Comment l'Europe est " vache " avec l'Afrique

Date de parution: Mercredi 24 janvier 2007
Auteur: Christine von Garnier
du réseau suisse d'AEFJN

Christine von Garnier, du Réseau Afrique Europe Foi et Justice, montre les effets probables des accords que l'Union européenne cherche à passer avec les pays ouest-africains.
C'est par ce titre provocateur qu'a été lancée une campagne en France (Solidarité internationale) et en Belgique (SOS Faim) pour dénoncer le forcing imposé récemment par les négociateurs de l'Union européenne aux ministres du Commerce des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

Ceci dans le cadre des Accords de partenariat économique (APE) avec l'Afrique qui devraient être signés d'ici à décembre 2007 et qui sont assortis de la conditionnalité d'une aide financière importante. Mais la CEDEAO a demandé un délai de trois ans pour étudier et évaluer les propositions de l'UE qui sont plus contraignantes encore que celles de l'OMC, un délai refusé à Ouagadougou par les Européens en décembre dernier. Grave erreur, car le facteur temps est peut-être celui dont on doit tenir le plus compte quand on traite avec l'Afrique et son rythme lent de développement.

Les APE, qui font partie des Accords de Cotonou, devraient permettre aux produits d'Europe d'envahir encore plus les marchés de l'Afrique de l'Ouest déjà saturés par les biens chinois. Si les gouvernements d'Afrique australe ont su se défendre et poser leurs conditions à l'UE pour rester maîtres de leur propre production, l'Afrique de l'Ouest est plus vulnérable pour affronter un libre-échange pur et dur imposé par l'UE. Les paysans et les éleveurs au sud du Sahara continueraient de s'enfoncer dans la misère, ne pouvant concurrencer les produits alimentaires européens subventionnés, et voient tout le tissu social s'effondrer.

On croit rêver devant l'entêtement de la Commission européenne. Ces APE ont été critiqués par la Chambre des communes (Grande-Bretagne) qui dénonce une approche purement mercantiliste laissant de côté l'aspect développement, et aussi une libéralisation dommageable " à cause du manque de capacité économique et d'infrastructures appropriées ". L'Assemblée nationale française, après les avoir sévèrement critiqués dans un premier temps, s'est rétractée à la mi-janvier déclarant que " ces accords ne sont pas simplement des accords de libre-échange suivant les règles de l'OMC, mais un vrai partenariat visant l'intégration économique de ces pays, et qu'ils sont favorables au développement durable de leurs économies ". Un double langage comme c'est l'habitude en France vis-à-vis des anciennes colonies. Cela n'empêchera pas l'arrivée de candidats supplémentaires à l'émigration et un continent basculant dans les mains de la Chine.

Pour se défendre, l'UE invoque le prétexte que les préférences commerciales non réciproques dont ces pays ont bénéficié pendant 34 ans sous les accords de Lomé avec les anciennes puissances coloniales ne les ont pas empêchés de voir leur niveau de vie baisser. Donc le remède de cheval d'un libre-échange bilatéral s'imposerait, assorti de la carotte d'un soutien financier.

Mais aujourd'hui, les Africains ont les moyens de se défendre : en proposant ces accords qui n'exigent pas de réduire son dumping, l'UE triche impunément avec les règles et la jurisprudence récente de l'OMC sur l'effet de dumping des subventions internes aux exportations agricoles. Ces effets sont extrêmement pervers, comme on le constate déjà avec la baisse du prix du coton qui affecte 10 millions d'Africains, et la disparition de petits producteurs agricoles locaux (lait, riz, poulets, sucre).

Dans quelle mesure la Suisse y participe-t-elle ? La réponse est complexe. Elle exporte 815 tonnes de lait en poudre par an dans 29 pays africains au titre d'aide alimentaire. Si de nombreux enfants mal nourris en sont les principaux bénéficiaires, ce qui est réjouissant, on peut se demander si cela n'empêche pas non plus les producteurs locaux de mieux s'organiser pour produire un lait de qualité bon marché. Pourquoi ne demanderaient-ils pas des subventions ou soutiens agricoles à leur propre gouvernement ? Certains en ont les capacités financières avec les revenus du pétrole comme le Cameroun ou l'Angola. Pourquoi ne pas responsabiliser davantage les élites africaines pour sauver leurs enfants et investir dans leur pays en pratiquant des accords plus équitables visant surtout le développement ?

Selon Africa Report 2006 cité par Jeune Afrique, les flux financiers en provenance de l'Afrique vers l'étranger s'élèveraient à 30 milliards de dollars par an, plus que l'aide au développement ! Si la corruption est une des causes importantes de la pauvreté en Afrique, il y a aussi sa face cachée représentée par certaines multinationales corruptrices avec leur rapatriement de fonds énormes, leurs pots-de-vin et leurs " commissions ", et des accords injustes qui plombent la véritable indépendance économique de la plupart des pays.

Les responsabilités sont donc très partagées. Les peuples africains, qui ne demandent qu'une chose, se développer selon leur rythme et leur génie comme on le voit actuellement au Forum de Nairobi, sont piégés de partout à l'intérieur comme à l'extérieur, et n'arrivent pas à se protéger. C'est au renforcement des compétences de sa société civile (associations paysannes, syndicats, groupes de femmes, de jeunes, d'artisans, Eglises, etc.) et de ses infrastructures qu'il faut travailler de façon urgente pour qu'elle se défende mieux. Et aussi à une forte stratégie anti-corruption comme l'a précisé le directeur de la DDC, Walter Fust, dans sa conférence de presse du 18 janvier soulignant la nécessité d'une plus grande solidarité internationale.