Côte d’Ivoire, Sénégal, Congo… Anciens d’Air Afrique, que sont-ils devenus ? (5/6)

| Par - avec Charles Djade, à Lomé. Infographie : Marie Toulemonde
Manifestation à Paris d’anciens amployés d’Air Afrique, le 28 mai 2002.
Manifestation à Paris d'anciens amployés d'Air Afrique, le 28 mai 2002. © DANIEL JANIN/AFP

« Il était une fois Air Afrique » 5/6. La retraite pour les uns, une belle carrière pour d’autres, la galère pour beaucoup. D’Yves Roland-Billecart à Marcel Kodjo, en passant par les quelque 4 000 salariés en poste lors de la faillite, où se trouvent les protagonistes vingt ans plus tard ?

« La disparition d’Air Afrique a été une catastrophe pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, mais aussi un drame humain. Certains États ont eu à cœur d’indemniser leurs ressortissants ou les agents étrangers qui se trouvaient en poste sur leur territoire au moment de la faillite, mais cela n’a pas été le cas partout. Il y a eu des décès d’agents qui n’avaient plus les moyens de se soigner, des divorces, des suicides… », confie Pape Sow Thiam, ex-DG du groupe.

Vingt ans plus tard, ces questions sont-elles réglées ? Et, plus largement, que sont devenus les anciens de la compagnie, qu’ils l’aient dirigée ou qu’ils y aient simples employés ? Jeune Afrique a mené l’enquête et retrace quelques-uns de ces nombreux parcours.

Yves Roland-Billecart, ancien PDG

Yves Roland-Billecart © DR

Après avoir été nommé PDG d’Air Afrique en 1989, l’ex-directeur de la Caisse française de développement (ancêtre de l’AFD) y a été réélu pour un second mandat de cinq ans en 1994

Cependant, très contesté par les syndicats et jusqu’au sein même du conseil d’administration de la compagnie, il fait valoir son âge (70 ans) pour avancer son départ, qui sera effectif en février 1997.

Retraité, il est élu en 1999 à l’Académie des sciences d’Outre-mer.

Pape Sow Thiam, ancien DG

Le directeur général Pape Sow Thiam, à Abidjan, en septembre 2000 © Yann LATRONCHE/Gamma-Rapho via Getty Images)

 

Seul directeur général de l’entreprise « issu du sérail », ce Sénégalais né à Abidjan, ingénieur de formation, est entré à Air Afrique en 1967. Il y fait son chemin, passant de la direction technique à la direction commerciale, directeur pays au Congo puis en Europe, avant d’être nommé directeur général, en 1999

S’il accepte alors de prendre les rênes d’une compagnie en grande difficulté, c’est qu’il pense que son expérience de trente-deux ans dans la maison lui sera utile. « Je connaissais les problèmes de l’entreprise, mais aussi ses points forts et ses hommes. Je pensais donc avoir tous les atouts en main pour la relancer, à condition qu’on m’en donne les moyens », confie-t-il à Jeune Afrique.

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J’AI PRÉFÉRÉ PARTIR POUR NE PAS GÊNER MON SUCCESSEUR

Ayant finalement dû solliciter l’aide de la Banque mondiale pour redresser la compagnie, il laissera en 2001 la place à l’Américain Jeffrey Erickson.

« On m’a alors proposé le choix : je pouvais rester dans la compagnie et représenter les États au sein du comité de surveillance, ou être licencié. J’ai préféré partir pour ne pas gêner mon successeur », explique-t-il.

Il a ensuite présidé, à partir de 2003 « après la faillite d’Air Afrique, à qui je ne voulais pas faire de concurrence », précise-t-il, la compagnie malienne STA Transafrican Airlines, ex-société de transport aérien à la demande qui souhaitait opérer sa régionalisation.

« La compagnie avait recruté d’autres anciens d’Air Afrique et était bien partie, mais nous avons eu des divergences sur les projets de la compagnie : j’ai démissionné en 2005 car je considérais que lancer des vols vers Paris était un mauvais choix stratégique, et STA Transafrican Airlines a déposé le bilan quelques mois plus tard. »

Pape Sow Thiam a pris sa retraite dans la foulée et partage aujourd’hui son temps entre la France et la Côte d’Ivoire.

