Exclusif – Assassinat de Thomas Sankara : les révélations de Moussa Diallo, son ex-aide de camp

Mis à jour le 28 septembre 2021 à 12:20


Thomas Sankara, en 1983. © Patrick Durand/Sygma via Getty Images

Il fut son aide de camp puis un maillon de son dispositif sécuritaire. À l’heure où s’ouvre le procès des assassins présumés du leader révolutionnaire burkinabè, Moussa Diallo s’est confié en exclusivité à Jeune Afrique.

Des anecdotes sur le « camarade capitaine », il en a des centaines. Toutes en racontent une de ses facettes. Et même si plus de trois décennies se sont écoulées depuis qu’il l’a vu pour la dernière fois, guitare en main sur sa terrasse de Ouagadougou, quelques jours avant d’être fauché par des rafales de kalachnikov,  Moussa Diallo semble intarissable sur ses années au plus près de l’icône panafricaine.

Les souvenirs sont toujours là, bien vivaces. En cette fin d’après-midi chaude de début septembre, derrière les rideaux tirés d’un appartement en banlieue parisienne, l’ancien aide de camp de Thomas Sankara les retrace un à un. Et se livre comme il l’a rarement fait. Libéré du devoir de réserve que lui imposait son statut d’officier, le jeune retraité dit tout ce qu’il sait sur ce funeste 15 octobre 1987, qui a conduit Sankara et douze de ses compagnons sous terre,  à l’abri des regards. « Je ne fais pas ça par gaité de cœur, mais par devoir par rapport à ceux qui sont morts.  Je le fais aussi pour l’histoire. Un pays est fait de ces moments tragiques. Il ne faut pas les occulter mais en parler, pour que les jeunes générations s’en servent », explique-t-il.

Un capitaine fringant au verbe haut

Après avoir été entendu par le juge d’instruction François Yaméogo, qui a mené l’enquête pendant cinq ans sur cette affaire d’État, Moussa Diallo comparaîtra comme témoin lors du procès historique qui s’ouvrira le 11 octobre devant le tribunal militaire de Ouagadougou.  Comme tous les proches de Sankara, voilà plus de trente ans qu’il attend que justice soit faite pour l’assassinat de son ancien « patron ».

Entre le président révolutionnaire et son cadet,  qu’il choisira comme aide de camp avant d’en faire un maillon de son dispositif sécuritaire, l’histoire fut relativement brève mais intense. Tout commence par une rencontre à Dédougou, en 1982. Moussa Diallo, alors jeune sous-lieutenant de retour de formation au Maroc et aux États-Unis, profite de vacances en famille en attendant son affectation. Au même moment, Sankara y est en résidence surveillée après avoir démissionné avec fracas de son poste de secrétaire d’État à l’Information de Saye Zerbo. Comme beaucoup de jeunes officiers de l’époque, Diallo a entendu parler de ce capitaine fringant au verbe haut et aux idéaux révolutionnaires. Il parvient à le rencontrer. Les deux militaires discutent toute la matinée. En le quittant, le sous-lieutenant Diallo déclare à Sankara qu’il est « prêt à le suivre ».

Moussa Diallo, officier à la retraite, ancien aide de camp de Thomas Sankara, ancien commandant adjoint de la gendarmerie nationale, en banlieue parisienne, le 8 septembre 2021.


Vincent Fournier pour JA.

Il regagne ensuite le groupement d’instruction des forces armées à Bobo-Dioulasso, commandé par un certain Jean-Baptiste Lingani. Le 7 novembre 1982, un coup d’État renverse Saye Zerbo. Le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo devient président et nomme Sankara Premier ministre, le 10 janvier 1983. Quelques jours plus tard, Diallo reçoit un appel. Au bout du fil, le nouveau chef du gouvernement. « Je veux que tu viennes à Ouaga. J’ai besoin d’un aide de camp, j’ai pensé à toi ».

Surpris par une telle marque de confiance, Diallo débarque dans la capitale dès le lendemain pour prendre ses fonctions. « Voilà comment j’ai débuté à ses côtés. Nous passions nos journées ensemble, du matin au soir », se souvient-il. Au fil des semaines, les divergences se creusent entre le président et son populaire Premier ministre. Le 17 mai, Sankara est arrêté, puis placé en résidence surveillée. Mais en coulisses, il se prépare à prendre le pouvoir avec l’appui de son camarade Blaise Compaoré, qui dirige le camp des paras-commandos à Pô. À Ouaga, Moussa Diallo continue à servir discrètement son patron. Il l’aide à se rendre de nuit à des réunions, fait office d’agent de liaison avec Compaoré et ses hommes… Mais il finit par être renvoyé dans son régiment à Bobo-Dioulasso. Le 4 août 1983, alors que les capitaines Sankara et Compaoré prennent le pouvoir dans la capitale, Moussa Diallo et ses hommes assurent la réussite du putsch dans la deuxième ville du pays en prenant ses principaux points stratégiques.

