Les conflits créent la famine

L’état de famine est déclaré au Soudan du Sud depuis trois semaines.

Deux autres pays sont aussi fortement touchés : le Nigeria et la Somalie. Ainsi que le Yémen, de l’autre côté de la mer Rouge.

Dans l’attente d’une distribution de nourriture à Thonyor, près de la ville de Leer, au Soudan du Sud, le 25 février.
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Dans l’attente d’une distribution de nourriture à Thonyor, près de la ville de Leer, au Soudan du Sud, le 25 février. / Siegfried Modola/Reuters

Quelle est la situation au Soudan du Sud ?

L’état de famine a été déclaré au Soudan du Sud par l’ONU, le 20 février. C’est une première depuis 2011 et la famine qui a touché la Somalie. L’épicentre de la crise se situe dans l’État de l’Unité, dans le nord du Soudan du Sud.

Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), le Fonds pour l’enfance (Unicef) et le Fonds pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), 100 000 personnes risquent de mourir de faim sur place. Les trois agences de l’ONU estiment qu’elles pourraient être un million ces prochains mois. « Lorsqu’on déclare officiellement l’état de famine, cela veut dire que les gens ont déjà commencé à mourir de faim », ont-ils indiqué le 20 février dernier.

Pour définir une situation de famine, en effet, les Nations unies s’appuient sur les critères techniques du « Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire » (IPC). Selon cette classification, il y a famine lorsque le taux de mortalité est supérieur à deux personnes pour 10 000 par jour, que le taux de malnutrition est au-dessus de 30 %, qu’il y a moins de 2 100 calories et moins de 4 litres d’eau disponibles par habitant et par jour.

Au-delà de cette situation de crise majeure, 4,9 millions de Soudanais du Sud – 42 % de la population – ont besoin d’une aide alimentaire de toute urgence, selon Action contre la faim.

D’autres pays sont-ils menacés ?

Selon la FAO, près de 37 pays ont besoin d’une aide extérieure pour se nourrir, dont 28 pour la seule Afrique subsaharienne. Parmi ces 37 pays, trois suscitent de vives inquiétudes : la Somalie, le Yémen et le nord-est du Nigeria. « Nous sommes face à une situation sans précédent. Nous n’avions jamais été confrontés à quatre menaces de famine dans plusieurs pays en même temps », juge le sous-directeur général et responsable du département développement économique et social, Kostas Stamoulis.

En Somalie, plus de 6 millions de personnes sont menacées, selon l’ONU. La majorité vit en zones rurales. Dans le nord-est du Nigeria, ils sont 5 millions directement affectés par la pénurie alimentaire. Et au Yémen, 7,3 millions. Selon l’Unicef, près de 1,4 million d’enfants de ces quatre pays risquent de mourir de faim.

Si la famine menace directement ces trois pays, toute l’Afrique de l’Est est frappée par l’insécurité alimentaire : Kenya, Éthiopie, Djibouti, Ouganda, Tanzanie… En Afrique centrale, la situation est aussi très tendue. La faim frappe les populations du Tchad, du Burundi, de la République centrafricaine, de la République démocratique du Congo.

À quelles causes attribuer ce retour de la famine ?

Les causes sont avant tout humaines, politiques. Toutes les régions souffrant le plus de la faim sont en effet d’abord des zones de guerre civile.

Au Soudan du Sud, les partisans du président Salva Kiir, de l’ethnie dinka, et ceux du vice-président Riek Machar, de la communauté nuer, se livrent une lutte sans merci pour le pouvoir. L’État de l’Unité est l’un des théâtres les plus violents de cette opposition. Situé à 500 kilomètres de la capitale Juba, il a le double malheur d’être celui dont Riek Machar est originaire et celui où l’on trouve d’importants champs pétrolifères.

Au Yémen, les civils sont victimes d’une guerre opposant les partisans du président destitué et ceux de son prédécesseur. Un conflit amplifié depuis 2015 par l’intervention militaire des pays voisins, en premier lieu de l’Arabie saoudite qui soutient les premiers et de l’Iran qui appuie les seconds. « Toutes les parties ont fait obstacle à la distribution de l’aide humanitaire dans le pays », estimaient les experts de l’ONU dans un rapport rendu public le 23 février.

En Somalie, les chebabs, groupe islamiste, contrôlent le sud du pays et conduisent des attaques terroristes jusque dans la capitale Mogadiscio. Enfin, dans le nord-est du Nigeria, l’armée n’arrive pas éradiquer le groupe islamiste Boko Haram. Si les forces de sécurité ont repris pied dans les villes, la campagne leur échappe toujours.

À ces conflits internes s’ajoute la faillite des États. Au Soudan du Sud, en Somalie et au Yémen, le pouvoir de l’État s’exerce à peine dans la capitale et en rien dans la quasi-totalité du pays. Au Nigeria, le pouvoir central a abandonné depuis des années le Nord-Est.

Conséquence de l’état de guerre et de l’absence de l’État, l’économie locale, les activités agricoles et commerçantes sont inexistantes. Alors que les réserves mondiales de nourriture sont abondantes, l’accès aux populations en danger est extrêmement difficile voire impossible pour les humanitaires. De sorte que les populations de ces quatre zones n’ont plus les moyens de se nourrir et sont livrées à elles-mêmes.

Le facteur météorologique entre-t-il aussi en compte ?

Pour la troisième année consécutive, l’Afrique de l’Est est par ailleurs touchée par un épisode de sécheresse. L’Organisation météorologique mondiale (OMM) prévoit un nouveau déficit en eau ces mois prochains. La Somalie, le Kenya, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, une partie de l’Ouganda et de la Tanzanie sont particulièrement affectés par ce phénomène. La sécheresse détruit les moyens d’existence, répand les maladies, déclenche des mouvements de population à grande échelle. Dans plusieurs régions, le bétail est déjà décimé. Les récoltes se raréfient, et les prix des denrées alimentaires s’envolent. Cependant, les spécialistes s’accordent à dire que si la sécheresse fragilise les populations, elle n’est pas la cause première de la famine qui frappe le Soudan du Sud et menace le Yémen, la Somalie et le nord-est du Nigeria.

Laurent Larcher