Marcel Kodjo, le dernier DG

Le président congolais Denis Sassou-Nguesso et le dernier directeur général de la compagnie, Marcel Kodjo, après la réunion qui a décidé le dépôt de bilan de la compagnie et acté le projet d’une Nouvelle Air Afrique, les 10 et 11 janvier 2002.
© GEORGES GOBET / AFP


Le financier ivoirien, diplômé de l’ENA, aura été le dernier directeur général d’Air Afrique avant sa liquidation. Passé par la Beceao et l’UMOA, il avait été directeur général de la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (BIAO) avant d’être choisi pour diriger Air Afrique.

Après 2002, il poursuit sa carrière en tant qu’administrateur de diverses sociétés, et notamment de NSIA Côte d’Ivoire et dirige un cabinet de conseil à Abidjan.

Yacouba N’Diaye

Yacouba Ndiaye © DR

 

L’ancien directeur du fret, resté très attaché à sa compagnie qu’il s’efforce de faire revivre sur le web, a passé trente-trois ans chez Air Afrique, où il était entré en 1971.

Cet Ivoirien, en poste au Sénégal au moment de la faillite, a été licencié, mais sans percevoir la totalité des indemnités qui lui étaient dues, explique-t-il.

Après la liquidation de la compagnie, il a fondé avec une autre ancienne de la compagnie une société de fret, Afrique charter service Sénégal, qui opérait avec un avion loué, un Antonov-12 « le seul avion petit porteur capable d’atterrir sur les pistes courtes comme celles qui existaient à Pointe-Noire ou à Komé, au Tchad », précise-t-il.

« Nous assurions l’exportation de poisson frais de Dakar vers Athènes et Marseille et ramenions du matériel pétrolier pour les escales tchadienne de Komé et congolaise de Pointe-Noire jusqu’en à 2008, date à laquelle l’interdiction de vol des Antonov-12 a mis fin à cette activité », poursuit l’ancien cadre.

Il a aussi supervisé l’organisation et le suivi des vols de compagnies charter précédemment assistées par Air Afrique dans différentes escales, d’abord depuis le Sénégal puis depuis la Côte d’Ivoire. Depuis 2012, Afrique charter service Côte d’Ivoire épaule en outre Air Côte d’Ivoire pour l’organisation des pèlerinages vers Djeddah et Médine.

Ibra Wane

L’ex-cadre commercial, recruté le 18 mai 1992 à l’âge de 29 ans par Yves Roland-Billecart, a démissionné d’Air Afrique en février 2002, juste avant la liquidation. Il était alors en poste au Bénin, comme directeur pays.

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QUAND J’AI ÉTÉ CONTACTÉ PAR AIR SÉNÉGAL INTERNATIONAL, JE N’AI PAS HÉSITÉ

« Depuis le mois de janvier, le bilan avait été déposé. Les bureaux étaient toujours là, mais les avions ne volaient plus. Alors, quand j’ai été contacté par Air Sénégal International pour le poste de directeur commercial, je n’ai pas hésité », relate l’ancien cadre, selon lequel beaucoup de salariés – ceux qui avaient pu trouver du travail ailleurs – ont comme lui quitté l’entreprise entre le mois de janvier et le mois d’avril 2002.

Muté au siège de la Royal Air Maroc  partenaire d’Air Sénégal International  Ibra Wane a aussi échappé à la faillite de la compagnie sénégalaise. Il a ensuite rejoint le courtier aérien français Avico, dont il a ouvert le bureau sénégalais en 2011.

4 000 salariés sur le carreau

Si les quelque 4 000 salariés d’Air Afrique ont tous perdu leur emploi à la suite de la faillite, leur sort juridique et financier a été extrêmement variable en fonction de leur nationalité et de l’endroit où ils étaient en poste au 25 avril 2002  la règle théorique étant que chaque escale indemnise ses travailleurs, quelle que soit leur nationalité.

