Algérie : les révélations glaçantes d’un ancien membre de l’OAS

Mis à jour le 7 novembre 2021 à 11:06


Graffiti de l’OAS en novembre 1961, à Alger. © Marc Garanger/Aurimages via AFP


Dans « Commando Delta – Confessions d’un soldat de l’OAS », un ancien membre de l’Organisation de l’armée secrète raconte de l’intérieur plusieurs opérations menées par le groupuscule, qui a principalement sévi au début des années 1960, avant d’être dissous quelques années plus tard.

L’auteur, de son pseudo Edmond Fraysse, né en 1939 à Fès, affirme « avoir fréquenté les mêmes écoles que les Arabes », et se dit « au fait de toutes leurs traditions ». Chez ce soldat zélé, la fibre nationaliste, qui remonte au temps de Louis-Philippe, en 1848, lorsque ses ancêtres ont été envoyés en Algérie, l’emporte sur toute considération morale.

Aucun remord

Convaincu des bienfaits de la colonisation et de la nécessité absolue de maintenir l’Algérie sous domination française, Fraysse rejoint les rangs de l’OAS à 21 ans, après avoir effectué ses classes dans le 18e régiment des chasseurs parachutistes. Aujourd’hui, à 82 ans, il a décidé de prendre la plume pour s’adonner à un exercice de mémoire, et tente de réhabiliter le rôle de l’organisation classée à l’extrême droite. Pour le lecteur, l’immersion est plutôt réussie.

Le récit des assassinats avec force détails morbides ne laisse transparaitre aucun remord. « Cette aventure reste pour moi une grande fierté », clame l’auteur. Qui ne semble pas considérer certains de ses actes, dont le meurtre d’un témoin, comme du terrorisme caractérisé.

L’OAS est fondée le 11 février 1961 par une poignée de généraux, capitaines et colonels. Celui qu’ils adulaient autrefois, le général de Gaulle, représente désormais pour eux un traître à la patrie qui aurait renié tous ses engagements sur l’Algérie.

Après s’être fait repérer à la suite d’attentats et d’actions violentes, Edmond Fraysse intègre le commando Delta, qu’il définit comme le « bras armé de l’élimination extra-judiciaire d’individus qui semaient la terreur parmi les Européens d’Algérie ». À l’époque, une guerre clandestine féroce oppose le Front de libération nationale (FLN) aux partisans de l’Algérie française, qui voit les assassinats ciblés succéder aux attentats.

Les multiples références à un islam par nature belliqueux, supposément lancé à la conquête de l’Occident, font écho aux multiples saillies contemporaines du noyau dur de la droite française à l’encontre de la communauté musulmane de France. En exclusivité, JA publie des extraits de Commando Delta (éditions Nouveau Monde) qui permettent de comprendre ce qui a poussé plusieurs de ces individus à basculer dans la clandestinité et le terrorisme.

Les raisons d’un engagement

« Peu à peu, nous nous sommes rendus à l’évidence : les autorités françaises semblaient incapables de détecter les préparatifs de tous les attentats terroristes. Pour moi, cela a été le premier déclic. L’aveuglement ou l’impuissance de nos services secrets n’a fait que renforcer le sentiment de peur et d’insécurité qui s’est répandu dans les rangs de la population européenne. Et cette peur est devenue le terreau fertile des tueurs du FLN, parfaitement conscients du fait que leurs actions sapaient durablement le moral de cette population. […]

« La consternation a peu à peu cédé la place à l’indignation, puis à la colère. Choquée et déstabilisée par l’impuissance des pouvoirs publics à prendre la mesure de cette guerre et à assurer sa sécurité, une frange importante de l’opinion publique s’est radicalisée. Pourquoi la métropole ne se décidait pas à mettre en œuvre tous les moyens matériels et humains pour faire face au terrorisme ? […]

SUR FOND DE DÉFIANCE GALOPANTE VIS-À-VIS DE PARIS, LA RÉSISTANCE POPULAIRE EST DEVENUE À NOS YEUX UN DROIT, ET MÊME UN DEVOIR

« Certains de nos frères d’armes, généraux et colonels, appréhendaient déjà des lendemains difficiles. Véritables visionnaires, ils avaient compris que l’insouciance, l’angélisme, la tolérance et les alliances politiques, parfois surprenantes, qui se nouaient à Paris risquaient de coûter cher à la métropole. […]

« Pour moi, l’attitude des autorités a clairement contraint la société civile à envisager de prendre son destin en main. Cette incapacité du gouvernement à décider de mesures d’urgence contre le terrorisme a servi de déclic, alors que plusieurs indices laissaient entrevoir une nouvelle flambée de violence. […] La raison pour laquelle nous avons basculé, moi et tant d’autres, se situe dans cette défaillance de la République que nous avons prise pour de la lâcheté. […]

« Sur fond de défiance galopante vis-à-vis de Paris, la résistance populaire est devenue à nos yeux un droit, et même un devoir. Cela ne relevait-il pas de la légitime défense ? […] Il devenait de plus en plus légitime de prendre en main notre destin, en l’occurrence en s’octroyant cette fonction régalienne que représente la protection. »

Assassinat ciblé

« Un important responsable du FLN, connu comme efficace collecteur de fonds, séjourne régulièrement à Constantine. […] Prénommé Abdel, celui qui devient vite notre première cible commune est un homme de 1,70 m environ, rondelet, qui porte une calotte sur le crâne. Il possède un commerce alimentaire dans une petite ruelle donnant sur la rue Caraman.

« Le jour J, vêtu en civil, deux cagoules à portée de main, je glisse mon arme entre la ceinture et le pantalon, rabats par-dessus mon polo et ferme mon blouson en cuir. […] Tandis que nous garons le véhicule dans une petite rue, je me passe en boucle le film des gestes à accomplir. Cagoule ajustée, je pénètre le premier dans le magasin. Je dégrafe mon blouson et m’empare de mon arme. L’individu se retourne, réalise le danger imminent, mais il est déjà trop tard. La première balle l’atteint à la tempe, provoquant sur son visage d’horribles grimaces…

Jusque-là, tout est conforme à mes prévisions, sauf qu’il n’est pas seul. Un homme, médusé par la vue du sang, tétanisé, tente de se mettre à l’abri. En une fraction de seconde, ma raison me convainc que je dois fumer également ce témoin gênant, qui pourrait s’avérer source de graves ennuis dans le cadre d’investigations policières futures.

« Sans me poser davantage de questions, ni perdre un temps précieux, et avant qu’il ne m’échappe, je me précipite sur lui et lui loge une balle en plein front. Ses yeux exorbités me fixent étrangement, tandis que sa tête semble se tasser sur ses épaules. Il titube, ses jambes fléchissent, avant qu’il ne s’écroule comme une masse dans un violent soubresaut. […] Inutile en effet d’envisager le coup de grâce, un simple coup d’œil permet de confirmer que les deux hommes ont été “rectifiés” du premier coup. »

Edmond Fraysse, Commando Delta, Confessions d’un soldat de l’OAS, Éditions Nouveau monde, 240 pages, 17,90 €