 IL VIVAIT À 200 À L’HEURE, NE DORMAIT PAS, NE MANGEAIT PAS

Une fois président, Thomas Sankara envoie un message à son collaborateur : « Je t’attends à Ouaga. » Diallo ne répond pas. Il ne veut plus occuper ce poste éreintant d’aide de camp. « Je ne supportais plus son rythme, se justifie-t-il. Il vivait à 200 à l’heure, ne dormait pas, ne mangeait pas. Nous partions tôt le matin et nous ne savions jamais quand nous allions rentrer. Je ne voyais plus ma fiancée, avec laquelle je ne communiquais plus que par téléphone. »

Le nouveau chef de l’État, qui apprécie sa franchise, comprend sa décision. Et continue à faire pleine confiance à Diallo, désormais propulsé commandant du groupement d’instruction de Bobo-Dioulasso et, surtout, coordonnateur des Comités de défense de la révolution (CDR) de tout l’ouest du Burkina Faso. Malgré les 350 kilomètres qui les séparent, le chef de l’État appelle régulièrement son ancien aide de camp. La même phrase revient souvent : « Diallo ! Ça va ? Viens voir ! » Au Ghana pour rencontrer Jerry Rawlings, à Cuba pour rendre visite à Fidel Castro, à Washington pour le fameux discours à la tribune des Nations unies… L’officier est de plusieurs voyages officiels. Quand il est dans son régiment, à Bobo, il reçoit parfois la visite, nocturne et impromptue, de son imprévisible aîné. « Le soir de notre mariage, alors que nous étions couchés avec mon épouse, j’ai entendu toquer à ma porte. C’était Thomas, qui s’est excusé pour le retard mais qui avait tenu à venir. Nous avons mangé une part de gâteau, discuté un peu, et il est reparti au milieu de la nuit », se rappelle-t-il.

LES RUMEURS DE TENSIONS ENTRE LE CLAN SANKARA ET CELUI DE COMPAORÉ SE FONT DE PLUS EN PLUS INSISTANTES

En 1985, Moussa Diallo est promu commandant adjoint de la gendarmerie nationale et revient à Ouagadougou. Membre du premier cercle de Sankara, il continue à le voir régulièrement, ainsi que toute sa garde rapprochée, à commencer par Étienne Zongo, son successeur comme aide de camp du « PF » (président du Faso). Dans les mois qui suivent, les rumeurs de tensions au sommet du Conseil national de la révolution (CNR) entre le clan Sankara et celui de Compaoré se font de plus en plus insistantes. Comme plusieurs proches du capitaine au béret rouge, voilà un moment que Diallo se méfie de son supposé frère d’armes.

« Ils vont l’abattre »

Un épisode, que lui relate Vincent Askia Sigué, garde du corps et ange gardien de Sankara, autant réputé pour sa loyauté à toute épreuve que pour ses méthodes brutales, lui met la puce à l’oreille. Au début de 1985, Sigué, avec lequel Moussa Diallo s’est lié d’amitié quand il était aide de camp, débarque à Bobo-Dioulasso sans le prévenir. « C’est urgent, il faut absolument que je te parle », lui dit le grand gaillard aux biceps saillants, expert en maniement des armes. Celui que certains surnommaient le « chien de garde » de Sankara est en mauvaise posture. Des péripéties lors d’une mission à l’étranger, mais surtout une empoignade musclée avec des diplomates libyens, qui s’en sont plaints à Tripoli, ont mis le président hors de lui.

« Je suis venu te donner un message pour le patron. Il refuse de me voir ou de me prendre au téléphone. Je le comprends, mais dis-lui que son attitude est suicidaire. Les gens ne m’aiment pas parce qu’ils savent qu’il faudra passer sur mon corps pour l’atteindre. Je suis prêt à mourir pour lui. Dis-lui que s’il m’éloigne, ils vont l’abattre. Celui qui est derrière tout ça, c’est Blaise Compaoré », affirme cette nuit Sigué à Diallo, dans sa chambre d’hôtel à Bobo-Dioulasso.

