Air Afrique : Ajavon, Moussa, Tépé, Ossebi, des pionniers africains
aux commandes (2/6)

| Par et 
Mis à jour le 30 mars 2021 à 09h14
Cabine de pilotage, vol Air Afrique


« Il était une fois Air Afrique » (2/6). Si des commandants de bord africains ont piloté les appareils d’Air Afrique dès les années 1960, il faudra attendre 1998 pour que l’unique femme, la Congolaise Adine Ossebi, occupe le poste.

Si les premiers équipages d’Air Afrique sont étrangers  en grande partie français  l’africanisation, du bas de l’échelle aux plus hautes fonctions, est l’un des chevaux de bataille de la compagnie.

Pape Sow Thiam, ex-directeur général du groupe, et directeur technique dans les années 1980, raconte ainsi avoir fait chaque année au mois de mai la tournée des écoles d’ingénieur françaises pour y repérer les jeunes Africains prochainement diplômés. Ceux-ci se voyaient proposer un entretien, et éventuellement un emploi.

Alexis Ayayi Ajavon, le premier des pionniers



Mais au poste sans doute le plus prestigieux de commandant de bord, c’est un Togolais, Alexis Ajavon, qui restera le pionnier. Diplômé de l’Enac Toulouse et titulaire du brevet français de pilote de ligne, il fut le premier Africain commandant de bord sur long courrier (DC-8).
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AJAVON A FAIT TOUTE SA CARRIÈRE À AIR AFRIQUE

Né à Conakry le 18 novembre 1929, il fait ses études secondaires et entame des études supérieures en France avant d’entrer dans l’aviation militaire en 1953. Après avoir suivi un entraînement de pilote militaire au Canada, il revient encore dans l’Hexagone et sert durant six ans dans l’armée de l’air. Son brevet de pilote de bombardement en poche, il se tourne vers l’aviation civile en  1961, et rejoint Air Afrique dès 1964.

Il y gravit rapidement les échelons pour accéder au grade de commandant de bord et devient instructeur confirmé spécialement chargé de la formation des pilotes africains au sein de la compagnie multinationale aérienne. De Lomé, sa région d’origine, à Dakar, sa ville adoptive, en passant par Paris où il a longtemps résidé, Ajavon a fait toute sa carrière à Air Afrique.

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J’AI PEUR EN AVION, ALORS JE DORS !

« Il avait une prestance, une élégance que tout le monde admirait, et ses compétences n’étaient contestées par aucun de ses pairs », se souvient Pape Sow Thiam qui évoque aussi le côté pince-sans-rire du commandant de bord aujourd’hui décédé. « Un jour, je me suis aperçu que nous avions été tous les deux passagers d’un vol Paris-Abidjan. Quand je lui fis remarquer qu’on ne s’était pas vus de tout le vol, il m’a répondu : “C’est normal, j’ai peur en avion, alors je dors !”»

Homme de défis et de risques

« Alexis était un homme de défis et de risques », se souvient de son côté l’ex-mécanicien navigant togolais Dzidzonu Komla, qui se rappelle l’avoir entendu déclarer : « J’avais le goût du risque au départ. C’est ce qui m’a fait choisir au début l’aviation militaire où l’on risque plus sa vie que dans l’aviation civile ».

Une confidence faite à l’occasion d’un périple amenant en 1974 le président togolais Gnassingbé Eyadema en Corée et en Chine, avec un DC8 conduit par un équipage 100 % togolais (complété par le pilote Martin Tépé, voir ci-dessous).

S’il précise l’avoir assez peu côtoyé, le mécanicien-naviguant se souvient de bons moments de partage lors des escales, et d’un « homme  joyeux, accueillant, rigoureux et très pointilleux ».

Avec ses 8 000 heures de vol en 1974, Alexis Ajavon était un pilote très sollicité par les chefs d’État. Outre Gnassingbé Eyadema, il a ainsi convoyé Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), Marien Ngouabi (Congo)Sangoulé Lamizana (Haute-Volta) ou encore Omar Bongo (Gabon) «  qui l’ont sollicité spontanément en sachant que c’est un pilote qui avait fait ses preuves », assure Dzidzonou Komla.

Mahamane Moussa, premier aux commandes d’un Boeing 747

Le Nigérien Mahamane Moussa fut un autre de ces précurseurs. « C’était un homme extraordinaire, d’une simplicité et d’une humanité rares. Il a rejoint Air Afrique après avoir été copilote sur l’avion présidentiel du Niger », se souvient l’ex- chef d’escale Jacques Julien, qui l’a connu à Libreville en 1969, « alors qu’il était copilote sur le DC-4 qui apportait régulièrement de la viande du Tchad ».

Diplômé aux États-Unis, « il fut sans doute le premier Africain commandant de bord sur un Boeing 747. Mais quand celui d’Air Afrique a été revendu, il est tranquillement revenu sur Airbus, les titres ne l’intéressaient guère », poursuit l’ancien expatrié qui se rappelle la fille du pilote jouant dans les couloirs du service des opérations lorsque son père rentrait à Abidjan.

