[Tribune] Gisèle Halimi au Panthéon : ce que cache la polémique

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Par  Renaud de Rochebrune

L’avocate Gisele Halimi a Paris en 1977.
L'avocate Gisele Halimi a Paris en 1977. © Michele Brabo /Leemage

Envisagée un temps par le président Emmanuel Macron, l’entrée au Panthéon de l’avocate Gisèle Halimi, figure anticolonialiste autant que féministe, serait désormais compromise. Et pas forcément pour les raisons que l’on imagine.

En janvier dernier, lors de la remise du rapport Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, on avait enregistré de vives réactions des deux côtés de la Méditerranée. Si, officiellement, les autorités algériennes semblaient rejeter en bloc ce texte – notamment parce que, à leurs yeux, il n’incitait pas suffisamment l’État français à la repentance – , en France, en revanche, l’accueil avait été plus contrasté mais en général assez favorable.

Ainsi, la plupart de ses préconisations pour apaiser les relations entre Paris et Alger et calmer les douleurs toujours vives des divers acteurs de la guerre près de soixante ans après les accords d’Évian, avaient plutôt été considérées par la grande majorité des commentateurs comme des mesures symboliques ou pratiques de bon sens. Avant qu’on oublie quelque peu le travail de Benjamin Stora au fil des semaines.

Dénoncer l’ensemble du rapport

Quatre mois après, alors qu’elle n’avait suscité que très peu de commentaires, l’une de ces mesures symboliques fait étonnamment l’objet d’une vive polémique en France. Il s’agit de « l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie », pour reprendre les mots de Benjamin Stora saluant l’avocate récemment disparue et qui avait courageusement défendu des militants et surtout des militantes du Front de libération nationale (FLN) risquant de lourdes peines pendant le conflit.

Certes, l’idée de lui accorder cet honneur peu commun – seules quelques dizaines de « grands hommes » sont inhumés au Panthéon – avait été critiquée dans une tribune signée par une cinquantaine de femmes se présentant comme « femmes et filles de harkis », et publiée par le Figaro. Mais le texte n’avait guère attiré l’attention. Il avait d’ailleurs pour principal but affirmé de dénoncer l’ensemble du rapport supposé « obéir à des considérations politiques et non historiques, au préjudice de la vérité sur les harkis ».

En clair, voulait-on dire, le texte de Stora ne prenait pas suffisamment en considération les revendications des descendants des soldats supplétifs de l’armée française pendant la guerre, injustement traités des deux côtés de la Méditerranée à l’issue du conflit.

Des dizaines de milliers de signatures

Mais voilà qu’à la mi-mai, un journaliste de la radio France Inter a déclaré à l’antenne avoir appris de bonne source – auprès d’un conseiller de l’Élysée, peut-on supposer – que l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi ne ferait plus partie des gestes envisagés par le président Emmanuel Macron pour continuer à suivre les préconisations de Benjamin Stora (reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans l’assassinat de l’avocat nationaliste lié au FLN Ali Boumendjel, ouverture facilitée d’archives concernant la guerre, etc.).

Ce qui, jusque là, n’avait guère fait problème est alors devenu tout à coup une « affaire » très commentée dans les médias. Paradoxalement, non pas pour une raison directement liée à la mémoire de la guerre d’Algérie, mais parce que ce recul « probable » de l’Élysée a choqué… des militantes féministes.

Que s’est-il passé ? Il semble que le président français ait reçu récemment des représentants des harkis et qu’il les a entendus répéter les critiques émises dans la tribune du Figaro. De quoi l’inciter, peut-être, à ne pas se précipiter, à moins d’un an de l’élection présidentielle, pour honorer Gisèle Halimi, et, par là même, mécontenter les descendants des harkis, et peut-être aussi les « pieds-noirs », bien que ces derniers ne se soient pas exprimé sur le sujet.

Et c’est ce que la  source élyséenne du journaliste de France Inter lui aurait confié. Ce qui n’a pas conduit avant tout, comme on aurait pu le supposer, les défenseurs des harkis à se féliciter. Mais qui a suscité une immense colère dans les rangs des organisations féministes françaises, lesquelles ont lancé une pétition qui a recueilli non pas une cinquantaine de signatures, comme la tribune du Figaro, mais des dizaines de milliers.

La raison en est simple. Gisèle Halimi est avant tout en France une figure du combat pour la défense des femmes : elle fut, grâce au célèbre procès de Bobigny en 1972, une pionnière parmi les défenseurs du droit à l’avortement et à la libre disposition de leur corps par les femmes. Elle fut également, à la suite d’un autre procès, en 1980, la principale responsable de la criminalisation du viol dans le droit français.

D’où l’importance, aux yeux des pétitionnaires, que revêt son entrée au Panthéon, indépendamment de son combat anticolonialiste. Une panthéonisation qui n’est peut-être même pas remise en cause, en tout cas pas définitivement, puisque Élisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances, a tenu à faire savoir qu’elle soutenait cette initiative, sans être contredite.

Petit « guide »

Ainsi, il apparaît que le rapport Stora, loin d’être simplement oublié, est désormais devenu, non seulement, un petit guide permettant au gouvernement français de prendre certaines des mesures préconisées, mais aussi, un  outil  susceptible d’être utilisé par des groupes de mémoire et des chercheurs. Cette utilisation, tout en la détournant de son objet, dans le cas présent pour servir la cause féministe, mais aussi, en s’appuyant sur son contenu, tente d’infléchir la position des autorités des deux côtés de la Méditerranée.

C’est en effet ainsi qu’on peut interpréter les récentes revendications d’historiens algériens qui ont réclamé – notamment à la faveur d’une tribune publiée fin mars dans la presse d’Alger puis au cours d’un récent séminaire lors de la commémoration des massacres de Sétif en mai 1945 – que l’on ouvre plus largement l’accès, non seulement, aux archives françaises comme le demande Stora, mais aussi aux archives algériennes.

Loin d’être un simple rapport quasi-inoffensif, il est bien possible qu’il agisse implicitement à la manière d’une bombe à retardement. À suivre, donc.