De gauche à droite, le capitaine Blaise Compaoré, ministre d’Etat délégué à la présidence ; le capitaine Thomas Sankara, président du Conseil National de la révolution, Chef de l’Etat ; le lieutenant Moussa Diallo, chef des CDR de Bododioulasso, au lendemain du 4 août 1983.


Bara/Information Haute Volta/Archives JA

 IL NE FAUT PAS QUE THOMAS SOIT PRÉSIDENT

Alors que l’officier objecte qu’il y va un peu fort, son collègue poursuit. Et lui raconte un échange qu’il a eu avec Blaise Compaoré à Pô, quelques semaines avant le coup d’État du 4 août 1983. « Une fois que nous serons au pouvoir, il ne faut pas que Thomas soit président. Il est déjà fiché communiste, pro-Kadhafi… Ce n’est pas bon pour nous et pour la réussite de la révolution. Il faut que ce soit moi le président. Thomas en restera un leader charismatique, mais pas au premier plan », lui aurait assuré le chef des para-commandos. Le soir-même, Sigué prend sa voiture et fonce à Ouagadougou pour tout raconter à Sankara, lequel appelle directement Compaoré pour convenir d’un rendez-vous à mi-chemin. Une fois au point de rencontre, les deux capitaines parlent longuement dans une voiture, en pleine nuit. En ressortant, « Tom’ Sank » va voir son fidèle garde du corps : « C’est bon, c’est réglé, Blaise renonce à ce qu’il t’a dit. » Puis ils rentrent à Ouaga, tandis que Compaoré retourne à Pô. Depuis ce jour, ce dernier n’a plus jamais voulu reparler à Sigué, dont il se méfiait comme de la peste.

Intrigué, Moussa Diallo a tenu à vérifier cette histoire directement auprès de Sankara. « Je lui en ai parlé un matin, tôt, chez lui, alors qu’il sortait de sa douche. Il a confirmé tous les propos de Sigué. Je lui ai répondu : “Dans ce cas c’est très grave, car ce n’est pas le genre d’ambition à laquelle on renonce facilement”. » Désormais, Diallo en est convaincu : il faut surveiller Compaoré et ses proches comme le lait sur le feu. En 1987, plusieurs épisodes renforcent encore sa méfiance. Par exemple, quand son supérieur, Ousseini Compaoré, le commandant de la gendarmerie, revient d’une mission au Togo. Sur place, il a rencontré un ministre qui lui a confié une caisse à remettre à Blaise Compaoré. Dedans, du champagne que, selon ce ministre, « Blaise avait beaucoup aimé » lors de son récent passage à Lomé. Une fois rentré, il remet le cadeau à son destinataire, qui feint l’étonnement et lui répond qu’il ne connait pas ce ministre togolais. Surpris, Ousseini Compaoré et Moussa Diallo enquêtent et découvrent finalement que Blaise est allé au Togo depuis la Côte d’Ivoire sans rien dire à personne, pas même à Sankara. « Il cachait des choses, il niait la vérité. Cela devenait suspect. Tout ça nous a fait comprendre qu’il n’était plus loyal », assure Diallo.

Compaoré sur écoute

Mais c’est surtout une autre affaire, bien plus sérieuse, qui va alerter les deux responsables de la gendarmerie – et même les conduire à mettre le domicile de Blaise Compaoré sur écoute par leur service de renseignement, sans prévenir Sankara. « C’était osé, mais il fallait bien faire quelque chose tant la situation devenait critique », explique avec le recul l’ex-commandant adjoint de la gendarmerie. En 1987, donc, le colonel Jean-Claude Kamboulé, opposant à la révolution, tente d’organiser un mouvement de résistance depuis la Côte d’Ivoire, sous la protection des services ivoiriens et de Félix Houphouët-Boigny. Ce petit groupe avait été infiltré par un agent burkinabè, qui informait régulièrement ses supérieurs sur ses activités. D’après lui, Kamboulé serait revenu un jour furieux d’une audience avec le président ivoirien. À ses hommes, il aurait alors tenu en substance ces propos : « Le Vieux m’a demandé d’arrêter tout ce qu’on fait pour déstabiliser Sankara parce qu’il a déjà trouvé une solution plus rapide et plus facile : c’est Blaise Compaoré qui va s’en occuper. » Ces informations sont immédiatement remontées au président burkinabè, qui, malgré l’insistance de ses proches, ne fera rien.

