La prison de Niamey, où ont été conduits deux des trois prévenus. (image d'archive, juin 2013)
© AFP PHOTO / STRINGER

Au Niger, les dirigeants de l'hebdomadaire Le Courrier et leur imprimeur, placés en détention le 8 juin, ont comparu le 10 juin devant un tribunal de Niamey. Le parquet leur reproche la divulgation de documents liés à une affaire de fraude et de trafic d'influence concernant des concours administratifs. Le procureur a requis un an de prison ferme et 300 000 euros d'amende contre deux d'entre eux et la relaxe pour le troisième.

Il y avait du monde dans la salle d’audience du tribunal ce vendredi 10 juin à Niamey pour assister au procès. Des membres de la famille étaient présents, mais aussi des leaders de la société civile ou de simples confrères journalistes.

D’entrée de jeu, les trois prévenus, Moussa Dodo et Ali Soumana, respectivement directeur de publication et promoteur du journal Le Courrier, et Idrissa Maiga, l’imprimeur, ont tous plaidé non coupable. Deux faits leur sont reprochés : « divulgation des documents scellés provenant d’une perquisition » et « commentaires tendant à influencer la décision du juge ».

Verdict le 16 juin

Pour Me Mossi Boubacar, membre du collectif des avocats qui défendent les journalistes, ces derniers « sont poursuivis, non pas parce qu’ils ont contrevenu à la loi, non pas parce qu’ils ont diffamé, non pas parce qu’ils ont diffusé de fausses informations, mais simplement parce qu’ils ont plutôt dénoncé des contrevenants, des gens qui ont fait du trafic d’influence, qui ont organisé de la fraude, des grandes personnalités dont on ne veut pas écorner l’image. Ce sont ces gens qui ont été dénoncés. »

A ces critiques, le procureur répond que les documents en question sont déjà devant le juge. Il n’y a donc pas matière à dénoncer, selon lui. Le verdict est mis en délibéré pour le 16 juin prochain.

 

Classement RSF : la liberté de la presse régresse en Afrique

A Madagascar, 64e au classement RSF, la situation s'améliore. Ici, manifestation en soutien à leurs collègues en détention après une plainte pour diffamation, le 22 juillet 2014.
© AFP PHOTO/ RIJASOLO

Reporters sans frontières a publié ce jeudi 12 février son classement annuel de la liberté de la presse. Dans le monde, les conditions de travail des journalistes se sont dégradées en 2014. L'Afrique n'échappe pas à ce constat. Nouveaux conflits, épidémie d'Ebola, échéances électorales... autant de facteurs de régression pour la liberté de la presse sur le continent.

Au Congo-Brazzaville (107e), l'année 2014 a été marquée par des expulsions de journalistes. Ce fut le cas de Elie Smith. Reporters sans frontières redoute une crispation des autorités à l'égard de toute parole critique à l'approche de la présidentielle de 2016. La situation en République démocratique du Congo voisine (150e) préoccupe également l’ONG de défense de la liberté de la presse. En RDC, de nombreux médias ont été fermés l'an passé. Des médias accusés, notamment, de soutenir des rebelles.

L'usage de l'argument sécuritaire

Arrestations, mises en demeure ou fermeture d'organes de presse... L'argument sécuritaire est de plus en plus utilisé comme prétexte pour faire taire les journalistes au niveau mondial et cela s'illustre sur le continent africain. Au Soudan du Sud (125e au classement RSF) où un conflit s'est déclenché à la fin de l'année 2013, les journalistes ont ainsi été menacés de sanctions s'ils traitaient de question sécuritaire.

RSF s'inquiète également de la situation au Cameroun où une loi antiterrorisme a été récemment adoptée. Selon RSF, les contours du texte sont trop flous pour protéger le travail des journalistes.

RSF dénonce aussi l'usage abusif des poursuites en justice, notamment en Ethiopie (142e), où six blogueurs et trois journalistes indépendants sont poursuivis pour des faits de terrorisme alors leurs dossiers ne contiennent pas d'éléments suffisants pour corroborer ces accusations.

Ebola, prétexte pour limiter l'accès à certaines zones

Autre constat : l'impact en 2014 de l'épidémie de fièvre hémorragique Ebola. Après le lynchage de trois journalistes embarqués dans une mission de sensibilisation en Guinée-forestière par des habitants paniqués, l'accès à la zone a été interdit. Et RSF craint qu'il n'y ait eu des exactions commises par les forces de l'ordre à l'abri des regards.

Au Liberia (89e), autre pays durement touché par l'épidémie, des mesures ont été prises pour limiter l'accès aux centres de soins après que des médias ont critiqué l'usage des fonds internationaux.

Quelques améliorations

Parmi les rares améliorations à noter concernant la liberté de la presse, les situations à Madagascar et en Côte d'Ivoire. Dans les deux cas, l'effet de la sortie d'une crise politique permet aux journalistes de travailler dans de meilleures conditions. A Madagascar (64e), la transition démocratique permet l'apaisement d'une situation jusque-là très polarisée et qui fait gagner 17 places au pays. Malgré tout, des sujets restent tabous, notamment les monopoles économiques d'acteurs politiques de premier plan. Ainsi, récemment, deux journalistes ont été détenus pour avoir publié un courrier des lecteurs critiquant les liens entre autorités et trafic de bois de rose

A la 86e place, la Côte d’Ivoire (+15) continue de s’extraire d’une crise politique et sociale qui avait plongé le pays en pleine guerre civile en 2010. La situation demeure néanmoins contrastée dans un pays où la libéralisation de l’audiovisuel est attendue pour 2015.

Erythrée, toujours dernier du classement

L'Erythrée (180e) figure à la dernière place du classement RSF pour la septième année consécutive. Selon RSF, la situation ne s'améliore pas dans ce pays. Elle se dégrade même de façon préoccupante. Les Nations unies estiment que 4 000 personnes essaient de quitter l'Erythrée chaque mois. Rien que pour l'année 2014, RSF a reçu 30 demandes d'asile de la part de journalistes.

En janvier, les autorités érythréennes ont eu beau libérer six journalistes, « pour nous à RSF, ce n'est pas suffisant. Ces journalistes ont été arrêtés sans motif, ils ont été libérés sans explication », dénonce Cléa Kahn-Sriber, responsable Afrique. Dans ce pays de la Corne de l'Afrique, où il n'existe aucune presse indépendante, les journalistes, même s'ils travaillent pour des organes d'Etat, vivent sous la menace de persécutions au moindre commentaire jugé controversé par les autorités. La situation en Erythrée reste à ce jour la situation la plus préoccupante dans le monde pour RSF.
 

Pour aller plus loin : le classement 2015 de Reporters sans frontières