Comment l’association Singa facilite l’insertion
des réfugiés (The Conversation)

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Singa World cup.

Michel Berry, L’École de Paris du Management

Quand ils sont une foule sans visages, les réfugiés font peur, mais l’association Singa montre qu’ils peuvent être utiles à la société en les associant à des nationaux autour de projets communs.


Quand les réfugiés sont une foule sans visages

Nathanaël Molle a vécu dans plusieurs pays et continents et sait pourquoi les migrants font peur.

« Assez récemment, dans les représentations collectives, le réfugié est devenu un élément indistinct, non identifié, au sein d’une horde en mouvement potentiellement menaçante. Ce sont ces images de crises, de guerres et de misère qui, relayées par les médias et les acteurs politiques, forgent cet imaginaire collectif très négatif. C’est d’autant plus le cas dans les pays en voie de développement où les effets de la crise sont encore plus nets. »

Des ONG interviennent pourtant partout, mais Nathanël Molle a pu voir que, si elles nourrissent les réfugiés, les soignent, les logent, voire les aident à lancer une activité, elles ne se préoccupent pas du processus d’insertion dans le pays d’accueil. Or, là se situe une grande partie du problème.

Les obstacles à franchir

Le premier obstacle est la langue.

« En France, pays de la francophonie, on n’y accorde pas d’importance, à la différence de pays comme l’Allemagne. Afin de ne pas dépenser “inutilement” de l’argent dans les 400 heures de formation qui leur sont théoriquement dues, l’Administration ne fait subir aux demandeurs du statut de réfugié qu’un test linguistique sommaire. De ce fait, la plupart d’entre eux n’a pas accès à l’outil le plus important pour construire une nouvelle vie, ce qui les confine à des métiers ne nécessitant pas la maîtrise de la langue et ne correspondant pas à leurs qualifications. Dix ans après leur arrivée, certains ne savent toujours pas parler français, car ils n’ont pu qu’enchaîner les petits boulots, mais ils s’entendent dire qu’ils ne veulent pas s’intégrer… Cela fait peser sur les seuls enfants, scolarisés dans notre langue, le rôle d’intermédiaires entre leurs parents et le reste de la société. »

La non-équivalence des diplômes conduit aussi au déclassement. Les traumatismes du voyage, la suspicion dont ils sont l’objet, la longue attente de leur permis de séjour, ne les mettent guère en situation pour chercher une place dans la société d’accueil. Les travailleurs sociaux sont débordés : chez France Terre d’Asile, un travailleur social devait suivre 800 personnes en 2016.

La communauté Singa

N. Molle.

Nathanaël Molle a eu l’idée, avec Guillaume Capelle, qui a fait les mêmes constats en Australie, de créer Singa, communauté de professionnels, d’entrepreneurs, d’artistes, de sportifs, d’étudiants, etc., rassemblant des réfugiés et des nationaux autour d’intérêts communs. Les réfugiés y trouvent un cadre d’accueil, se créent un réseau social et professionnel, apprennent le français, trouvent des opportunités, mais peuvent aussi, en retour, enseigner leur langue, entretenir une passion… Quant aux nationaux, ils viennent pour transmettre, accompagner, apprendre et faire avec d’autres ce qui les passionne.

Un programme Langues et cultures vise l’apprentissage des langues et des codes. Il est fondé sur la constitution de binômes appelés buddies (potes en anglais). Ensemble, ils définissent des objectifs et il n’y a pas de différence entre réfugiés et nationaux. Un grand nombre d’événements sont organisés autour de l’art, de la cuisine, de la musique, etc. Des projets sont menés en commun, animations, fêtes, voire créations d’entreprises.

En 2015, Singa lance Calm (« comme à la maison ») pour loger les réfugiés chez l’habitant. Les débuts sont modestes, mais la publication de la photo du petit Ilan mort sur une plage de Turquie a fait affluer plus de 5 000 propositions de la France entière.

Un modèle original

Singa a inventé un nouveau modèle économique : sachant les aléas des subventions, elle propose des prestations à des entreprises, à des communes ou encore à une grande bibliothèque pour adapter son accueil aux migrants. Les outils numériques sont utilisés pour gérer les événements et les personnes, toujours plus nombreux, de sorte que Singa gérait en 2016 15 000 membres avec seulement 14 personnes. Elle comprend aujourd’hui 20 000 membres, s’implante au Canada, en France, en Belgique et en Allemagne, et est un acteur écouté des pouvoirs publics.

Nathanaël Molle s’est depuis lancé dans un nouveau projet, Waya, dont l’objectif est de créer une plate-forme collaborative en plusieurs langues, nourrie par des migrants installés, permettant aux personnes fraîchement arrivées d’avoir accès aux informations et services dont elles ont besoin pour moins dépendre de personnes tiers.

Il poursuit son rêve d’une société où les réfugiés seraient vus comme une richesse et où tout serait fait pour les y aider.

Entrepreneurs et entreprenants

Les jeunes créateurs, imprégnés de culture numérique, ont fait ce qu’annoncent Nicolas Colin et Henri Verdier dans L’âge de la multitude : mobiliser la puissante multitude de gens instruits, formés, équipés et connectés pour bouleverser l’ancien ordre économique et social.

Ils empruntent à la culture et aux méthodes des start-up pour poursuivre des objectifs sociaux. Ce sont des entreprenants à cheval entre les catégories classiques de l’entrepreneur-startupper et de l’entrepreneur social. Ces profils hybrides sont probablement appelés à se développer si on sait les encourager.


Pour en savoir plus sur la richesse et la pertinence de l’action de Singa : renforcer la société avec les réfugiés

Michel Berry, Fondateur et responsable, L’École de Paris du Management

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