Le Forum social mondial Notre expérience de la vie est une expérience de souffrance, la nôtre et celle des autres. L’histoire de l’humanité, au moins depuis qu’elle a été fixée sur des documents écrits, est une expérience de souffrance. Nous y trouvons les récits des grandes civilisations, de nos victoires et de nos conquêtes militaires, de nos découvertes et de nos inventions. C’est un cache poussière brillant qui dissimule les horribles souffrances humaines qui ont permis tous ces évènements. Des millions d’êtres humains ont souffert et ces livres les traitent comme des ‘détails’ de l’histoire. Les pyramides de l’Égypte ont pourtant été construites au coût de la vie de milliers d’humains réduits en esclavage. Le ‘Nouveau monde’ dans les Amériques s’est constuit sur un génocide, sur la suppression de peuples amérindiens, sur l’humiliation et la souffrance des esclaves africains transportés de l’autre côté de l’Atlantique entassés comme des sardines dans des navires où il étouffaient et souvent mourraient... Ici, cependant, je veux rappeler un des ‘signes des temps’ de notre époque : notre prise de conscience a progressé au milieu de ces intolérables souffrances. Nous avons réussi à en faire disparaître quelques-unes. Nous avons l’espoir d’en vaincre d’autres à l’avenir. Changements structurels Dans le passé, on souffrait avec la conviction qu’on ne pouvait rien changer à l’état du monde. Mais nous avons connu dans l’histoire récente de l’humanité de grandes révolutions, la Révolution française, la Révolution américaine, la Révolution russe, et toutes les révolutions contre le colonialisme et l’impérialisme. Ces révolutions n’ont pas toutes été couronnées de succès, loin de là ! Mais elles nous ont convaicus que les structures d’un pouvoir oppressif peuvent changer. Le monde croit maintenant qu’il est possible de vivre en démocratie et dans le respect des droits de la personne. C’est ce qui nous a ouvert toute grande la porte pour entrer dans l’ère du combat pour la justice sociale. Depuis deux cents ans, ce combat nous a apporté quelques belles victoires. Une des grandes réussites a été l’abolition de l’esclavage. Les lois internationales ont rendu illégal le commerce des êtres humains traités comme des propriétés matérielles. La lutte pour la décolonisation a aussi osé remettre en cause les structures des pouvoirs impériaux espagnol, portugais, britannique ou français, parmi d’autres... L’humanité en a tiré la conviction que quelque chose peut changer dans l’ordre injuste du monde. De nouvelles voix Cependant il faut reconnaître que l’organisation qui a joué le plus grand rôle pour l’aide humanitaire et la défense des droits de la personne, pour assurer la sécurité et l’application des traités internationnaux, c’est l’Organisation des Nations Unies. Fondée en 1945 pour maintenir la paix et la coopération entre les États membres, l’Onu est devenue la voix des sans-voix et leur principal avocat. Cette voix se fait de plus en plus entendre hors de son siège new-yorkais. C’est encore une voix feutrée, qui n’a pas toujours sa place dans les médias, mais il y a du progrès et des victoires. La voix des sans-voix se fait entendre de nos jours dans les forums populaires, dans les congrès internationaux et dans la théologie de la libération sous ses diverses présentations. Pendant ce temps, les principales forces structurelles du pouvoir se réajustent jour après jour. L’Empire Ceux qui analysent les structures de pouvoir dans le monde se rendent vite compte de la domination du puissant empire américain. Il contrôle les armes de destruction massive. Ses armées occupent 745 bases dans 120 pays. Il essaye de contrôler la politique de tous les pays. Il est arrogant dans ses jugements sur la manière de vivre des peuples du monde. Par ses programmes spatiaux, il prend le contrôle de l’univers entier. La mondialisation à laquelle nous nous opposons est la mondialisation de l’Empire américain. Pour certains, l’Empire a les promesses de la vie éternelle. Pourtant, aucun empire n’a réussi à durer même si on a loué sa force et son invincibilité. L’Empire a tellement confiance en lui-même et en son bon droit qu’il en devient arrogant, aveugle, sans manières diplomatiques. C’est l’Empire qui fait naître tant d’oppositions contre lui, oppositions qui un jour causeront sa chute. Non seulement l’Empire américain a donné naissance aux formations islamistes extrémistes et à des kamikases terroristes, mais sa guerre en Irak a entrainé le plus grand mouvement pacifiste de toute l’histoire humaine. Le mouvement anti-guerre au Vietnam était insignifiant par rapport au mouvement pacifiste d’aujourd’hui qui est universel et qui représente de plus en plus une force de pression efficace contre l’Empire. Le Forum social mondial Le Forum social mondial (FSM) est une initiative qui a surgi en dehors de l’Organisation des Nations Unies. Le FSM réunit des mouvements et organisations aux intérêts divers mais convergents : droits des peuples, droits de la femme, droits des premières nations (les peuples indigènes), droits des paysans, droits des ouvriers, tout aussi bien que les environnementalistes qui luttent contre le réchauffement climatique et ceux qui se battent contre le sida. La majorité silencieuse se fait entendre. Le FSM n’est pas une organisation officielle qui aurait un programme politique commun et se baserait sur une même idéologie. C’est un ‘forum’ où toutes les voix et expériences peuvent s’exprimer et se faire entendre. On y parle et on s’écoute. L’unité au FSM n’est pas imposée, mais tous ceux qui y viennent se sentent partie prenante de la lutte contre la mondialisation dirigée par l’Empire. C’est un forum de résistance à l’Empire. Et depuis 2002, le FSM a adopté comme devise « Un autre monde est possible ». Le FSM participe à la mondialisation, à une mondialisation venant de la base. C’est un des ‘signes des temps’, de notre temps, en faveur de la justice sociale et contre la domination de l’Empire injuste. (Extraits du chapitre 3 du livre d’Albert Nolan, Jesus Today. A Spirituality of Radical Freedom, ISBN 978-1-57075-672-6, Orbis Books, Maryknoll, New York, 2006, 240 pp.) |