Les semaines passent, les tensions s’accroissent. La guerre des tracts fait rage. Chaque jour ou presque fleurissent dans les rues de Ouaga des feuillets caricaturant Sankara en tyran solitaire. Pour Moussa Diallo et plusieurs proches du président, il ne fait aucun doute que Compaoré et ses hommes sont derrière cette campagne. Le 2 octobre 1987, le président est à Tenkodogo pour célébrer le quatrième anniversaire du discours d’orientation politique de la révolution. Il est violemment critiqué par Jonas Somé, leader étudiant et représentant des CDR dans les universités. « C’était, aussi et surtout, un “petit” de Blaise », explique Diallo. Quelques jours plus tard, grâce au système d’écoute mis en place au domicile ouagalais de Compaoré, l’ancien aide de camp capte une conversation qui l’inquiète au plus haut point.

EN IDÉALISTE QU’IL ÉTAIT, IL SE PENSAIT SÛREMENT PLUS UTILE POUR LA CAUSE MORT QUE VIVANT

Venu rendre visite au numéro deux de la révolution, Jonas Somé apprend qu’il est à Pô auprès des paras-commandos. Il l’appelle alors depuis sa ligne fixe. « Il lui disait qu’il était temps de passer à l’action, que la situation allait s’aggraver s’ils ne faisaient rien et que lui était déjà prêt, affirme Diallo. De son côté, Blaise essayait de le rassurer et lui disait : “Oui, rassure-toi, ça va se faire, ne t’inquiète pas”. Leur discussion laissait clairement entrevoir qu’il y avait un projet commun d’agir contre Thomas. » Dans la foulée, l’officier de gendarmerie prend la cassette, achète un magnéto portable et demande en urgence à voir Sankara. Une fois dans son bureau, il lui tend la magnéto. « Camarade président, je voudrais que vous écoutiez ça, c’est très important. » Réponse de l’intéressé : « Non, je n’écouterai pas, tu peux me laisser. » Avant de partir, Moussa Diallo fait quand même écouter la conversation à Étienne Zongo pour l’alerter.  Le soir, il reçoit un appel de Sankara, qui l’invite à passer chez lui. « Je sais de quoi tu veux me parler », lui dit-il en guise de formule d’accueil. Diallo insiste, lui dit qu’il redoute un assassinat, que ses proches aussi risquent d’être tués s’il ne fait rien.

« Il a pris sa guitare et a commencé à jouer. J’ai essayé de continuer mais il ne répondait plus, il jouait. Je le connais bien, c’était sa façon de me dire : “C’est bon, je t’ai compris, tu peux partir”. Il n’était pas plus inquiet que ça. Je suis donc rentré chez moi. C’est la dernière fois que je l’ai vu ». Plus de trente ans après, il en est convaincu : Thomas Sankara, mis en garde par plusieurs de ses fidèles, n’ignorait rien de ce qui se tramait mais il se serait « laissé faire, volontairement ». Pourquoi ? Parce qu’il aurait été déçu par ses compagnons Compaoré, Lingani et Zongo, qui « ne suivaient plus le rythme de la révolution » et que, « en idéaliste qu’il était, il se pensait sûrement plus utile pour la cause mort que vivant ».

Thomas Sankara.


Archives Jeune Afrique

Selon lui, Sankara tentera toutefois de crever l’abcès lors d’une réunion secrète entre les quatre hommes dans la soirée du 13 octobre, au domicile de Blaise Compaoré. « Si c’est moi le problème, je démissionne et vous continuez la révolution sans moi », leur a dit le président, révèle Moussa Diallo. Compaoré, Lingani et Zongo refusent qu’il quitte ses fonctions.

En coulisses, les événements s’accélèrent. Le même jour, Drissa Cissé, un commerçant et ancien député proche de Jean-Pierre Palm, un officier du clan Compaoré, est arrêté après avoir glissé à l’une de ses proches que « Blaise Compaoré serait bientôt président ». Des propos que sa confidente est allée rapporter aux gendarmes. Le voilà détenu au camp de la gendarmerie à Bobo-Dioulasso. Informé de l’arrestation de ce commerçant, connu sous le surnom de « Kennedy », Jean-Pierre Palm tente immédiatement d’intervenir auprès du commandement de la gendarmerie à Ouagadougou pour le faire libérer. Devant Moussa Diallo, Ousseini Compaoré lui répond que ce qui est reproché à Cissé est « tellement grave » qu’il vaut mieux, dans son propre intérêt, ne pas se mêler de cette affaire. « C’était peut-être une erreur, mais Palm a alors sûrement compris que Cissé avait trop parlé, analyse Diallo rétrospectivement. Je me demande encore s’ils n’ont pas avancé le coup au 15 octobre à cause de cette affaire, car Kennedy devait être transféré le 16 à Ouaga pour être interrogé. »