Le Bénin, le Mali, le Tchad et le Burkina Faso semblent avoir mis un point d’honneur à indemniser leurs ressortissants, y compris lorsqu’ils étaient en poste à l’international, tout comme le Niger, qui a vendu le matériel Air Afrique de l’escale pour dédommager ses agents de l’extérieur. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, principales bases de la compagnie, la situation a été plus compliquée.

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LES EX-EMPLOYÉS IVOIRIENS D’AIR AFRIQUE SE SONT RÉUNIS AU DÉBUT DE FÉVRIER POUR RÉCLAMER LES INDEMNITÉS PROMISES PAR ABIDJAN

Au Sénégal, des indemnités seront débloquées par paliers, sur les deux décennies suivant la faillite. « Des paiements par petits bouts qui ne représentent rien », s’emporte Yacouba N’Diaye. Le 19 juillet 2020, le ministre du Tourisme et des Transports aériens, Alioune Sarr, a remis aux anciens salariés sénégalais ou à leurs ayants-droits un chèque de 66,7 millions de F CFA (environ 102 000 euros), indiquant que ce dossier était soldé « définitivement ». Sollicités par JA, ses services n’ont pas donné suite à notre demande d’entretien.

En Côte d’Ivoire  siège de la compagnie, où travaillaient 800 personnes au moment de la liquidation , le dossier n’est toujours pas soldé. L’avocat parisien Olivier Brane, qui a longtemps défendu les intérêts de ex-salariés, a fini par prendre sa retraite sans en avoir vu l’aboutissement. Contacté par Jeune Afrique, il n’a pas souhaité s’exprimer.

Organisés en Comité de suivi des droits des anciens travailleurs ivoiriens d’Air Afrique, les anciens de la compagnie se sont encore réunis en assemblée générale au début de février pour réclamer leurs indemnités, que l’État leur promet pour cette année 2021.

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D’ANCIENS SALARIÉS TOGOLAIS N’EXCLUENT PAS DE RELANCER UN JOUR LE DOSSIER DEVANT LA JUSTICE

Les agents togolais ont quant à eux dû attendre le 28 novembre 2018 pour que la médiatrice de la République, Awa Nana Daboya, fasse débloquer 124,5 millions de F CFA (sur un total de droits dus, intérêts et principal confondus, de 196 millions de francs CFA), avait alors indiqué le bureau de l’association locale de défense des anciens salariés dans un communiqué.


Manifestation des anciens salaries de la compagnie aerienne Air Afrique devant les locaux d’Air France à Paris © DR

Mais cela ne concerne que les personnels employés localement. Ceux basés à Abidjan attendent toujours les 30 à 150 millions de F CFA que, en fonction de leur statut, ils sont censés recevoir comme indemnités. Contactés par JA, d’anciens salariés togolais qui ont requis l’anonymat n’excluent pas de relancer un jour le dossier devant la justice.

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400 MORTS DANS LES RANGS DES EX-AGENTS D’AIR AFRIQUE SONT À DÉPLORER FAUTE DE SOINS

Quant au Congo-Brazzaville, il a indemnisé à hauteur de 50 % le personnel d’Air Afrique présent sur son territoire  oubliant ses ressortissants basés au siège.

Le sort semble avoir été le même pour les Centrafricains, dont un porte-parole, Bruno Gongolo, rappelait en août 2009 que les ressortissants en poste hors du territoire n’avaient reçu ni indemnités de  licenciement, ni arriérés de salaires, ni indemnités de rapatriement pour eux-mêmes et leur famille. Sept ans après la faillite de la compagnie, l’ancien salarié déplorait « plus de 400 morts, dont 4 Centrafricains, dans les rangs des ex-agents d’Air Afrique, faute de soins ».

En Mauritanie  plus faible contributeur de la compagnie en termes d’effectifs, avec moins de 100 agents , les ex-salariés sont peu visibles, du fait de leur petit nombre. En 2006, la trentaine d’agents alors en poste à l’étranger, réunis en collectif, en avait appelé au président, expliquant n’avoir rien reçu et totaliser en outre plus d’un an d’arriérés de salaire. La situation semble avoir été réglée depuis.