Histoire. Chaque étape de notre avancée constitutionnelle a été planifiée de manière résolue et pacifique, avec des consultations complètes et ouvertes, non seulement entre les représentants des différents intérêts du Nigeria, mais aussi en coopération harmonieuse avec la puissance administrante qui a aujourd’hui renoncé à son autorité. »