Le Nigeria moderne en dix dates clés: émergence et évolution
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Géant économique de l’Afrique et le pays le plus peuplé du continent avec plus de 220 millions d’habitants, le Nigeria vote, ce samedi 25 février, pour élire son président et ses députés. Rappel des événements majeurs qui ont marqué l’histoire récente de ce géant aux pieds d’argile.
1914 : vous avez dit « Amalgamation » ?
Le Nigeria moderne naît en 1914 de la fusion territoriale et administrative du protectorat du Nigeria du Nord et du protectorat du Nigeria du Sud (comprenant la colonie de Lagos et le Oil Rivers Protectorate), sous l’égide de la couronne britannique. L’opération désignée à l’époque par le terme « amalgamation » fut supervisée par le Lord Lugard, le premier haut-commissaire du Nigeria. La viabilité de cette nouvelle entité baptisée le Nigeria, répartie entre la « Northern Region » (Région du Nord), la « Eastern Region » (Région de l’Est) et la « Western Region » (Région de l’Ouest), était fortement contestée dans la presse et par les leaders d’opinion. Pour les critiques, cet ensemble artificiel était condamné car il réunissait des peuples et des traditions beaucoup trop différents, notamment des Igbo à l’Est, des Yoruba à l’Ouest et des Haoussa au Nord. Les divergences se sont davantage accentuées pendant la période coloniale, avec le nord du Nigeria, à majorité musulmane, évoluant sous un régime administratif et culturel distinct, dirigé par des chefs traditionnels et religieux fermés sur leurs privilèges, alors que la population du Sud, à majorité chrétienne et animiste, était scolarisée par les missions chrétiennes et était ouverte aux influences occidentales.
Les revendications indépendantistes qui se font jour après la Seconde Guerre mondiale conduisent les Britanniques à doter la colonie d’une Constitution (1954), lui conférant une relative autonomie dans le cadre d’un système de gouvernance fédéral. La période de l’après-guerre voit aussi la naissance de partis politiques, à bases régionales et ethniques fortes, dont sont issus les premiers hommes politiques nigérians qui prennent les rênes du pouvoir à Lagos et dans les régions, après l’indépendance du pays.
1960 : indépendance et après
Le Nigeria proclame son indépendance le 1er octobre 1960, mais il faut attendre 1963 pour voir l’avènement de la première République et l’entrée en fonction des institutions dont le pays se dote sur le modèle du parlementarisme britannique. Ces premières années de la République nigériane sont marquées par un partage de pouvoir entre les différentes communautés qui composent le pays, comme l’illustrent la désignation à la présidence de Nnamdi Azikiwe, chrétien d’origine ibo et leader du Conseil national du Nigeria et des Camerouns (NCNC), représentant la région de l’Est, et celle d’Abubakar Tafewa Balwa, représentant du Parti nordiste (NPC) musulman, à la primature, à la tête d’un gouvernement de coalition. En 1963, afin de mieux refléter la représentativité des communautés, la fédération se dote d’une nouvelle région Centre-Ouest, mais cela ne l’empêche pas de sombrer rapidement dans les tensions intercommunautaires grandissantes. À peine né, le pays est miné par les luttes des partis régionaux pour le contrôle du pouvoir central et par l’opposition du Sud et des minorités septentrionales à l’hégémonie du Nord.
1966 : d’un coup d’État à l’autre
Profitant des violences ambiantes, le 15 janvier 1966, une poignée de militaires « révolutionnaires » renverse le gouvernement fédéral, au terme d’un coup d’État sanglant. Le Premier ministre Abubakar Tafewa Balwa est assassiné et le président Nnamdi Azikiwe contraint à une retraite forcée. Pendant les trois décennies suivantes, l’histoire du Nigeria est ponctuée de coups d’État et de contre-coups d’État. Ces trente années sont aussi marquées par quelques-unes de grandes tragédies que le pays a connues.
