[Tribune] Pour en finir avec les stéréotypes
sur les femmes africaines

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Ibrahim Assane Mayaki est le secrétaire exécutif du NEPAD.

Sans nier les difficultés auxquelles les femmes font face en Afrique, il incombe à tous de battre en brèche une approche misérabiliste de ce sujet, estime le patron du Nepad.

En ce 8 mars, journée internationale de la femme, nous devons nous interroger sans complaisance sur les regards que nous portons sur les femmes africaines, que ce soit depuis l’extérieur ou même au sein de notre continent. Et de remettre en question certains stéréotypes les concernant, car il ne rendent tout simplement pas compte des faits.

Commençons par la thématique sensible de la natalité. Pour la plupart, si l’on exclut les mariages forcés, les femmes se battent pour avoir des familles qu’elles aiment. Les chiffres donnent une moyenne de 4,4 enfants par femme en Afrique. L’urbanisation et la scolarisation des filles impactent structurellement ces chiffres à la baisse.

D’ailleurs, les taux de fécondité qui paraissent – à tort – hors de contrôle doivent être examinés au pluriel s’agissant du continent. Seul le Niger, en effet, affiche un pic tombé en 2018 de sept à six enfants par femme selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), tandis que des régions entières sont en passe d’achever leur transition démographique. Le nombre moyen d’enfants par femme ne dépasse plus 2,3 en Afrique australe et 2,9 en Afrique du Nord (contre 1,6 en Europe et 1,8 en France). Ces deux régions se rapprochent ainsi du seuil minimal (2,1) nécessaire au renouvellement de la population.

Sur le plan politique, plusieurs pays se distinguent parmi les plus avancés au monde en termes de parité au Parlement. Le Rwanda se classe premier au rang mondial avec 61 % de femmes députées, presque trois fois plus que la moyenne mondiale. La Namibie arrive 7e avant le Costa Rica, l’Afrique du Sud (10e) et le Sénégal (11e) avant la Finlande, le Mozambique (17e) après la France et l’Éthiopie (19e) après l’Argentine.

La femme africaine n’accuse pas non plus de retard dans sa participation au marché du travail. Au contraire, le taux d’emploi des femmes en Afrique subsaharienne est le plus fort au monde, loin devant l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord. Il s’élève 64,7 % en 2018 selon l’Organisation internationale du travail (OIT), contre 48,5 % de moyenne mondiale. Elles travaillent pour leur immense majorité dans l’économie informelle, ce qui n’est pas forcément synonyme de positions de faiblesse.

Comme le rappelle Bineta Diop, envoyée spéciale du président de la Commission femmes, paix et sécurité de l’Union africaine (UA), les femmes ciblées par des programmes de micro-finance l’affirment haut et fort : « Il n’y a rien de micro ou de petit à notre sujet ! ». Leur ambition dépasse largement les montants qui leur sont prêtés, et se trouve plus en phase avec un outil de financement négligé par les banques et les économistes. La tontine, souvent l’apanage des femmes, voit d’importantes sommes passer de main en main à travers le continent. Les femmes n’attendent pas d’être employées, et prennent volontiers leur destin en main. Grâce à la révolution digitale, nombre d’entre elles créent de nouveaux services et offrent de nouveaux produits sur des marchés digitaux.

Les success stories et les égéries ne manquent pas non plus. Pour mémoire, trois Africaines ont remporté des Prix Nobel : Nadine Gordimer pour la littérature, Wangari Mathai et Leymah Gbowee pour la paix. En octobre 2018, la diplomate Sahle-Work Zewde est devenue présidente de l’Éthiopie. Elle a rejoint une dizaine de femmes ayant été chef d’État comme Ellen Johnson Sirleaf (Liberia), Joyce Banda (Malawi), Catherine Samba-Panza (Centrafrique) et Ameenah Gurib-Fakim (Maurice).

Dans une tribune publiée par le Financial Times le 7 mars, Sahle-Work Zewde estime que beaucoup reste à faire en termes d’égalité des salaires, de promotion à des postes de responsabilité et de congé maternité… L’Afrique n’en est pas moins reconnue par la Banque mondiale comme la région du monde adoptant le plus de réformes en faveur de la femme. Autre signal fort selon la présidente éthiopienne : l’Union africaine (UA) est la première à reconnaître le poids des « normes patriarcales » dans sa feuille de route pour l’égalité femme-homme.

D’autres femmes puissantes dirigent de grandes institutions, de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) à la Fédération internationale de football (Fifa). La liste serait trop longue de toutes celles qui occupent d’importantes fonctions ministérielles, dirigent de grandes entreprises ou se sont imposées en tant que leaders d’opinion. Pensons par exemple à Chimamanda Ngozi Adichie, romancière nigériane traduite dans plus de 25 langues à travers le monde. Championnes, elles ne le sont pas seulement dans le sport ou les arts, mais aussi dans la société civile, en ville comme en zone rurale.

Il est grand temps pour notre continent de s’éveiller au potentiel de sa meilleure moitié, et pour le monde de le reconnaître. Ma croyance ancienne et profonde est qu’il n’y aura pas de développement sans elles.