L'Egypte prend désormais à bras le corps
l'émigration clandestine

 
media Bateau transportant des migrants intercepté par la marine égyptienne, port de Rosetta, septembre 2016. AFP

L’Egypte a commencé à appliquer des mesures draconiennes pour lutter contre l’émigration clandestine. Cinq passeurs viennent d’être condamnés à la prison à perpétuité par la cour d’assises d’Alexandrie. Des peines sans précèdent. Par le passé, ces dernières ne dépassaient pas les sept ans de prison.

De notre correspondant au Caire,

Aujourd’hui, l’accusation pour les passeurs en Egypte comprend le trafic d’êtres humains et la mise en danger de la vie d’autrui. Un durcissement des peines visant à les dissuader d’utiliser l’Egypte comme point de départ vers l’Europe.

Le phénomène avait commencé à prendre des dimensions alarmantes depuis 2011, après les désordres politiques qui ont suivi le soulèvement contre l’ex-président Hosni Moubarak et l’insécurité en Libye.

En plus des Egyptiens qui cherchaient à rejoindre « l’Eldorado européen », des milliers de personnes venues de la Corne de l’Afrique et du sud du Sahara affluaient vers l’Egypte.

Modernisation et achats

Une situation jugée dangereuse pour la sécurité du pays après l’arrivée au pouvoir en 2014 du président Abdel Fattah al-Sissi. Aussi, des mesures concrètes sont désormais prises pour lutter contre l’émigration clandestine.

La marine égyptienne a intensifié ses patrouilles le long des 1 000 kilomètres de côtes méditerranéennes. Ses moyens ont été renforcés grâce à l’achat de bâtiments de France, d’Allemagne et des Etats-Unis, parallèlement à la modernisation du vieux matériel russe.

L’aviation a augmenté les avions et hélicoptères de reconnaissance aérienne au-dessus des eaux territoriales. La police, soutenue par l’armée, s’est attaquée aux fiefs des passeurs et contrebandiers sur les grands lacs de la côte égyptienne.

Coopération avec l'Europe

Les efforts ont drastiquement réduit l’émigration clandestine, sans pour autant l’éradiquer. En 2017, les garde-côtes ont empêché 239 tentatives d’émigration, qui comptaient plus de 6 000 clandestins égyptiens, syriens mais aussi d’Afrique de l’Est et subsaharienne.

Il y a une coopération avec les pays du nord de la Méditerranée dans ce domaine. La chancelière allemande Angela Merkel a accordé à l’Egypte une aide de 500 millions d’euros pour faire face à l’émigration clandestine. Des accords de coopération ont aussi été conclus avec la France et la Grèce.

Et les relations, qui étaient tendues entre l’Italie et l’Egypte après le meurtre au Caire du doctorant Giulio Regeni début 2016, ont été normalisées en 2017 grâce notamment à la coopération des deux pays dans la lutte contre l’émigration clandestine jugée vitale par Rome.

Drame migratoire en Egypte : 56 personnes condamnées

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Des survivants du bateau ayant fait naufrage en septembre 2016 au large de Rosette. MOHAMED EL-SHAHED / AFP


En Egypte, le tribunal correctionnel de Rosette a infligé des peines allant jusqu'à 14 années de prison à 56 personnes jugées coupables d'avoir provoqué la pire catastrophe maritime de l'histoire de l'émigration clandestine égyptienne. En septembre 2016, un bateau transportant plus de 400 émigrés clandestins vers l'Europe avait chaviré au large de Rosette en Méditerranée.

Avec notre correspondant au Caire,  Alexandre Buccianti

Pour les familles des victimes, les peines infligées sont trop faibles. On estime à près de 200 le nombre de disparus dans le naufrage. Il s’agissait majoritairement d’Egyptiens et d’Africains avec parfois des familles entières et des dizaines de mineurs. Les survivants ont raconté que les passeurs leur avaient conseillé de jeter leurs papiers en Italie et de prétendre qu'ils étaient Syriens ou du Darfour.

L'Egypte est devenue un point de départ de l'émigration clandestine vers l'Europe à cause des violences que connaît la Libye et du fait des failles sécuritaires en Egypte qui ont suivi la chute de l'ex-président Hosni Moubarak. En 2010, les autorités avaient empêché 500 personnes d'émigrer clandestinement ; l'année dernière plus de 5 000. Ceux qui sont passés sont probablement dix fois plus nombreux. Plusieurs pays européens, dont la France, l'Italie et l'Allemagne, coopèrent avec l'Egypte pour tenter de juguler le phénomène.

Alors la réponse judiciaire peut-elle dissuader les réseaux criminels qui organisent les dangereuses traversées de la Méditerranée ? Oui, en partie, estime Amnesty International.

C'est une réponse que les Etats doivent apporter, mais ce n'est pas la seule réponse car si le trafic de migrants se développe, c'est parce qu'il y a un problème en amont, à savoir la possibilité ou l'insuffisance patente de voies légales permettant à ces réfugiés avec l'aide des Etats de trouver un abri.
                                  Jean-François Dubost Responsable du Programme Protection des populations