Le coup d’État de 1966 marque la fin de la première République nigériane. Or les généraux qui s’installent à la tête du pays ne se révèleront pas plus capables que les hommes politiques de ramener la paix. Le général Aguiyi Ironsi, à la tête du pays pendant six mois, est renversé à son tour par Yakubu Gowon. Chef de l’État de 1966 à 1975, ce dernier porta à douze le nombre des États fédérés. Ce nouveau découpage administratif met le feu aux poudres dans un pays aux équilibres fragiles et où les communautés s’accrochent jalousement à leurs prérogatives. Ce sera bientôt la guerre civile.
1967-70 : la guerre du Biafra
La guerre civile débute lorsque, le 30 mai 1967 la région de l’Est, le territoire d’origine de la communauté igbo, fait sécession et forme l’État séparatiste du Biafra. Ce sont les troubles visant les Igbo qui éclatent dans le Nord du pays dans la foulée du coup d’État de janvier 1966, qui sont à l’origine de ce conflit. Il s’agit de véritables pogroms anti-Igbo, qui font des dizaines de milliers de morts, tandis qu’un million d’autres fuient vers l’Est.
L’enjeu du conflit est aussi économique. Les Igbo craignaient que les réformes administratives et territoriales initiées par les autorités fédérales nigérianes ne les privent de leur autonomie dans la gestion de leur territoire et de l'accès aux immenses ressources pétrolières de la région du Delta.
Au terme d’une guerre fratricide de trente-et-un mois (mai 1967 – janvier 1970) et d'un blocus meurtrier sur la région, le Biafra se rend. Le 15 janvier 1970, le conflit prend officiellement fin, après avoir fait plus d’un million de morts dans le camp rebelle, essentiellement de famine. Avec la fin de la guerre, le Nigeria tourne une page sanglante de son histoire. La politique du gouvernement fédéral de « ni vainqueurs ni vaincus » favorise la réconciliation nationale, mais ne peut effacer le traumatisme de la guerre civile qui a été vécue par nombre d’Igbo comme un génocide.
1971 : le boom pétrolier et admission du Nigeria à l’OPEP
Le Nigeria est le premier producteur mondial du pétrole en Afrique. L’exploitation des gisements pétroliers dans les États du delta du Niger a débuté en 1958, mais c’est seulement dans les années 1965-1970, avec l’accélération de la production nationale qui passe de 274 000 barils par jour en 1965 à 540 000 barils/jour et l’augmentation du prix du brut sur les marchés internationaux, que l’or noir est devenu la source majeure des revenus du pays. Admis dans l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 1971, le Nigeria est aujourd’hui un membre incontournable de cette organisation.
Selon les experts, le boom pétrolier favorisa la réconciliation nationale et la consolidation de l’unité du pays au sortir de la guerre du Biafra. Le secteur pétrolier qui contribue aujourd’hui autour de 10% du PIB est aussi source de corruption, le grand fléau qui gangrène la vie économique et sociale du pays. Par ailleurs, la prépondérance du secteur pétrolier a été préjudiciable aux autres secteurs telles que l'industrie et l'agriculture qui constituaient autrefois les piliers de l'économie nigériane.
1979-1983 : une seconde République éphémère
Le général Olusegun Obasanjo qui jouera un rôle de premier plan dans les années 1990-2000, se signale à l’attention une première fois à la fin de la décennie 1970. En 1975, il est le nouveau chef d’état-major. Successeur à la tête du pays de Yakubu Gowon renversé par un coup d’État en 1975 et de Murtala Mohammed, assassiné au bout d’un bref exercice de pouvoir en 1976, Obasanjo transfère le pouvoir au gouvernement civil issu des élections. La deuxième République, fondée sur la base d’une Constitution présidentielle et fédérale inspirée de celle des États-Unis, voit le jour le 1er octobre 1979. Elle est présidée par le président Shehu Shagari, leader du Parti national du Nigeria (NPN), qui est entré dans l’Histoire en tant que premier président nigérian élu au suffrage universel.
