Afrique
Une Histoire de six millions d'années
Le continent africain se signale par son aspect massif, à cheval sur l'équateur et les tropiques : 30 millions de km2, soit le quart des terres émergées ; 9000 kilomètres du nord au sud, d'Alger au Cap ; 6500 kilomètres d'ouest en est, de Dakar à Djibouti. Il est admis par la plupart des paléontoloques que les hominidés sont apparus il y a six millions d'années en Afrique, ce qui fait d'elle le « berceau de l'humanité ». Notre grand-tante, Lucy y a vu le jour il y a trois millions d'années.
Mais depuis cette très lointaine préhistoire, le continent a connu beaucoup de bouleversements, tant physiques (assèchement du Sahara par exemple) qu'humains (apparition de l'Homo Sapiens et formation de différents groupes au fil des mutations génétiques).
Les deux premières sorties d'Afrique
Il y a un à deux millions d'années environ, des représentants de l'espèce Homo erectus effectuèrent une « première sortie d'Afrique ». Ils donnèrent naissance il y près de 500 000 ans, en Eurasie, à l'homme de Néandertal.
Les Homo erectus demeurés en Afrique donnèrent quant à eux naissance à l'homme moderne (Homo sapiens), un peu plus tard, il y a 300 000 ans « seulement ».
Il est difficile de savoir à quoi ressemblaient les premiers Homo sapiens. Ils devaient s'apparenter aux Khoisans et Pygmées à peau cuivrée ou aux Hadzas à peau noire qui survivent encore au sud du Sahara.
Il y a 70 000 ans (c'était avant-hier !), quelques Homo sapiens effectuèrent une « deuxième sortie d'Afrique ». Ils se croisèrent avec les Néandertaliens qui vivaient alors au Moyen-Orient, ainsi qu'avec leur cousin, l'homme de Denisova. Leurs descendants communs ont donné naissance aux actuelles populations eurasiennes (blancs, jaunes, dravidiens, mélanésiens...).
Ces populations se seraient différenciées à la suite de quelques mutations génétiques, à une époque où les effectifs humains étaient encore très peu nombreux (quelques centaines de milliers d'individus en tout et pour tout). Il s'ensuit qu'une mutation génétique en accord avec l'environnement à un endroit donné pouvait conduire le groupe humain concerné à croître beaucoup plus vite que ses voisins et à les surclasser rapidement.
Les noirs actuels seraient ainsi issus de quelques mutations génétiques survenues il y a près de 30 000 ans entre le delta du Niger et le Mont Cameroun. Ils n'ont donc pas connu de mélange avec les Néandertaliens, à la différence des Homo sapiens qui ont franchi l'isthme de Suez quelques dizaines de milliers d'années plus tôt ou se sont établis au nord du Sahara, donnant naissance aux populations actuelles d'Europe et d'Asie. Mais grâce à leur maîtrise précoce de l'agriculture sur brûlis, ils ont pu se multiplier et occuper peu à peu l'ensemble de l'Afrique subsaharienne.
L'expansion bantoue
Des cultures très évoluées se sont développées au Sahara, il y a environ dix mille ans. Elles sont caractérisées par les plus anciennes poteries que l'on connaisse. Mais l'assèchement progressif du Sahara entre le VIe et le IVe millénaires av. J.-C. isola peu ou prou le centre du continent du reste du Vieux Monde... Il s'ensuit que l'usage de l'écriture n'arriva en Afrique subsaharienne qu'au deuxième millénaire de notre ère, avec l'expansion de l'islam et la colonisation européenne.
Tandis que l'Afrique du nord et l'Égypte devinrent partie intégrante du monde méditerranéen et moyen-oriental, l'Afrique subsaharienne ou Afrique noire a suivi un parcours historique particulier jusqu'à l'arrivée de l'islam au VIIe siècle de notre ère.
[Voir la carte en grandes dimensions]
Les Bantouphones à la peau noire, qui vivaient à l'est du Cameroun actuel, ont acquis la maîtrise de l'agriculture il y a environ dix mille ans, en même temps que les habitants du Moyen-Orient. Au IIe millénaire avant notre ère, ils accédèrent aussi à une remarquable maîtrise de la métallurgie du fer.
Bénéficiant de ce fait d'une forte croissance démographique, les Bantous occupèrent peu à peu toute l'Afrique intertropicale en absorbant ou en chassant devant eux les chasseurs-cueilleurs à peau cuivrée ou sombre qui y étaient établis (Khoisans, Pygmées, San...). Certains de ces peuples ont laissé des peintures rupestres remarquables en Afrique australe, comme les San dans le massif du Drakensberg.
