Comment la crise des migrants a réveillé les solidarités
Dans le journal "La Croix" du 20 décembre 2016
Combattu parfois, l’accueil des migrants a aussi vu éclore, sur tout le territoire, une myriade d’initiatives solidaires. Tour d’horizon.
Burté, qui a fui la Mongolie avec sa mère, est hébergée à Ouroux-en-Morvan, chez Alastair Davidson (à gauche) et sa femme Kathleen. / J.-L. Luyssen pour La Croix
Dans les montagnes du Trièves, dans le sud de l’Isère, tout a commencé dans deux ou trois salons en septembre 2015. C’était quelques jours après la diffusion de la photo du petit Aylan, cet enfant syrien échoué sur une plage turque après le naufrage d’une embarcation de migrants. « Cette photo, ça a été la goutte d’eau, le truc qui fait qu’on ne peut plus faire comme si de rien n’était », explique simplement Nadine Barbançon, qui, comme quelques autres, invite alors « des voisins et des copains à venir boire une bière, juste pour en parler, et se demander de façon très naïve : qu’est-ce qu’on peut faire ? » Quinze jours plus tard, une première réunion rassemble une cinquantaine de personnes, de tous âges et de tous horizons, dans la petite ville d’à côté, à Mens. « Au départ, poursuit Nadine, il n’y avait pas vraiment de projet, juste l’idée que beaucoup d’entre nous avions la chance d’avoir un habitat assez grand pour héberger des gens chez nous. Et très vite on s’est dit : on le fait ! » Quelques familles, qui, condition sine qua non, disposent d’une chambre de libre, se portent volontaires. Contact est alors pris avec Accueil demandeurs d’asile (ADA), une association grenobloise.
En novembre 2015, Léa, une jeune Congolaise, arrive chez un couple de retraités. Un an plus tard, ce qui est devenu lecollectif d’accueil pour les réfugiés en Trièves (Cart) a accueilli, de quelques jours à six mois, 34 demandeurs d’asile venus du Congo, du Pakistan ou encore d’Albanie. Depuis, tous ont obtenu leur statut. Et autour de ces réfugiés et des 16 familles accueillantes, pas moins de 150 personnes se sont mobilisées. Déployant toute une panoplie d’initiatives.
« On s’est rendu compte très vite que nos hébergés avaient besoin d’aller à Grenoble, à 40 km, pour leurs démarches, raconte Nadine. Alors on a mobilisé nos réseaux par SMS pour organiser du covoiturage au moins trois à quatre fois par semaine. » Pour soutenir financièrement les hébergeants qui en ont besoin, une caisse de soutien est mise en place dans les bistrots et des repas solidaires sont organisés. Pour parer aux éventuelles difficultés de communication, un « référent » est nommé pour chaque couple accueillant-accueilli. Parfois, le logiciel de traduction de Google est mis à contribution. Et le voisinage sollicité : « Il a pu y avoir un voisin qui invite à dîner le mardi soir, un autre qui emmène l’hébergé avec lui à son cours de sports collectifs », explique Nadine, qui, elle, a invité le jeune Déo à utiliser la Playstation de son fils. Et des relations ont été tissées avec les élus locaux. La mairie de Roissard a ainsi accueilli une cérémonie de parrainage républicain à l’automne. Et celle de Mens a mis à disposition un appartement qui devrait accueillir cinq personnes en janvier, au terme d’un chantier de remise en état qui aura mobilisé les bénévoles pendant deux mois.
Exemplaire, l’initiative du Cart ? Peut-être. Dans une France où un sondage récent (1) affirme que 57 % des Français sont opposés « à ce que la France accueille une part de migrants et de réfugiés », il serait excessif de dire que la solidarité est la réaction la plus partagée. Mais « il est clair que la crise migratoire a réveillé quelque chose, estime Bernard Thibaud, secrétaire général du Secours catholique. Il y a eu l’effet de la photo du petit Aylan, puis, chez les catholiques, l’appel du pape à accueillir des migrants en septembre 2015, qui a eu un fort écho. »
Pourtant, l’accueil ne va pas toujours de soi. Quand il a annoncé, en 2015, son intention d’accueillir un centre pour migrants à Pessat-Villeneuve, village auvergnat de 550 habitants, le maire, Gérard Dubois, a « reçu plus de 200 coups de fils d’insulte à la mairie, des tonnes de lettres anonymes et sur les réseaux sociaux, c’était l’horreur absolue ». Aujourd’hui, l’ambiance s’est normalisée. Autour du centre, une cinquantaine de bénévoles sont toujours mobilisés pour enseigner le français, accompagner pour les courses, organiser des sorties culturelles, des randonnées, des matchs de foot… « Paradoxalement, depuis les attentats du 13 novembre, les choses se sont calmées, raconte le maire. Et puis, je pense qu’il y a eu des rencontres, les habitants ont vu que c’était juste des gens. »
Bref, dans une période où le risque terroriste est prégnant et où le contexte préélectoral peut prêter aux surenchères, « il se passe quelque chose de particulièrement intéressant puisqu’on assiste à une éclosion de manifestations assez spontanées, souvent dans des petites villes ou des zones rurales où ce n’était pas habituel », analyse Geneviève Jacques, présidente de la Cimade. Or, poursuit-elle, « si on compare à l’élan de solidarité observé envers les boat people ou les réfugiés des dictatures sud-américaines, où on avait affaire à une sorte de solidarité idéologique, là, ce qui s’exprime tient plutôt à de l’empathie vis-à-vis de gens qui ont souffert. Ça traduit une forme d’humanité fondamentale. Et je pense aussi que ça dit, concrètement, un refus d’une France peureuse, frileuse, aigrie. »
Pour expliquer le besoin qu’elle a ressenti de « ce premier engagement personnel concret », Pauline, 38 ans, n’emploie pas de grands mots. Parisienne, elle habite avec ses deux filles non loin de la place Jean-Jaurès où jusqu’en novembre, des milliers de migrants dormaient dans des tentes dans des conditions épouvantables. « Il y a eu un moment, qui coïncidait sans doute avec une période de changement personnel, où ça n’a plus été possible pour moi de passer devant eux comme s’ils n’existaient pas. » Au-delà du don de vêtements, et de la signature de pétitions, la jeune universitaire, ancien professeur de français langues étrangères, a décidé au printemps de donner des cours de français dans une bibliothèque de son quartier. Tout en s’excusant presque de ne pouvoir faire plus.
Ramzi Yacub lui, s’est engagé de toute son âme dans cet accueil. En 2008, peu après l’assassinat d’un évêque, ce chrétien d’Irak a fui son pays, avec son épouse et ses trois garçons. Et il se souvient bien de ce qu’il a ressenti en arrivant à Châteauroux. « J’étais en dessous de zéro, heureusement j’ai frappé à la porte de l’église et là j’ai trouvé des gens pour nous aider », raconte-t-il. Depuis, grâce au soutien de la paroisse et du Secours catholique, sa famille « a recommencé une nouvelle vie ». Depuis 2014, à Tours, la ville où il a déménagé, c’est désormais lui qui œuvre comme bénévole auprès des Irakiens accueillis par l’Ordre de Malte. « Dans toutes les étapes, je viens comme traducteur. On recense leurs besoins, on fait les démarches administratives. S’ils ont besoin de moi pour aller chez le docteur, je peux venir avec eux. On organise aussi des parrainages avec des familles françaises parce que les gens ont aussi besoin d’amis. J’ai aussi accompagné des pèlerinages à Lourdes. J’ai la joie de pouvoir redonner ce qu’on m’a donné. »