[Tribune] Plaidoyer pour une Afrique urbaine verte

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Sihine Negede est titulaire d'un master d'Études africaines au sein de la School of Oriental and African Studies (SOAS), de l'Université de Londres.

L’Afrique est le continent dont la population urbaine a la plus forte croissance au monde. Les inconvénients de cette situation sont nombreux, d'autant que les bienfaits des espaces verts sont peu valorisés dans les études de développement.

En 2017, selon la Banque mondiale, l’Afrique comptait 472 millions de citadins. Un chiffre en voie de doubler dans les 25 années à venir. Trop peu discutées, les conséquences négatives de cette situation sont nombreuses : forte présence de bidonvilles, croissance économique lente ou stagnante, marché du travail trop étroit, augmentation des maladies liées à la pollution atmosphérique, etc.

Les urbanistes semblent avoir peu d’emprise sur cette dégradation, notamment parce qu’ils ne pensent pas aux bienfaits de l’aménagement d’espaces verts publics, n’y voyant que peu de corrélation avec la bonne santé économique des villes, et plus généralement, avec la croissance économique des pays. Pourtant, de nombreuses études permettent désormais d’établir avec certitude une corrélation positive entre la préservation des espaces verts et le développement social et économique durable d’un territoire.

Certains pays comme le Costa Rica, qui ont mis au cœur de leur politique de développement un aménagement urbain vert, font aujourd’hui preuve d’une excellente santé économique. Quant à la clairvoyante cité-État de Singapour, qui avait au sortir de la décolonisation en 1965 le même niveau de pauvreté que de nombreuses villes d’Afrique, elle fait des espaces verts un objet central de sa feuille de route vers la modernité avec le concept de « cité-jardin ». Quelques décennies plus tard, les résultats économiques sont spectaculaires. Alors, qu’attend l’Afrique ?

Singapour, un modèle pour l’Afrique ?

En 2017, un rapport de la Banque mondiale estimait la disponibilité de ces espaces publics verts à moins de 1m² par habitant dans beaucoup de villes africaines dont Luanda (Angola), le Caire et Alexandrie (Égypte). Un chiffre qui est bien en dessous des standards établis par l’ONU et l’OMS qui recommandent entre 9m² et 30m² d’espaces verts par habitant. À Addis-Abeba (capitale de l’Éthiopie), les espaces verts – jardins privés compris – couvrent moins de 15% du territoire de la capitale. À Dakar au Sénégal, les espaces verts ont été réduits de 34% sur une période de 20 ans, entre 1988 et et 2008. Et c’est ainsi pour la plupart des villes africaines. Quelques exceptions comme certaines villes d’Afrique du Sud, notamment Durban et Johannesburg (avec des espaces verts oscillant entre 22% et 24% du territoire), ou encore Cape Town dans une moindre mesure, ne font que confirmer la tendance. De manière générale, la Banque mondiale estime que près de 5,87 millions de km² de terrains vierges seront convertis en espaces urbains d’ici 2030 dans des villes d’Éthiopie, du Kenya, du Burundi, du Rwanda, du Nigeria et dans bien d’autres pays.

Aujourd’hui, Singapour ne manque jamais de figurer dans le top 10 des destinations les plus vertes et les plus attirantes du monde

À titre de comparaison, le Green View Index du MIT Senseable City Lab estimait en 2017 que les espaces verts urbains à Singapour équivalent à près d’un tiers du territoire. Aujourd’hui, Singapour ne manque jamais de figurer dans le top 10 des destinations les plus vertes et les plus attirantes du monde, où il fait bon vivre. Dans son classement 2018, HSBC expat explorer conclut que la cité-État occupe pour la quatrième année consécutive la place de destination préférée des expatriés, devant la Nouvelle-Zélande et l’Allemagne. Cela découle en grande partie d’une décision du gouvernement en 2013 visant à augmenter la superficie des parcs de sorte que 90% de la population singapourienne se trouve à moins de 400 mètres d’un espace vert public.


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Un facteur d’attractivité pour les travailleurs qualifiés

Une ville verdissante qui respire et qui est soucieuse du bien-être de ses habitants est donc un facteur décisif d’attractivité du territoire pour les travailleurs qualifiés étrangers ou nationaux, les entreprises, des investisseurs et quiconque désirant vivre dans une ville qui permet d’évoluer et vivre sainement. L’aménagement d’espaces verts publics serait donc un point clé qui permettrait de booster, directement et indirectement, le marché de l’emploi africain intimidé par la croissance galopante de sa population urbaine. Les emplois directement créés absorberaient la main-d’œuvre convoitée par la construction des infrastructures vertes, leurs gestions ainsi que leurs maintenances. Les emplois indirects seraient ceux résultant d’une attractivité démographique, composée d’une main-d’œuvre qualifiée travaillant pour des entrepreneurs et entreprises que ces villes vertes et durables attirent aussi.

En plus d’être un atout économique important, de nombreuses études ont permis de démontrer que la présence de ces espaces verts contribue grandement au bien-être psycho-social d’une population, performante et en bonne santé (ce dont l’Afrique à cruellement besoin). Il est bien connu que les grandes métropoles sont généralement synonymes de travail intellectuel ou physique de longue haleine dont le stress doit être évacué. Ces espaces verts publics deviennent alors des aspirateurs de stress mental et physique opérant à titre thérapeutique.

Des lieux d’échanges humains apaisés

De plus, ces lieux rassemblent et permettent d’engager des contacts sociaux. Que ce soient des générations fortement éloignées ou des ethnies différentes, ce sont ces échanges réguliers et des contacts humains que ces espaces publics permettent de créer, donnant ainsi naissance à un sentiment d’appartenance et une forte cohésion sociale. Sandrine Manusset, sociologue de l’environnement, explique que la présence d’espaces végétaux dans les villes, sous toutes ses formes, réduit le niveau d’angoisse, de tension, de violence et de dépressions, et augmente l’efficacité du travail.

L’Afrique d’aujourd’hui pourrait être en proie à une catastrophe similaire à celle de l’Amérique latine

En dernier lieu, beaucoup de métropoles africaines sont en route vers une catastrophe environnementale de taille que l’Amérique latine a vécu et qui éprouve encore des difficultés à surmonter cette tragédie écologique. La surexploitation des sols, la pollution toxique des eaux, la destruction massive des forêts et l’érosion ont entraîné d’immenses dégâts. De plus, la destruction de la biodiversité ainsi que des conditions de vie des populations autochtones ont généré des conflits fonciers ou liés à l’utilisation des ressources en eau et à l’agro-alimentation. Ces dernières années, de nombreux pays d’Amérique latine comme le Chili, la Bolivie et le Pérou ont décrété l’état d’urgence environnemental.

L’Afrique d’aujourd’hui pourrait être en proie à une catastrophe similaire : l’urbanisation explosive s’est traduite par une destruction importante des forêts et des zones humides, l’imperméabilisation ainsi que l’artificialisation des sols et une croissance inquiétante des îlots urbains de chaleurs suspendus et stagnant. Mettre une politique verte au cœur des aménagements urbains pourrait aider à minimiser les dégâts engendrés par les activités humaines. Selon Asterès, une entreprise mettant son expertise économique au service des pouvoirs publics et des institutions onusiennes, six effets positifs majeurs sont à attendre d’une politique environnementale volontaire : purification de l’air, de l’eau et du sol, régulation naturelle des températures, filtrages naturels des eaux pluviales et protection de la biodiversité.