Malheureusement, cette expérience démocratique sera de courte durée. Des fraudes électorales massives lors du scrutin de 1983, doublées de la corruption débridée de l’élite bourgeoise et la crise pétrolière, suscitent le mécontentement populaire, favorisant une nouvelle intervention par les militaires. Le 1er janvier 1984, l’armée reprend le pouvoir, jetant en prison la majorité des hommes politiques, accusés de « crimes économiques ». Les deux décennies qui suivent sont marquées par une succession de coups d’État et de gouvernements autoritaires. L’autoritarisme écrit l'une de ses pages les plus sanglantes au Nigeria avec le général Sani Abacha qui s'empare du pouvoir en 1993. L'homme était qualifié de « Bloody Dictator » par la presse nigériane de l’époque.
1995 : la pendaison de Ken Saro-Wiwa
Écrivain de renom et militant écologiste, Ken Saro-Wiwa dirige au début des années 1990 la révolte des populations ogoni dans le delta du Niger contre les compagnies pétrolières, au premier rang desquelles Shell. Compagnie pétrolière anglo-néerlandaise. Celle-ci est accusée de polluer les sols et les eaux de la zone. Le Mouvement pour la survie du peuple ogoni (MOSOP) parvient à contraindre Shell à arrêter sa production, qui représentait 40% du pétrole nigérian. En représailles, Sani Abacha qui s’était emparé du pouvoir en 1993 déclenche une violente campagne de répression contre les Ogoni et fait exécuter par pendaison leurs cadres dont Ken Saro-Wiwa, assassiné en novembre 1995.
Les assassinats des leaders ogoni suscitent l’ire de la communauté internationale, conduisant à l’exclusion du Nigeria du Commonwealth et l’imposition de sanctions économiques. Mis au ban de la communauté internationale, le Nigeria entre dans une période de turbulences quand, en juin 1998, Sani Abacha meurt subitement, officiellement d’une crise cardiaque.
1999 : retour de la démocratie avec Olusegun Obasanjo
Selon les historiens, ce sont les sanctions internationales dont le Nigeria est victime sous le régime de Sani Abacha, qui poussent l’élite politique à s’entendre avec l’armée pour renouer avec la démocratie au tournant du millénaire, au terme de 16 ans de dictature militaire sanglante. Le général Abusalami Abubakar, successeur de Sani Abacha, accélère le processus de transition qui aboutit à l’élection à la présidence d’Olusegun Obasanjo, ancien général revenu à la vie civile. En tant que leader du Parti démocratique du peuple (PDP), Obasanjo est réélu pour un second mandat en 2003.
Les années Obasanjo se caractérisent par le retour au fédéralisme après le centralisme exacerbé pratiqué par les militaires. Le retour en force de la doctrine fédérale est signifié par l’organisation, le même jour, de la prestation de serment du nouveau président et celle des gouverneurs des 36 États qui composent désormais le Nigeria. C’est encore sous le régime d’Obasanjo que l’on assiste à une répartition plus équitable de la manne pétrolière entre les États, avec la part des revenus pétroliers versés aux neuf États producteurs du delta du Niger passant de 3 à 13%. Or, tout n’est pas rose dans le Nigeria nouveau. Ainsi, parallèlement aux avancées démocratiques, les relations entre chrétiens et musulmans se détériorent, à la suite notamment de la réintroduction de la charia en 2001 dans douze États du Nord.
En 2002, naît le groupe islamiste radical Boko Haram, qui ne cesse d'étendre son influence jusqu'à son « apogée » en 2014, où il contrôle une grande partie du territoire et enlève 276 lycéennes à Chibok, dans le Nord-Est du Nigeria, déclenchant l'indignation internationale. Cet épisode entache le mandat du président nigérian sortant, Jonathan Goodluck, et favorise l'élection de l'ancien général Muhammad Buhari en 2015.
