A Paris, le centre d’accueil des migrants frôle la saturation

Créé en novembre après l’évacuation du camp parisien de Stalingrad, le centre de premier accueil de La Chapelle risque l’engorgement dans les mois qui viennent.

Au centre de La Chapelle, le 14 mars dernier, des migrants rechargent leur téléphone.
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Au centre de La Chapelle, le 14 mars dernier, des migrants rechargent leur téléphone. / Nicolas Kovarik/IP3

Va-t-on assister dans les prochains mois à la reconstitution de camps de migrants dans les rues de Paris ? La question commence sérieusement à se poser tant le dispositif déployé à l’automne commence à craquer de toutes parts.

Le 4 novembre 2016, les autorités avaient procédé à l’évacuation vers des centres d’hébergement de quelque 3 900 personnes qui campaient sur les trottoirs du quartier de Stalingrad. Pour éviter que ne se reconstituent ces bidonvilles, comme cela avait été le cas après les 29 précédentes évacuations, la Mairie de Paris a ouvert un « centre de premier accueil » près de la porte de la Chapelle pour recevoir les migrants qui continuent d’arriver chaque jour dans la capitale. Depuis lors, plus de 21 000 personnes sont passées par le centre, qui offre des consultations médicales et des repas. Et près de 5 000 y ont été hébergées – le centre dispose de 400 lits destinés à des hommes adultes, pour une durée de 5 à 10 jours. Les femmes et les familles, quant à elles, sont orientées vers un autre centre ouvert en janvier à Ivry, en banlieue sud.

Première difficulté, en amont : quasiment depuis l’ouverture, des files d’attente de migrants se créent chaque matin devant le centre, qui ne parvient pas à les accueillir tous. À tel point que début février, une centaine de personnes ont été évacuées pour éviter un nouveau camp, selon l’AFP. Et que des riverains se sont organisés pour distribuer des petits déjeuners, parfois au prix de difficultés avec les forces de l’ordre (lire La Croix du 21 février). Et le phénomène ne semble pas faiblir. « Nous, ce qu’on voit, c’est que, alors qu’on distribuait 30 à 40 litres de boissons chaudes chaque matin, depuis quelques jours, on sert 70 à 80 litres et parfois on n’en a pas assez », explique Julien Fert, du collectif Solidarités Migrants Wilson.

Bruno Le Roux, le ministre de l’intérieur, en visite sur place mardi, a reconnu : « Je ne vois pas la pression migratoire baisser » d’ici deux à trois mois, en évoquant « la pression sur l’Italie », et« à la frontière allemande », avec « des déboutés du droit d’asile en majorité afghans qui cherchent à retrouver une perspective dans notre pays ». Cette arrivée nouvelle et assez massive de déboutés venus d’Allemagne semble inquiéter fortement les autorités.

Mais surtout, deuxième type de difficultés, le centre de La Chapelle commence aussi à montrer des signes de congestion, faute d’hébergements suffisants en aval. Fin février, Paul Duprez, le président d’Emmaüs Solidarités, l’association qui gère le centre, a écrit aux ministères de l’intérieur et du logement pour tirer la sonnette d’alarme. Depuis, « les choses se sont améliorées », explique-t-il tout en précisant que la veille, « il y a eu 87 entrées pour 58 sorties. Grosso modo sur la semaine, ça devrait s’équilibrer avec près de 300 entrées et sorties ».

Mais ce rythme, nécessaire pour éviter la reconstitution de camps, pourra-t-il perdurer ? Théoriquement, les migrants qui souhaitent demander l’asile sont redirigés vers les 301 centres d’accueil et d’orientation (CAO) disséminés dans toute la France. Or non seulement ces CAO accueillent déjà les évacués de Calais, mais, en plus, un certain nombre, installés dans des centres de vacances, doivent être libérés pour le printemps. Le ministère de l’intérieur vient de donner des directives aux préfets pour retrouver de nouveaux lieux de façon à maintenir 90 % des 10 000 places de CAO. Y parviendront-ils ?

Enfin, le ministre n’a rien dit concernant les centres d’hébergement d’urgence pour migrants, (CHUM) et notamment les 93 CHUM franciliens. Or c’est là que sont normalement envoyés les quelque 80 % de migrants accueillis à La Chapelle qui n’ont pas vocation à demander l’asile parce qu’ils sont « dublinés ». Autrement dit, leurs empreintes ayant été enregistrées dans un autre pays d’Europe, ils sont censés, conformément au règlement Dublin, y retourner pour y faire leur demande (1). Mais ces pays ne faisant pas preuve de zèle pour les accueillir, ni la France de zèle pour les renvoyer, ils demeurent dans les CHUM, contribuant à l’engorgement général. Du moins tant qu’un nouveau centre d’accueil, comme celui envisagé sur un site de la Mairie de Paris à Sarcelles, n’est pas véritablement sur les rails.

Nathalie Birchem

(1) La promesse de ne pas « dubliner » les exilés de Calais évacués dans un CAO lors du démantèlement de la « jungle » ne s’applique pas aux autres migrants, a rappelé le gouvernement, lundi 6 mars.