Jour J

Le jeudi 15 octobre, Moussa Diallo est chez lui, au camp de la gendarmerie, au chevet de son épouse malade. Il n’en sort que vers 15h pour aller travailler. Sur place, il retrouve une vieille connaissance, l’ex-officier nigérien Moussa Ganda. Ce dernier connaît aussi le lieutenant Gilbert Diendéré, un fidèle de Blaise Compaoré, qui dirige les para-commandos de Pô, avec lequel il est passé par l’académie militaire de Saint-Cyr, en France. Ganda lui demande s’il peut joindre Diendéré. Moussa Diallo appelle alors le standard du Conseil de l’Entente, où il a son bureau. Devant lui, Ganda parvient à y joindre le bras droit de Blaise Compaoré, avec lequel il commence à discuter de tout et de rien. Au mur, l’horloge indique presque 16h30. « Soudain, Ganda me dit que sa conversation avec Diendéré a été coupée. Nous essayons alors de rappeler le standard du Conseil, sans succès. Au bout de quelques minutes, le standardiste finit par décrocher. Au loin, j’entends des tirs. Mon interlocuteur me dit qu’il y a des rafales et il raccroche. »

BLAISE COMPAORÉ ÉTAIT L’ORDONNATEUR, GILBERT DIENDÉRÉ LE SUPERVISEUR ET YACINTHE KAFANDO DIRIGEAIT LE COMMANDO

Le commandant adjoint de la gendarmerie comprend immédiatement que des événements graves sont en cours, même s’il ignore encore que Thomas Sankara était alors en réunion avec des collaborateurs au Conseil de l’Entente. Il retourne chez lui, prend son arme et sa voiture, et se dirige vers les lieux de la fusillade. Estimant qu’il est imprudent de débarquer ainsi dans l’enceinte du Conseil alors qu’il ne sait rien des forces en présence, il choisit finalement d’aller chez son frère pour utiliser son téléphone et tenter d’y voir plus clair. Dans les rues, c’est la confusion. Moussa Diallo essaie de repartir, mais très vite, les carrefours stratégiques de la ville sont tenus par des militaires. Il décide de rester caché chez son frère. Dans la soirée, il apprend, dévasté, que Sankara et douze de ses compagnons ont été assassinés.

Tombe de Thomas Sankara.


Vincent Fournier/JA

Moussa Diallo finit par rentrer chez lui. Le 17 octobre, il est arrêté et envoyé au Conseil de l’Entente, où il est détenu pendant sept mois. Sur place, un de ses geôliers est un membre de la garde rapprochée de Blaise Compaoré. Il est de Dédougou, comme lui, et le connaît de longue date. L’homme finit par se confier à Diallo. Selon lui, dans les jours qui ont précédé le 15 octobre, Yacinthe Kafando, le chef de la sécurité rapprochée de Compaoré, leur avait interdit de quitter le domicile de leur patron pour éviter toute fuite. Ils mangeaient et dormaient sur place. Tous sentaient qu’une opération était prévue, mais ils n’en avaient pas les détails. Le jour J, ce témoin affirme avoir vu partir de la cour un groupe de militaires dirigés par Kafando. Selon Moussa Diallo, qui s’appuie sur les confidences de cet homme et d’autres protagonistes, Blaise Compaoré était bien chez lui à ce moment-là. Quant à Gilbert Diendéré, Diallo le jure sur l’honneur : il était au Conseil de l’Entente quelques minutes avant la fusillade.

À ses yeux, les responsabilités dans l’assassinat sont aujourd’hui assez claires. « Blaise Compaoré était l’ordonnateur, Gilbert Diendéré le superviseur et Yacinthe Kafando dirigeait le commando qui l’a exécuté », assure-t-il. Alors que le procès tant attendu s’ouvrira dans quelques jours devant le tribunal militaire de Ouagadougou, l’ancien aide de camp ne mâche pas ses mots contre les assassins présumés de Sankara. « Quand tu es officier, il y a une éthique à respecter. Et quand tu as commis un acte, tu dois l’assumer. Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré n’ont jamais assumé ce qu’ils ont fait et ont montré qu’ils n’avaient aucune éthique. » Le 11 octobre, l’ancien président, réfugié en Côte d’Ivoire depuis sa chute, en 2014, brillera par son absence à la barre. Son ex-chef d’état-major particulier sera, lui, bien présent. Avec toute la cour suspendue à ses déclarations.