2015-2023 : présidence Buhari et la fragilisation du pays
Pendant les années Buhari, avec un PIB qui se situe à 2 585 dollars par habitant, le Nigeria dépasse l'Afrique du Sud et devient la première économie de l'Afrique, grâce a l'envolée des prix du pétrole, et grâce aussi à son secteur culturel prolifique (Nollywood est la seconde industrie de cinéma au monde en nombre de films produits, derrière le Bollywood indien mais devant les États Unis). En 2015, Buhari est élu avec enthousiasme, sur la promesse de mettre fin à la corruption et à Boko Haram, mais la lune de miel sera de courte durée. En 2016, le pays rentre en récession, et le président âgé alors de 74 ans tombe malade et disparaît dans les hôpitaux de Londres pendant de nombreux mois. Il est réélu en 2019 grâce à ses soutiens politiques, malgré un bilan économique et sécuritaire médiocre. L'année 2020 est « annus horribilis », qui commence avec des mois de confinement dus au Covid, extrêmement stricts, qui mettent l'économie à genoux: le nombre de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour explose passant de 83 millions en 2019 à plus de 130 millions (63% de la population). La population se révolte en octobre 2020 autour du mouvement #EndSARS, qui dénonçait d'abord les violences et exactions policières, puis plus généralement la mauvaise gouvernance. Le mouvement est maté dans le sang..
Le bilan des années Buhari est désastreux, dû essentiellement à la mauvaise gestion des ressources et aux nombreux pillages des oléoducs par des groupes armés, faisant chuter la production pétrolière de plus de 2 millions de barils par jour en 2019 à moins de 1,2 millions de barils. Le pays ne parvient même pas à atteindre les quotas fixés par l'OPEP. La corruption généralisée, les procès a répétition et les politiques économiques du gouvernement Buhari finissent par effrayer les investisseurs étrangers qui se retirent peu à peu de cette manne pourtant gigantesque des sous-sols. D'un point de vue sécuritaire également, les conflits se sont multipliés avec le Boko Haram s'affirmant comme l'État Islamique en Afrique de l'Ouest, les "bandits" dans le Nord-Est qui pillent le bétail et terrorisent les populations et une nouvelle poussée sécessioniste dans le Sud.
2023, une année électorale
Le 25 février 2023, les Nigérians se rendent aux urnes pour désigner le successeur de Muhammad Buhari, élu successivement en 2015 et en 2019. Quatre candidats sont en lice cette fois : Bola Ahmed Tinubu du All Progressive Congress (APC), parti au pouvoir, Atiku Abubakar qui se présente au nom du principal parti d’opposition, le Parti démocratique populaire (PDP), Peter Obi, le candidat outsider, issu des rangs du PDP, mais membre aujourd’hui du Parti travailliste. Le quatrième candidat, Rabia Kwankwaso, a peu de chances de l'emporter au niveau national, mais l’homme est très populaire dans son État de Kano, capitale du Nord à majorité musulmane. Qui sera le vainqueur ? Cette élection perpétuera-t-elle le système bipartite qui domine la vie politique nigériane ou y aura-t-il un changement de donne avec l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle classe politique ? Telles sont les questions qui se posent aujourd’hui dans le pays le plus peuplé du continent. Le résultat dépendra de la participation, disent les observateurs. Si près de 40% des électeurs inscrits sont aujourd’hui âgés de moins de 34 ans, laissant entrevoir la possibilité d’un renouveau, beaucoup évoquent l’apathie électorale dont font preuve traditionnellement les électeurs nigérians le jour du scrutin. Le pays connaît aussi d'immenses problèmes de sécurité dans de nombreuses régions (États d'Imo, d'Anambra, Benue, Katsina, Zamfara, Sokoto, Borno...) qui empêchent les gens d'aller voter.
Le 25 février, les Nigérians voteront aussi pour renouveler leur parlement bicaméral, fort de 360 députés et 109 sénateurs.
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