Liberia: au premier jour de son procès, Kunti Kamara continue de nier en bloc

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Croquis d'audience réalisé le 10 octobre 2022, montrant l'ancien commandant Ulimo Kunti Kamara, à la Cour d’assises de Paris. AFP - BENOIT PEYRUCQ
 

Premier jour d'audience, ce lundi 10 octobre, au procès de Kunti Kamara. Ancien commandant du groupe rebelle Ulimo, durant la guerre civile au Liberia, il est notamment accusé de complicité de crimes contre l'humanité, tortures et actes de barbarie. Il encourt la prison à vie. C'est la première fois qu'un dossier lié au conflit libérien, dans les années 1990-2000, est jugé en France.

 

Avec notre envoyé spécial au tribunal correctionnel de Paris, Sébastien Nemeth

Âgé de 48 ans, le petit homme de 1,64 mètre, au physique plutôt frêle, assis dans le cube de plexiglas réservé aux accusés, a fermement maintenu sa position, et nié toutes les charges avec énergie.

« Je suis innocent. Je jure devant Dieu que ne connais pas ces gens qui m'accusent », a répété Kunti Kamara.

Position ferme, comme depuis le début de l'instruction, et ce, malgré deux heures de lecture de l'arrêt de mise en accusation dans lequel il est écrit que « CO Kunti », comme certains l'appelaient, et ses hommes, auraient torturé, battu, violé des habitants du comté du Lofa.   

Document lu par le président de la cour, dans lequel sont résumés la procédure et les faits ici reprochés. Des actes pour maintenir la population dans la terreur et asseoir l'autorité du groupe Ulimo, indiquent les enquêteurs.

Kunti Kamara et ses acolytes auraient par exemple fait subir le supplice du Tabé, où les victimes ont les coudes fermement attachés dans le dos à l'aide de câble, faisant ressortir la poitrine pour mieux l'ouvrir à la hache et en arracher le cœur.

« Pas de preuve »

Pour son avocate, Me Marilyne Secci, il ne faut pas s'arrêter sur les charges.

Eh bien, nous allons continuer à apporter la voix de notre client, qui indique qu'il n'a été qu'un simple soldat de l'Ulimo, qu'il n'a jamais commis les actions qu'on lui reproche. Donc, les charges, c'est uniquement ce qui est indiqué là aujourd'hui à l'audience, le dossier est tout autre. Pour tous les faits qui lui sont reprochés, nous n'avons pas de preuve dans ce dossier.

Crâne rasé, blouson et T-shirt noirs, l'ancien commandant rebelle a patiemment écouté. Souriant parfois à quelques soutiens dans la salle, et restant la plupart du temps impassible. Une première journée plutôt technique, où les jurés ont été sélectionnés et l'emploi du temps précisé.

Les parties civiles, représentées par Me Sabrina Delattre, attendent maintenant de pouvoir dire leurs vérités.

C'est un procès très important, puisque le Liberia est un pays ou règne une impunité totale. On est sur des faits de femmes extrêmement jeunes qui ont été violées, qui sont très traumatisées ; sur des personnes qui ont vu leurs parents, amis, se faire assassiner devant leurs yeux ; sur des personnes qui ont été réduites en esclavage ; donc c'est très important que la voix de ces personnes puissent être entendue.

Ce procès historique, dont les images seront conservées aux archives nationales, doit durer jusqu'au 4 novembre, et passe dès ce mardi à l'examen de personnalité de Kunti Kamara. On attend, d'ici à quelques jours, les témoignages de victimes venues spécialement du Liberia.

Le procès est unique en son genre, Kunti Kamara étant le premier chef de guerre à être jugé, près de vingt ans après la fin de la guerre civile au Liberia.

►À relire : Premier procès en France d'un ancien chef de guerre libérien

« Compétence universelle »

Thierry Cruvellier est rédacteur en chef de justiceinfo.com, site spécialisé sur les questions de justice internationale. Interrogé par Guillaume Thibault, il observe que ce procès a le mérite de se tenir parce qu'il va permettre aux victimes de s’exprimer. Il pense également que le problème reste le blocage politique au Liberia, notamment la pression des anciens chefs de guerre opposés à tout processus de création d’un tribunal d’exception.

Ce procès est important parce qu'il y en a très, très peu d'autres. Il est le résultat ou le fruit d'une absence de justice, fondamentalement, dans le pays où les crimes ont été commis, le Liberia, où il n'y a eu aucune justice pénale depuis la fin des guerres civiles, qui ont été quand même extrêmement meurtrières et traumatisantes pour le pays et la région. Du coup, les seuls recours, ils se trouvent dans des procès comme ça, isolés, et qui sont organisés selon ce principe qu'on dit de compétence universelle, c'est-à-dire qui donne la possibilité à des pays de juger des crimes internationaux, des crimes très graves, quel que soit l'endroit où ils ont été commis. Ce qui est le cas de la France.

Thierry Cruvellier sur le procès de Kunti Kamara