Bombardement de Bouaké: le général Poncet, chef de la force Licorne, à la barre
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Qui a ordonné aux pilotes de tirer sur le camp français ? Cette question qui hante les victimes du bombardement de Bouaké et leurs proches depuis plus de 16 ans a été posée vendredi 9 avril aux plus hautes autorités militaires françaises de l’époque : le général Bentegeat, chef d’état major des armées et le général Poncet, commandant de la force Licorne en Côte d’Ivoire.
Avec notre envoyée spéciale au palais de justice de Paris, Laura Martel
Les premiers mots du général Poncet sont pour les victimes : « J'espère que je pourrais apporter les réponses qu’elles attendent depuis 17 ans », indique le général Poncet, avant de dérouler lui-même les questions. « D’abord qui sont les auteurs ? On le sait, même s’ils ne sont pas dans le box. L’ont-ils fait sciemment ? Oui. Mais pas de leur initiative, donc qui sont les donneurs d’ordres ? »
« D’abord, liste le général, le colonel Mangou qui commandait les opérations sur le terrain et son adjoint de l’armée de l’air, Séka Yapo. Autour d’eux, il y avait les radicaux rassemblés autour de Simone Gbagbo, le conseiller Défense Kadet Bertin, le président de l’Assemblée nationale Koulibaly et celui du FPI Affi N'Guessan, identifiés comme des extrémistes en termes de résolution de cette crise. »
« Mais pourquoi, poursuit le général, un ordre aussi insensé ? » Pour lui, l’offensive loyaliste avait « totalement échoué », et les radicaux, après la disparition du chef d’état-major étaient « paniqués » à l’idée d’un coup d’État. « D'où une défense paranoïaque, dit-il : quoi de mieux que désigner un nouvel ennemi pour cacher l’échec ». « Cela aurait pu marcher » estime le général, notamment, « du fait des 8 000 ressortissants sur place, soit "autant d’otages possibles", comme avait menacé Mangou ». « Mais ils n’avaient pas pris en compte le caractère du président Chirac et la réactivité de nos unités ».
Le général Poncet a également pointé des « facilitateurs », qui « portent une responsabilité indirecte » estime-il, car ils ont « donné le feu vert » à Laurent Gbagbo pour son opération de reconquête : « les opérations de maintien de la paix de l’ONU dirigées par un diplomate français » pour avoir fixé des règles d’engagement qui ne permettaient pas à Licorne de s’opposer à l’offensive ; mais aussi dit-il, « les milieux d’affaires franco-ivoirien qui en avaient marre car les affaires marchaient mal » et ont nourri « à Paris, un courant disant qu’il fallait en finir avec la rébellion ».
Il raconte ainsi qu’à l’été 2004, le conseiller Afrique de l’Elysée demande d’entamer le désarmement des rebelles, ce qui n’était selon lui pas la mission de Licorne. « J’y ai vu le premier signal d’un changement de position de plusieurs courants de la vieille France-Afrique » dit-il.
Enfin, « y a-t-il eu complot pour faire faire une grosse bêtise à Laurent Gbagbo, que je ne considère pas comme donneur d’ordre ? », interroge le général. Il évoque alors un entretien en juin 2005 « Gbagbo m’a dit : vous connaissez assez bien l’Afrique pour savoir qu’un chef Bété assume les décisions de ses subordonnées. » Quant à une éventuelle manipulation française : « Si on avait voulu renverser Gbagbo ou lui tendre un piège, on s’y serait sans doute pris autrement », soutient le général Poncet.
Un sentiment partagé par le général Bentegeat. « Je ne peux pas imaginer une seconde Chirac dans un schéma aussi hallucinant que faire tirer sur ses propres soldats pour espérer se débarrasser d’un dirigeant », assure-t-il. D’ailleurs, le président Gbagbo n’a « jamais dit que c’était la France qui était responsable quand je l’ai vu en décembre 2004 », poursuit-il, « il m’a dit qu’il allait diligenter une enquête, il devait donc penser que c’était dans sa chaine de commandement. »