Les pouvoirs du président, une histoire française

La Constitution a connu plusieurs évolutions qui ont donné au président sous la Ve République une place primordiale dans le fonctionnement institutionnel français, alors qu’il n’était pratiquement qu’une autorité morale sous la IIIe et la IVe République. Retour sur l’évolution du rôle du chef de l'État à travers l’histoire républicaine, à l’heure où la France se choisit un nouveau président.

L'histoire commence après la Révolution de 1789, avec la Ire République (entre septembre 1792 et mai 1804), officiellement nommée République française. Le 21 septembre 1792, les députés de la Convention, réunis pour la première fois, décident à l’unanimité l’abolition de la monarchie en France et annoncent ainsi une nouvelle ère de gouvernance. Mais la République ne fut jamais officiellement proclamée. Le 22 septembre 1792, la décision est prise de dater les actes de l’an I de la République et le 25 septembre 1792, la République est déclarée une et indivisible.

La Ire République passera par trois formes de gouvernement : la Convention nationale (1792-1794), le Directoire (1795-1799) fondé par la Constitution de l’an III, et le Consulat (1799-1804) issu du coup d’État du 18 Brumaire qui prend fin avec le couronnement de Napoléon 1er et l’instauration du Premier Empire. Dans la Constitution de l’an XII, il est précisé que le gouvernement de la République est confié à un empereur héréditaire. L’usage du nom de République tombe ensuite en désuétude.

IIe et IIIe République

La IIe République est le régime politique en France du 24 février 1848, date de la proclamation provisoire de la République à Paris, jusqu'au 2 décembre 1851, lors du coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte. Elle fait suite à la Monarchie de Juillet et est remplacée par le Second Empire. Cette IIe République, originale par sa brièveté et par le fait qu'elle est le dernier régime à avoir été institué à la suite d'une révolution, applique pour la première fois le suffrage universel (masculin) en France et abolit définitivement l’esclavage dans les colonies françaises.

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Sous la IIe République, le président est élu au suffrage universel direct et il a des pouvoirs très importants, même si la Constitution ne règle pas les modalités de ses pouvoirs. Il pouvait dire qu’il était responsable devant le peuple et cela suffisait à lui donner certaines responsabilités. « Suffrage universel direct et responsabilités ont favorisé l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte… et le basculement dans l’Empire. Et cela a laissé quelques traces quand on arrive à la IIIe République qui serait peut-être l’histoire la plus immédiate dans l’évolution des pouvoirs du président de la République jusqu'à aujourd’hui »résume la professeure de droit constitutionnel Véronique Champeil-Desplats qui poursuit : « Sous la IIIe République, le rôle du président se comprend tout d’abord essentiellement par le climat d’attente. En fait, après la chute du Second Empire, on ne savait pas encore vraiment si on allait opter pour la République ou si on allait revenir à la monarchie. »

Les lois qui ont encadré le pouvoir jusqu’en 1875 étaient pensées pour être provisoires, et les trois lois constitutionnelles de 1875, qui définissent le cadre de la IIIe République, ont été élaborées pour attendre, pour voir si on se dirigeait vers la monarchie ou vers la République. Raisons pour laquelle le statut du président est alors perçu comme celui d'une sorte de monarque républicain. On le nomme président de la République, mais on retrouve tous les pouvoirs des monarchies constitutionnelles. Le président est alors puissant : il peut convoquer, ajourner, dissoudre les chambres, il a l’initiative des lois, le pouvoir réglementaire, il peut demander une nouvelle délibération, il a le droit de grâce…

Mais les choses vont évoluer. Le grand tournant de la IIIe République, c’est la crise du 16 mai 1877 lors de la confrontation directe entre le président Mac Mahon, un monarchiste, et la majorité républicaine à l’Assemblée et au Sénat. Cette crise institutionnelle va conduire à la dissolution de la Chambre des députés, mais une majorité républicaine est réélue. Mac Mahon prend acte de la nouvelle majorité et se soumet. Deux ans plus tard, les républicains gagnent le Sénat et Mac Mahon est, cette fois, obligé de se démettre, et démissionne. Ce qui était un droit majeur du président de la République, le droit de dissolution et la possibilité d’intervenir institutionnellement dans la vie politique, va disparaître. Suite à cela, le président ne sera plus qu’une autorité morale. « Un inaugurateur de chrysanthèmes »dira-t-on pour se moquer des pouvoirs désormais très limités du président.

IVe République

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, un référendum est proposé aux Français. En substance, deux questions sont posées : « Est-ce que vous approuvez le gouvernement provisoire qui vous est proposé ? » et « Est-ce que vous approuvez que l’Assemblée soit une Assemblée constituante ? »Cette consultation sera à l’origine d’une IVe République qui, à l’image de la Troisième République, ne donnera au président qu’une autorité morale.

C'est cette « faiblesse » du président sous la IIIe République et son incapacité à agir face à l’Allemagne que va pointer le général de Gaulle à la sortie de la guerre. La France est, à ce moment de son histoire, en pleine réflexion sur son avenir et une Assemblée constituante a été élue. Mais cette Assemblée est majoritairement à gauche et cela déplait au général qui va faire une sorte de contre proposition lors de son fameux discours de Bayeux prononcé le 16 juin 1946. Alors que l’Assemblée s’oriente vers un renforcement de son pouvoir et un affaiblissement de celui de l’exécutif, De Gaulle préconise tout au contraire une présidence forte, qui puisse gouverner même si elle n’a pas une majorité à l’Assemblée, tout en voulant garder un lien direct avec le peuple, indépendamment du Parlement. Mais il faudra attendre 1958 pour que son souhait se réalise.