La colonisation de l'espace africain par les Bantous est comparable à celle de l'Europe par les populations de langues indo-européennes, il y a 4 500 ans. Cela dit, au début de notre ère, la population subsaharienne ne devait pas encore excéder celle de la Gaule, soit environ douze millions d'âmes, selon les estimations de Jean-Noël Biraben (INED, 2003).
Cette colonisation s'est accompagnée de la formations de sociétés agraires et pastorales fondées sur l'usage de la houe (daba), la culture sur brûlis (les cendres fertilisent le sol) et de longues jachères. Ces techniques ont toujours cours, sauf dans les régions les plus denses. Par contre, les Africains sont demeurés jusqu'à l'époque contemporaine réfractaires à la roue et à la traction animale (la maladie du sommeil empêche l'élevage dans de nombreuses régions).
Du fait de l'abondance relative de terres fertiles dans l'Afrique intertropicale, chaque famille cultive toute la surface qu'elle peut sans titres de propriété. Il s'ensuit que la richesse et le statut social ne dépendent pas du foncier mais seulement du nombre de bras à la disposition du chef de famille, d'où l'importance de la polygamie et de l'esclavage : prisonniers de guerre, débiteurs, enfants « gagés » par des parents dans le besoin, Pygmées, etc. (note).
Mais gardons-nous de voir l'Afrique noire comme un bloc. Elle est infiniment diverse du point de vue anthopologique, sans doute autant, sinon plus, que l'Europe.
Les inégalités sociales et sexuelles sont plus prononcées, dans les sociétés les plus anciennement établies et les plus complexes, au nord de l'Équateur et plus précisément au nord d'une ligne fictive qui relierait le Gabon au sud de la Tanzanie, d'après les observations de l'anthropologue et historien Emmanuel Todd (Où en sommes-nous ?, Seuil, 2017).
Les peuples les plus anciens du continent africain (Khoisans, Pygmées, San...) se caractérisent par des familles nucléaires (papa, maman et les enfants) et un statut élevé des femmes.
• L'Afrique de l'Ouest, où est apparue l'agriculture, est quant à elle dominée par le modèle familial communautaire et patrilinéaire, défavorable aux femmes.
• Sur le golfe de Guinée, les Ouolofs du Sénégal, les Yorubas et Ibos du Nigeria ou encore les Bamilékés du Cameroun témoignent tout comme les Hutus et Tutsis des Grands Lacs de structures dynamiques qui combinent plus ou moins primogéniture, patrilinéarité et famille souche.
• La ligne fictive qui relie le Gabon au sud de la Tanzanie définit une « ceinture matrilinéaire » au sud de laquelle les femmes peuvent transmettre leurs biens et bénéficient de bien plus de libertés, dans le choix du conjoint par exemple (en témoigne selon Emmanuel Todd la forte diffusion du Sida, qui va de pair avec une plus grande liberté sexuelle !).
La soumission des femmes se mesure ordinairement à la prévalence de la polygamie et des mariages forcés d'adolescentes (sans compter le voile, lequel est absent d'Afrique subsaharienne).
En Afrique, l'anthropologie et l'histoire témoignent de ce point de vue d'une césure entre l'Afrique sahélienne et l'Afrique centrale et australe, au niveau de l'Équateur et du golfe de Guinée :
• Une enquête de l'INED (Population & Sociétés, juin 2011) révèle 2 à 4 fois plus de mariages forcés chez les immigrés originaires d'Afrique sahélienne par rapport à ceux d'Afrique centrale et guinéenne.
• La polygamie, présente dans plus de la moitié des pays africains, est aussi plus particulièrement développée dans la zone sahélienne (source : Quel modèle de mariage en Afrique ?).
• Une autre enquête de l'INED (Population & Sociétés, octobre 2007) montre aussi que l'excision est cantonnée au nord de l'Équateur et en Tanzanie, tandis que le Maghreb en est exempt (carte ci-jointe). Cela dit, cette mutilation rituelle n'est pas forcément caractéristique d'une infériorité féminine, d'après Emmanuel Todd.
Notons encore que la césure se prolonge avec l'esclavage, lequel, bien avant l'arrivée des Arabes et des Européens, était déjà développé au nord de l'Équateur mais, semble-t-il, absent au sud. Il est possible que cette césure soit liée au fait que la zone sud était de colonisation récente, avec une structure sociale plus égalitaire (note).