« Laudato si ! »,
un cadeau pour l’Afrique.
L’encyclique du Pape François rejoint
des préoccupations majeures de ce continent.
Bernard Ugeux M.Afr, Belge
en RDC
Il s’C’est avec soulagement que j’ai découvert l’encyclique Laudato Si lorsqu’elle a été diffusée et je profite de cet été pour l’approfondir. Ce sentiment de soulagement s’explique par le fait que le Pape François y exprime de façon forte et interpelante ce qui est pour moi un scandale permanent depuis que je suis arrivé la première fois en Afrique sub-saharienne en 1971. Il s’agit du fossé qui se creuse entre les pays nantis et les pays pauvres depuis des décennies sans que des mesures efficaces soient prises sur le plan mondial pour redresser ce déséquilibre structurel au niveau de la planète.
Avec une sorte de fatalisme désabusé (ou une « mondialisation de l’indifférence »… ?) , les nations développées (pour faire bref) se sont habituées au contraste apparemment insurmontable entre leur niveau de vie et celui des millions d’habitant du sud. Que 20% des habitants de notre planète exploitent et souvent pillent 80% des énergies non renouvelables pour maintenir leur niveau de vie ne semble pas les inciter à limiter leur gaspillage ni à se demander comment ce déséquilibre se pérennise. Or, on assiste à l’épuisement progressif de notre planète sur le plan climatique et des ressources énergétiques dont les pays du Sud sont les premières victimes. Pas seulement à propos de conséquences des modifications climatiques, mais aussi parce que les pays développés imposent leurs lois du marché en achetant les matières premières à un prix dérisoire et en acceptant entre autres que leur extraction soit faite à mains nues par des enfants, sans oublier les milices qui contrôlent les puits de mines dans certains pays. Le souci de traçabilité est minime.
En outre, les entreprises multinationales s’organisent de façon à exporter de ces pays des matières premières non-transformées, les privant de la création d’emplois pour la transformation de ces produits naturels. L’obsession des pays développés et des financiers, c’est le chômage et le niveau de vie, et leur idole : le profit immédiat quelques soient les conséquences écologiques. C’est ce que signifie le Pape François quand il écrit :
« Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles ».
Il insiste à juste titre sur le lien étroit entre écologie naturelle et écologie sociale : tout ce qui touche à la terre touche à l’homme et donc, pour les chrétiens, touche à Dieu. Car qui blesse l’homme blesse Dieu, et qui blesse la terre et la prive de sa beauté et de son potentiel de vie blesse l’être humain.
Tout cela n’a rien de théorique quand on vit dans des pays africains aux forêts et aux sous-sols immensément riches et où 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Où les richesses profitent à quelques nationaux, complices des multinationales et des états prédateurs, alors que la population souffre du manque de création d’emplois, de travail et de conditions salubres de vie. Ce mal structurel est profondément inscrit dans la plupart des pays d’Afrique.
Il est insupportable pour moi de constater le décalage entre le mode de vie de cette masse de gens autour de moi qui consomment chaque jour comme énergie quelques décilitres de pétrole pour s’éclairer, quelques grammes de charbon de bois pour cuire leur pauvre nourriture et quelques litres d’eau sale pour boire et se laver, et la consommation quotidienne d’eau, d’électricité et de carburant d’une famille occidentale. Ce n’est pas normal ! D’un côté une ou deux voitures par famille, de l’autre, une pour 300 personnes, en mauvais état, rebus des soi-disant mises à la casse des pays développés (qui les envoient vers le Sud, déplaçant ainsi le problème de pollution climatique). À chaque retour en Europe, le contraste me provoque et me blesse. Le Pape parle d’une « prise de conscience douloureuse »… pour tous !
Or il est évident qu’il est exclu que l’ensemble de la population mondiale atteigne le niveau de vie des pays développés : il n’y a pas assez de ressources en matière première et en énergie non-renouvelable. De plus le degré de pollution de la terre et de l’air deviendrait complètement insupportable. On continue à faire miroiter à ces populations le mirage du mode de vie occidental, alors que nous savons pertinemment que nous ne voulons pas qu’ils y aient accès, car c’est matériellement impossible. D’où notre réaction négative à l’arrivée des quelques milliers de migrants qui veulent tout de même profiter de notre manne et ne représentent pas 1% des populations pauvres ou parfois exploitées dans les pays en développement.
Il ne s’agit pas ici de tenter de culpabiliser, mais de responsabiliser. C’est profondément injuste, c’est gravement structurel puisque tout le système économique et financier mondial fonctionne sur ce déséquilibre.
On comprend alors pourquoi le Pape écrit que crise écologique et crise sociale sont inséparables, précisant : « Il faut que les pays développés contribuent à solder cette dette en limitant de manière significative la consommation d’énergie non renouvelable et en apportant des ressources aux pays qui ont le plus de besoins ». Cela résoudrait d’ailleurs en grande partie le problème des migrations. Il ne s’agit donc pas seulement de maintenir l’équilibre naturel de la planète mais d’assurer une répartition et une justice sociale au niveau planétaire. Il s’agit de respecter la dignité de chacun-e en acceptant un monde limité en ressources et en favorisant un partage plus fraternel. C’est ce qui donne de l’espoir aux Africains en lisant cette encyclique. « Et si celle-ci était prise au sérieux dans le monde, cela changerait-il aussi la mentalité de nos propres responsables ? ». Personne ne sort indemne de sa lecture…
Quelle utopie quand on voit comment fonctionnent les finances et l’économie mondiales ! Certes, mais l’utopie est féconde, et sensibiliser les terriens sur leur responsabilité par rapport à l’avenir, œuvre de longue haleine, est déjà commencé par des milliers de groupes de réflexion et d’action partout dans le monde, de toutes religions et obédiences. Ils sont conscients de l’importance d’une révolution écologique à court terme, sans tergiverser plus longtemps. Qu’il s’agisse de « décroissance » (les Républicains américains sont furieux) ou de sobriété volontaire (pour Pierre Rabhi et l’effet colibri) il est bien question d’un changement de paradigme qui doit commencer par un dialogue entre toutes les parties et un partage concret des ressources entre tous les habitants de notre planète. Que les nantis ne se fassent pas d’illusion, il ne suffit pas de contrôler ce qui reste comme réserves de pétrole et de gaz sur la planète (qui sont derrière toutes les guerres contemporaines) mais d’être convaincus que nous survivrons ou périrons tous ensemble ; ce ne sera alors qu’une question de temps.
C’est pour cela que le Pape François insiste sur la « maison commune ». On l’a compris, il
s’agit d’une attitude autant écologique que sociale et spirituelle… C’est pourquoi les chrétiens devraient être en première ligne quand il est question de… « sommet des consciences »… en actes !
Bernard Ugeux M.Afr
* Lac Kivu (RDC) : contempler la beauté de la nature fait partie de la conscience écologique.
Photo Bernard Ugeux