Ve République

Dans la période d’avril à mai 1958, une succession de démissions et de mise en minorité des gouvernements sur la question de la guerre d’Algérie crée des situations de blocage et de crises. René Coty, président d'alors, cherche une sortie à la crise et appelle le général de Gaulle qui a sur la question algérienne une image de neutralité aussi bien partagée par les partisans de l’Algérie française que par ceux qui sont favorables à l’indépendance. Le général accepte d’être l’homme providentiel, le président du Conseil, mais à la condition de changer de Constitution. L’idée est acceptée, il se fait investir par l’Assemblée nationale et il demande que lui soit conféré le 1er juin 1958 le pouvoir d’élaborer une nouvelle Constitution.

La Constitution du 4 octobre 1958 fait rentrer la France dans une Ve République. Mais c’est encore un collège de grands élus, de notables, qui élisent le président. De Gaulle devient le premier chef de l'État de cette Ve République,  avec des pouvoirs renforcés par la nouvelle Constitution. Le président peut, par exemple, mettre en œuvre des pouvoirs sans avoir l’aval du gouvernement, comme la dissolution, la nomination du Premier ministre, les pouvoirs de crise (article 16 de la Constitution), le recours au référendum... mais une autre étape importante va conforter ce pouvoir présidentiel. Comme le précise Véronique Champeil-Desplats, suite à la tentative de son assassinat au Petit-Clamart, le général se serait interrogé sur les conditions d'élection du chef de l'État. « Après l’attentat du Petit-Clamart, le général de Gaulle se dit que ses successeurs n’auraient sans doute pas sa légitimité, et comme les pouvoir conférés par le texte constitutionnel sont importants, il faut que le président de la République ait une légitimité personnelle, propre et directe…et il va réviser la Constitution et instaurer le suffrage universel direct ». L’élection directe du président par le peuple va renforcer son pouvoir en lui donnant une place primordiale dans le fonctionnement institutionnel français.

Cette concentration du pouvoir a été réaffirmée ensuite de multiples manières par les différents présidents qui se sont succédés sous la Ve République. Hormis les périodes de « cohabitation », où coexistent un président de la République et une majorité politique qui lui est opposée à l’Assemblée nationale (comme ce fut le cas en 1986-1988, 1993-1995 et en 1997-2002) ; ou la réduction de la durée du mandat présidentiel ramené de 7 ans à 5 ans, suite à un référendum (le 24 septembre 2000), le président est devenu de plus en plus puissant. C’est la plus haute autorité administrative. Il veille par son arbitrage au respect de la Constitution, et assure le fonctionnement normal des pouvoirs publics et la continuité de l’État (article 5 de la Constitution). Il est le chef des armées, son rôle en matière de défense est prédominant et il a autorité sur la force de dissuasion nucléaire (article 15), sur la diplomatie (article 14) et dispose de pouvoirs de crise (article 16) destinés à sauvegarder la démocratie et à rétablir le fonctionnement des pouvoirs publics dans les meilleurs délais.

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Vers une VIe République ?

Cette hyper concentration du pouvoir présidentiel est pour certains un signe de mauvaise santé de la démocratie. En 2017, alors que la France se choisisait un nouveau président, plusieurs mouvements politiques avaient exprimé le désir d’une refondation constitutionnelle, qui répartirait mieux les pouvoirs dans une VIe République.

Plusieurs projets existaient. Par exemple, la VIe République préconisée par le socialiste Arnaud Montebourg n’était pas celle de Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise à la présidentielle de 2017, puis de nouveau en 2022. Mais ils partagaient un même constat comme l'expliquait alors Paul Allies, professeur émérite de sciences politique à l’Université de Montpellier et président de la Convention pour la VIe République. « Nous sommes dans un cycle, qui ne s’est pas interrompu, de renforcement sans fin du pouvoir du président de la République, qui peut être qualifié de présidentialisme, mais pas du tout de régime présidentiel ou semi-présidentiel, comme certains l’ont qualifié ou le qualifient encore. Nous ne sommes pas du tout dans un système à l’américaine où les contre pouvoirs viennent limiter considérablement le pouvoir présidentiel, sans parler du fédéralisme où les États de la fédération sont autant de contrepoids à celui de Washington. Donc nous avons en France un système contraire où nous n’en finissons pas de voir les pouvoirs se concentrer et se centraliser sur la personne même du président. »

D'autres, au contraire, estiment que la Ve République a tenu bon et qu'une nouvelle loi fondamentale n'a pas lieu d'être, même si elle peut continuer à être retouchée au fil du temps. Pour ces adversaires d'une VIe République, la Constitution actuelle reste notamment une garantie de stabilité politique dans une époque incertaine. Et quoi qu'il en soit, aucun des deux finalistes de la présidentielle française - Marine Le Pen et Emmanuel Macron - n'est partisan d'un changement de Constitution.

Un article publié par Arnaud Jouve le 28 avril 2017.