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C’EST L’UN DE MES MEILLEURS ET DE MES PLUS ÉMOUVANTS SOUVENIRS DE VOL

Pape Sow Thiam se souvient lui aussi du pilote décédé lors d’un vol d’essai sur son avion personnel, « un grand amateur de belote » : « Il était commandant de bord du DC 10 affrété en février 1990 pour la visite officielle de Denis Sassou Nguesso aux États-Unis. J’étais moi-même dans la délégation du président congolais, car j’étais chargé de représenter la compagnie à Washington. Soudain, le commandant a capté par la radio la nouvelle de la libération de Mandela. Il en a immédiatement prévenu le président, puis nous tous. Je me souviens d’une explosion de joie dans l’avion, c’est l’un de mes meilleurs et de mes plus émouvants souvenirs de vol », confie-t-il.

Martin Tépé, de la base aux sommets

Le Togolais Martin Tépé, né en août 1934 dans la préfecture de Kloto dans le sud du Togo, n’est pas passé quant à lui par le « saint des saints » que constituait à l’époque la licence française de « pilote de ligne » ou un brevet américain.

Après son baccalauréat en 1960, il s’engage dans l’aviation civile en qualité de contrôleur de la navigation aérienne. Affecté à Abidjan, c’est « la curiosité », dira-t-il plus tard, qui lui fait pousser la porte de l’aéro-club de l’ancienne capitale ivoirienne où il finit par passer son brevet de pilote privé d’avion.

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IL S’EFFORÇAIT DE CONVAINCRE LES JEUNES AFRICAINS D’EMBRASSER LA CARRIÈRE DE PILOTE

Une bourse du Fonds (français) d’aide de la coopération (FAC) au Togo lui permet de compléter son apprentissage en France, à St-Yan, l’une des émanations de l’École nationale française de l’aviation civile, et rejoint Air Afrique fin 1962. Il enchaîne ensuite les qualifications : bi-moteur (Beech18) en 1965, passe sur DC-3 en janvier 1967 et DC-4 en septembre de la même année, ce qui lui vaut d’être nommé copilote sur DC 4 au Cameroun puis sur DC 8, puis pilote et enfin commandant de bord en 1976.

En 1974, fort de 6 300 heures de vol, il est pilote sur le vol du DC-8 qui conduit Gnassingbé Eyadema dans sa tournée asiatique.

Selon l’un de ses proches collaborateurs, il s’efforçait de convaincre les jeunes Africains de ne pas considérer le métier de pilote d’aviation comme « réservé aux super hommes », mais expliquait que cela demandait beaucoup de travail.

« Martin était un homme simple, joyeux, c’était un bonheur de travailler avec lui. Sa mort dans un accident de voiture à Lomé a été un choc dans toute la compagnie », se souvient Jacques Julien. L’aéro-club Air Afrique créé à Abidjan en 1978, quelques mois après le décès du pilote, porte son nom.

 

Adine Ossebi, seule et unique femme


Adine Ossebi, le 15 février 1999 © ISSOUF SANOGO / AFP

Si tous les pionniers précédemment cités ont intégré Air Afrique dès les années 1960, il faudra attendre 1995 pour que soit recrutée la première femme (co)pilote, la Congolaise Adine Ossebi.

Cette dernière a appris à piloter dès 15 ans dans un aéro-club du sud-ouest de la France, où elle a grandi, avant de suivre une formation privée à Montréal. Recrutée par la société congolaise Aéroservice, elle devient pilote de brousse, déposant des forestiers sur leurs chantiers ou livrant du matériel pétrolier à Pointe-Noire ou à Luanda. En 1995, elle passe le concours qui lui permet d’intégrer Air Afrique.

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ADINE N’A JAMAIS OSÉ PRENDRE LE MICRO POUR ACCUEILLIR LES PASSAGERS DE PEUR QU’ILS REFUSENT DE VOLER…

« Là, j’ai reçu une formation plus longue, et j’ai enfin pu découvrir tout le continent, mais aussi les États-Unis, piloter de vrais gros avions », confie à Jeune Afrique celle qui se rappelle de la compagnie panafricaine comme d’« une famille »  c’est d’ailleurs là qu’elle a rencontré son époux, steward à Air Afrique.

Plusieurs mois après être entrée au sein de la compagnie, interrogée par la presse internationale, Adine Ossebi avoue n’avoir jamais osé prendre le micro pour accueillir les passagers à bord, de peur que ceux-ci ne refusent de voler avec une femme aux commandes.

« Il y avait parfois d’autres femmes à Air Afrique, des pilotes de location qui venaient pour deux ou trois mois, mais j’ai été la seule et unique titulaire », poursuit Adine Ossebi, qui a ensuite travaillé pour Air Sénégal International puis pour la RAM, avant d’être recrutée par Asky. « C’est là que j’ai enfin pu gravir les échelons et que je suis passée de copilote à commandant de bord », explique celle qui est toujours la seule femme pilote pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.