L'une
de vos préoccupations aujourd'hui semble être
d'endiguer le flux ininterrompu des réfugiés
économiques qui assiègent les frontières
de l'Union Européenne, réfugiés qui, pour
beaucoup, viennent d'Afrique noire.
Nous savions depuis longtemps que la pression était
forte et des milliers de cadavres balisent déjà
les routes du désert quand les vieux camions rendent
l'âme, le détroit de Gibraltar quand coulent les
frêles embarcations, ou les autoroutes d'Europe quand on
oublie d'aérer citernes ou conteneurs où ils
voyagent.
Qu'une route se ferme, une autre s'ouvre... et il va en
être ainsi pour longtemps !
Vous pouvez bien affréter ces humiliants charters
de « retour au pays » qui blessent
profondément l'âme hospitalière africaine,
elle qui garde mémoire d'avoir été
convoquée pour défendre la mère
patrie, vous pouvez bien mettre une troisième rangée
de grillage à Ceuta et Mellilla (Que faisons-nous
encore là-bas ?) ou faire disparaître le camp de
Sangate, vous pouvez bien organiser des reconduites aux
frontières sous les feux des caméras de
télévision, cela rassurera peut-être
vos opinions publiques mal informées, mais cela
n'arrêtera pas l'arrivée des réfugiés
économiques.
Ils arriveront quand même
parce que les gouvernements français et européens
n'ont jamais vraiment souhaité que les paysans
d'Afrique de l'Ouest (80% de la population) puissent vivre du
travail de leur terre. Vous refusez d'acheter leurs produits à
un prix rémunérateur qui leur donne la
possibilité de rester chez eux. Vous refusez d'investir
dans l'agriculture familiale qui seule peut fixer les
populations chez elles. Vous avez toujours préféré
distribuer de l'aide déstructurante quand il est trop
tard et que les plus faibles sont déjà morts.
Vous préférez apporter une aide tardive avec vos
stocks d'invendus transportés à grands frais,
plutôt que de créer un environnement qui permette
aux paysans africains de développer leurs propres
productions et leurs propres stocks. Vous déstabilisez
leurs marchés avec les faux prix du pseudo marché
mondial, que vous bricolez à votre guise (par des
subventions ou du dumping). Et vous annoncez à tous
cette nouvelle soit-disant vérité:
commerce ultra-libéral =
développement
alors que nous voyons chaque jour que cette recette ne fait
qu'enrichir les riches et appauvrir les pauvres...
Ils arriveront quand même
parce que vos collègues chargés du développement
l'ont trop souvent réduit à des aides
budgétaires ou à des prêts ponctuels
favorisant des régimes corrompus à la tête
d'Etats où règnent le non-droit, la
corruption et le racket permanent des plus faibles. Peu de
chances alors de voir les plus jeunes se motiver dans un tel
environnement. Ils veulent venir en Europe, et ils viendront.
Ils arriveront quand même
parce que, quittant la campagne, ces jeunes ne trouvent dans
les villes sous-équipées ni travail, ni
considération, ni perspectives d'avenir. Les quelques
emplois qui existent sont déjà aux mains d'une
minorité qui se les réserve. Restent les seuls
chemins de l'aventure que "TV5 monde" fait briller à
leurs yeux. Ils rêvent de l'Europe.
Ils arriveront quand même
parce que finalement vous en avez besoin
dans l'agriculture (légumes, fruits et primeurs) parce
que la grande distribution, en écrasant les prix, ne
permet pas de salarier normalement ceux qui produisent et
récoltent,
dans le bâtiment, parce que les contrats de
sous-traitance de nos grands groupes BTP, s'ils favorisent la
création d'importants bénéfices, ne
permettent pas non plus de rémunérer normalement
la main-d'oeuvre de ce secteur,
et parce qu'il faudra bien remplacer l'importante génération
du « baby-boom » qui commence à
prendre sa retraite.
Quand la communauté européenne prendra
conscience que le monde a besoin de toutes les agricultures du
monde, quand la communauté européenne
décidera qu'il est juste et bon que l'Afrique protège
ses filières de productions naissantes (agricoles et
autres) pour parvenir à la souveraineté
alimentaire, quand la communauté européenne
ouvrira vraiment ses marchés aux productions de
l'Afrique sub-saharienne pour qu'elle devienne enfin
solvable, quand la communauté européenne
renoncera à imposer ses Accords de Partenariat
Economique (APE, qui sont en fait des accords de
libre-échange) qui vont ruiner ce qu'il reste encore de
production locale et appauvrir un peu plus les Etats
africains, quand la communauté européenne
cessera de soutenir les " démocratures "
africaines,
alors, Monsieur le ministre,
Messieurs les ministres, alors seulement, peut-être, la
pression sera moins forte à vos frontières.
Bon courage!
Jacques LACOUR, Koudougou, le 5 avril 2006
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